OEUVRES COMPLETES DE CHARLES BAUDELAIRE CORRESPONDANCE GENERALE RECUEILLJE, CLASSEE ET ANNOTEE PAR M. JACQUES CREPET TOME IV Novembre 1861-1864. PARIS EDITIONS LOUIS CONARD JACQUES LAMBERT, EIBRAIRE-EDITEUR 6, PLACE DE LA MADELEINE, 6 MCMXLVIII Tous droits reserves NUNC COCNOSCO EX PARTE TRENT UNIVERSITY LIBRARY Digitized by the Internet Archive in 2019 with funding from Kahle/Austin Foundation https://archive.org/details/oeuvrescompletes0000baud_b5u5 OEUVRES COMPLETES DE CHARLES BAUDELAIRE LA PRESENTE EDITION DES OEUVRES COMPLETES DE CHARLES BAUDELAIRE A ETE TIREE PAR L’IMPRIMERIE NATIONALE EN VERTU D’UNE AUTORISATION DE M. LE MINISTRE DES FINANCES EN DATE DU 2 6 MARS 1917. OEUVRES COMPLETES DE CHARLES BAUDELAIRE CORRESPONDANCE GENERALE RF.CUEI LLJE, CLASSEE ET ANNOTEE PAR M. JACQUES CREPET TOME IV Novembre 1861-1864 PARIS EDITIONS LOUIS CONARD JACQUES LAMBERT, L! BRA1 RE-ED ITEU R 6, PLACE DE LA MADELEINE, 6 MDCCCCXLV1II Tous droits reserves- PQ^z\z\.A\ t.(o CORRESPONDANCE GENERALE DE CHARLES BAUDELAIRE 1 86 1 (Suite). 678. A MONSIEUR ?W 5 nov. 1861. Monsieur, Je vous fais mille excuses, et je vous prie de vouloir bien me pardonner si je n’ai pas Iu Ies compositions en prose que vous m’avez fait I’hon- neur de me communiquer. Je suis absolument I1) Nous avons donne dans Ie E.-J. CREPET, pages 421-422, une Iettre d’un M. L[ouis] Reynard qui, se recommandant d’un ami commun, Alfrecf Delvau, demandait a Baudelaire, en sep- tembre 1859, de Ie recevoir pour Iui soumettre «une serie d’etudes d’un projet dans lesquelles 1’influence des Fleurs du Mai joue un role important)), et en tete de laquelle il avait inscrit le nom de notre poete. L’interesse insistait si gentiment dans sa requete, malgre un premier refus, qu’il est presumable que Bau¬ delaire, finalement, avait satisfait son desir. Peut-etre Ie destinataire du billet qui nous occupe mainte- IV. I 35629 2 CORRESPONDANCE GENERALE accable de besognes arrierees et urgentes. Guide par Ie bon souvenir des charmants vers que vous m’avez recites, je suis alle tout droit a la poesie, et je dois vous confesser, si vous me permettez la franchise, que ceux-Ia sont bien loin des pre¬ miers, et ne me paraissent pas faits pour etre im- primes. Veuillez agreer, Monsieur, avec mes excuses renouvelees, 1’assurance de mes sentiments Ies plus distingues. Charles Baudelaire. 67 9. A PHILIBERT ROUVIERE. Poulet-Malassb Libraire-Editeur 97, rue Richelieu, 97 Paris. Paris, Ie 6 nov. 1861. Mon cher Rouviere, Voici encore un enthousiaste, dont peut-etre vous connaissez Ie nom, et qui veut absolument que vous Iui permettiez de faire votre portrait en pied (portrait avec costume de theatre) pour I’Exposition. M. Legros est un de mes amis. II est I’auteur de YAngelus , dont j’ai ecrit moins de bien encore nant, etait-il ce meme Louis Reynard duquel nous ne savons rien si ce n’est qu’il collabora au Moniteur du Puy-de-Dome dont son Irere, Francisque Reynard, plus tard sous-prefet et plus tard encore lecteur chez Aiph. Lemerre, fut quelques annees Ie directeur ou le redacteur en chef? Mais c’est la une hvpothese trop aventureuse pour nous per- mettre d’inscrire son nom au-dessus de ce billet. DE CHARLES BAUDELAIRE. j que j’en pense (1), et de deux grands tableaux que vous pouvez voir a 1’exposition du boulevard des Italiens(2). Vous vous entendrez parfaitement tous deux, je le sais (3). M. Legros sait que vous etes peintre. Demandez-Iui en meme temps a voir ses grandes eaux-fortes. vous interessera. Tout a vous. Mes respects a Madame Froi- dure (4). J’ignore votre nouvelle adresse. J’envoie ceci au Theatre (5). M. Legros demeure Rue Sl Jacques, 289. Ch. Baudelaire. w Voir dans CuRlOSITES ESTHETIQUES les pages 287-289 qui sont parmi les plus chaleureuses du Salon de 1859. C’est-a-dire a I’exposition Martinet. Ces deux tableaux seront bientot decrits dans un article anonyme de la Revue anec- dotique (i'r janvier 1862) oil M. W T. Bandy (Tie Romanic Review, February, 1938) a cru, a bon droit, pensons-nous, devoir reconnaitre la maniere de Baudelaire. Voici Ie passage en cause : «M. Legros, toujours epris des voluptes acres de la religion, a fourni deux magmfiques tableaux, 1’un, qu’on a pu admirer a PExposition derniere aux Champs-EIysees (les femmes agenouil- Iees devant une croix dans un paysage concentre et lumineux); 1’autre, une production plus recente, representant des moines d’ages diflerents, prosternes devant un iivre saint dont ils s’ap- pliquent bumblement a interpreter certains passages. Ces deux tableaux, dont Ie dernier fait penser aux plus solides composi¬ tions espagnoles, sont tout voisins d’une celebre toile de Dela¬ croix, et cependant, la-meme, dans ce lieu dangereux, ils vivent de leur vie propre. C’est tout dire.M II ne semble pas qu’Alphonse Legros ait jamais fait le por¬ trait de Rouviere. <4) Probablement la compagne de fauteur. Mais ce ne devait pas etre une comedienne, car nous avons en vain cberche son nom dans le Dictionnaire d’Henri Lvonnet. (5) Rouviere jouait alors au Theatre de la Porte -Saint- Martin. 4 CORRESPONDANCE GENERALE 680. A MADAME AUPICK. 13 novembre 1861. Je t’ecrirai Ionguement demain. Tu me rends bien malheureux en supposant toujours que je ne t’aime pas. Je t’embrasse. q g Je suis tres affaire. L’argent, des travaux non termines, preparer mon retour a Honfleur, 1’aca- demie, etc. . . 68l. A AUGUSTE LACAUSSADE. [Monsieur — 11, rue des Beaux- Arts Paris.] C. B. [Novembre 1861 ?<•) , Cachet postal.] Cher Monsieur, Je ne veux pas avoir I’air de vous jouer un mauvais tour. En recopiant mes dernieres pages, de nouvelles suggestions me sont venues qui sont I’occasion d’un nouveau retard. Renvoyons done cela au numero du 30. Seulement, ce sera tout (1) Dans Ie cachet postal la seule lettre lisible , quant au mois, est la troisieme, et c’est un V. 11 laut done rapporter ce billet a fevrier ou a novembre. Baudelaire mentionnant ici de nom- breuses tergiversations, novembre semble s’imposer, et il se serait agi du Peintre de la vie moderne qui finalement ne passera pas a la Revue europe'enne. Voyez la lettre suivante. DE CHARLES BAUDELAIRE. pret avant Ie 15. Ma seule excuse pour tant de ter¬ giversations, ce sera la qualite de I’article. Merci pour vos Iivres. Je n’ai pas besoin de vous dire que j’ai commence par Ies paysages de Idle Bourbon (1). Bien a vous ^ ^ Lh. daudelaire. 682. A EDOUARD DENTU. E. DENTU Libraire-Editeur Palais-Royal. ,, , c, J 2 decembre 1061. J’autorise M. Dentu (2) a reclamer a M. Malassis ou au journal I’ Illustration la somme de 300 francs que je Iui dois sur un manuscrit intitule Constan¬ tin G. Iequel paraitra a coup sur avant trois mois(3). Ch. Baudelaire. Dans Ie cas ou Ie n° du 15 de la Revue Euro¬ peenne paraitrait(4), je Iui tiendrais compte des frais de composition deja faits. C. B. (l) Voyez Po ernes et paysages (1831) que Dentu venait de re- editer, et Les Fpaves (1861). 0) Edouard Dentu, nous I’avons dit, etait proprietaire et directeur de la Revue europeenne. W Assertion temeraire! Le Peintre de la vie moderne ne paraitra pas plus a L’ Illustration qu’a la Revue europeenne, mais au Figaro, et deux ans plus tard. W Le 1 5 , la Revue europeenne de Lacaussade etait morte. Calonne triomphait. On lit dans la Revue anecdotique (premiere quinzaine de decembre 1861): « II n’est bruit que du revirement subit qui place M. de 6 CORRESPONDANCE GENERALE 683. A MONSIEUR LE SECRETAIRE PERPETUEL DE L’ACADEMIE FRAN^AISE (1). 1 1 decembre 1861. Monsieur, J’ai I’honneur de vous instruire que je desire etre inscrit parmi Ies candidats qui se presentent pour l’un des fauteuils actuellement vacants a I’Academie frangaise, et je vous prie de vouloir faire part a vos collegues de mes intentions a cet egard (2). II est possible qua des yeux trop indulgents, je puisse montrer quelques titres. Permettez-moi de vous rappeler un livre de poesie qui a fait plus de bruit qu’il ne voulait, une traduction qui a popularise en France un grand poete inconnu, une etude severe et minutieuse sur Ies jouissances et Ies dangers contenus dans Ies Excitants , enfin un grand nombre de brochures et d’articles sur - Ies principaux artistes et hommes de Iettres de mon temps. Calonne a ia tete de la Revue europeenne. On salt oue cet organe, dont la fondation entrama des frais considerables, n’avait pas ete cree dans Ie but de servir Ia Revue contemporaine. Bien au contraire! Tout autorisait a supposer que celle-ci succomberait dans une Iutte inegale. Mais on comptait sans Ie vouloir et Ia tenacite d’un adversaire qui langait, il y a dix-huit raois deja, cette affirmation prophetique : uElle me reviendra ». (!) En 1861 c’etait M. Villemain. (2> Deux fauteuils etaient alors vacants, celui de Scribe, mort Ie 20 fevrier, et celui du Pere Lacordaire, mort Ie 21 novembre. Les candidats s’appelaient Joseph Autran, Camille Doucet, Bel- montet, Jules Lacroix, Leon Gozlan , Gerusez, Cuvilher-Fleury, Mazeres, Octave Feuillet, Leon Halevy, Albert de Broglie et Louis Marcein de Carne. Voyez a ce sujet C. Baudelaire et Alf. de igny candidats a I’Academie, ttude par Et. Charavay (1879). DE CHARLES BAUDELAIRE. 7 Mais, a mes propres yeux, Monsieur, c’est la un compte de titres bien insuffisants, surtout si je Ies compare a tous ceux, plus nombreux et plus singuliers, que j’avais reves. Croyez done, Mon¬ sieur, et je vous supplie de Ie repeter, que ma modestie n’est pas simulee. C’est une modestie commandee non seulement par la circonstance , mais aussi par ma conscience qui est aussi severe que celle de tous Ies grands ambitieux. Pour dire toute la verite, la principale conside¬ ration qui me pousse a solliciter vos suffrages est que, si je me determinais a ne Ies solliciter que quand je men sentirais digne , je ne Ies solliciterais jamais. Je me suis dit, qu’apres tout, il valait peut- etre mieux commencer tout de suite ; si mon nom est connu de quelques-uns parmi vous, peut-etre mon audace sera-t-elle prise en bonne part, et quelques voix miraculeusement obtenues seront con- siderees par moi comme un genereux encoura¬ gement et un ordre de mieux faire. Charles Baudelaire. 684. A ALFRED DE VIGNY. [Monsieur Monsieur le Comte — rue des Ecuries d’ Artois, 6 Paris.] [Environ 12 decembre.] Monsieur, Pendant de bien nombreuses annees, j’ai desir^ vous etre presente, comme a un de nos plus cbers 8 CORRESPONDANCE GENERALE maitres. Ma candidature a {’Academic frant^aise me fournissait un pretexte pour me presenter moi- meme chez vous, dans ces derniers jours. Seule- ment j’ai appris votre etat de souffrance, et j’ai cru devoir m’abstenir, par discretion. Hier cependant M. Patin(1) m’a dit que vous eprouviez une ame¬ lioration sensible, et alors je me suis decide a venir vous fatiguer quelques minutes de ma personne. Je vous en prie vivement, congediez-moi tout de suite et sans ceremonie(2), si vous craignez qu’une visite, si breve qu’elle soit, ne vous fa¬ tigue, ftJt-ce cede d’un de vos plus fervents et devoues admirateurs. Ch. Baudelaire. (l> Professeur de poesie latine a la Faculte des Lettres et membre de I’Academie dont il devait devenir Ie secretaire per- petuel a la mort de Villemain. M Dans I’interessant ouvrage auquel nous avons renvoye (note 2 sous le precedent numero), Etienne Charavay, apres avoir reproduit cette Iettre (pages 8q-8y), poursuivait sa relation comme suit : « La reponse de Vigny fut favorable : Baudelaire se rendit chez Ie maitre cjui I’accueillit avec sa bonte accoutu- mee». Ainsi Charavay pretend que Baudelaire, avant que de se rendre chez Vigny, allait attendre une reponse a sa Iettre. Mais pourquoi ne pas admettre bien plutot que Baudelaire s’etait presente chez Vigny avec sa Iettre dans sa poche et la Iui avait fait remettre? Le present texte n’indique-t-il pas que les choses durent se passer ainsi? Est-il vraisemblable d’ailleurs qu’une Iettre de Vigny a Baudelaire, et la premiere, ne nous eut pas ete conservee? DE CHARLES BAUDELAIRE. 9 685. AU MEME. [12 ou 13 decembre.] Monsieur. Je suis rentre chez moi tout etourdi de votre bonte, et comme je tiens vivement a etre connu de vous, je vous envoie quelque chose de plus que ce que vous m’avez demande. Dans Ies deux brochures ( Richard Wagner , Tbeopbile Gautier ), vous trouverez quelques pages qui vous plairont. Voici les Paradis, auxquels j’ai la faiblesse d’at- tribuer quelque importance. La premiere partie est entierement de moi. La seconde est 1’analyse du livre de De Quincey auquel j’ai ajoute par-ci par-la quelques idees qui me sont personnelles; mais avec une grande modestie. Voici Ies Fleurs , Ie dernier exemplaire sur bon papier (1). La verite est qu’il vous etait destine depuis tres Iongtemps. Tous Ies anciens poemes sont remanies(2). Tous Ies nouveaux, je Ies mar¬ que au crayon a la Table des Matieres. Le seul eloge que je sollicite pour ce livre est qu’on recon- naisse qu’il n’est pas un pur album et qu’il a un commencement et une fin. Tous Ies poemes nou¬ veaux ont ete faits pour etre adaptes a un cadre singulier que j’avais choisi. (1) Cet exemplaire (sur velin fort) a passe en vente plusieurs fois au cours des dernieres annees. II porte la dedicace suivante : « A M. Ie Comte Alfred de Vigny. Temoignage d’admiration et de sympathie. — C. B.» Voyez tome III, page 221, note 2. CORRESPONDANCE GENERALE I O J’ajoute un vieux numero de revue et ou vous trouverez un commencement de tentative nou- velle, qui peut-etre vous interessera. Jules Janin et Sainte-Beuve y ont trouve quelque ragotit(1). Quant a mes articles sur les beaux-arts et la litte- rature, je n’en ai pas un seul sous la mam. Si je peux denicher un exemplaire de la vieille edition des Fleurs , je vous I’enverrai. Enfin, voici les poesies de Poe. Je ne vous re- commande rien; tout est egalement interessant. Ne me rendez pas ce volume; je possede un se¬ cond exemplaire. Monsieur, je vous remercie de nouveau pour la maniere charmante dont vous m’avez accueilli. Quelque grande que fut I’idee que je m’etais faite de vous, je ne m’y attendais pas. Vous etes une preuve nouvelle qu’un vaste talent implique tou- jours une grande bonte et une exquise indul¬ gence (2). Charles Baudelaire. 22, rue d’Amsterdam. 6) Eviclcmmcnt des petits poemes en prose et sans doute ceux que Ie Present avait publies dans son fascicule du 2q aout 18^7. Quant au ragout qu’y avaient trouve Sainte-Beuve et Janin, il doit s’agir de compliments oraux, car c’est seulement Ie 20 jan- vier 1862 ( Constitutionnel ) que Ie Lundiste accorderades Iouanges publiques au Vieux Saltimbanque et aux Veuves , et nous ne nous souvenons point que J. J. ait parle des petits poemes. W Cf. la lettre 688, pages 20-21. DE CHARLES BAUDELAIRE. I I 686. A CHARLES ASSELINEAU. [Decembre 1 86 1 ?] Mon cher ami , Tachez de savoir, non pas si je peux mettre Emile Augier de mon bord (je crois cela impos¬ sible), mais si je peux me presenter chez Iui avec securite , c’est-a-dire sans me manquer a moi- meme. Est-il lie avec Ponsard(1) ? — - Crojez-vous que je pourrais, sans indiscre¬ tion , et avec chances , prier Janin de dire quelques mots de mon affaire (2)? Tout a vous. C. B. 22, rue d’Amsterdam. Vous savez qu’il (Augier) a change dadresse. (is) Chaque fois qu’il en avait eu I’occasion, Baudelaire avait violemment attaque Ponsard et Augier, les deux representants Ies plus en vue de cette Ecole du bon sens qui Iui devait son nom. Quant a Jules Janin, il Iui avait dedie quelques traits fort ace- res , ceux-ci par exemple : « II y a deux methodes d’ereintage : par la ligne courbe et par la ligne droite [...]. On trouvera suffisamment d’exemples de la ligne courbe dans Ies feuilletons de J. Janin (Cornells aux jeunes litterateurs . i 846 ).» . , «Si ivl. Janin tonibait trop souvent dans la verite, il la pour- rait bien compromettre (Philibert Rouviere , 1855).)) CORRESPONDANCE GENERALE I 2 687. A VICTOR DE LAPRADE. Lundi 23 decembre 1861. Monsieur, Je suis tellement ahuri et accable d’affaires que je n’ai pas encore trouve un instant pour vous dire , comme j’en eus tout d’abord I’intention , com- bien j’avais ete afHige et offense, en tant que poete, de la violence ministerielle qui a frappe tout recemment en vous un de nos meilleurs et de nos plus serieux poetes(1). Je suis d’autant plus sincere en ceci que je sens que la rigueur en ques¬ tion va, par un phenomene de recurrence, frap- per (auxyeux des gens superficiels) celui qu’on appellera votre denonciateur(2). Et celui-Ia est un de mes plus vieux amis. Le ministre qui vous frappe (3) Ie compromet. Et cependant la violence de la critique Iitteraire n’implique pasje desir for- Victor de Laprade occupait depuis quatorze ans la chaire de Iitterature fran?aise a la Faculte aes Lettres de Lyon,quana, ayant publie une satire politique en vers : Les Muses d’Etat ( Le Correspondant , 23 novembre 1861), il se vit revoquer brutale- ment (decret du iq. decembre). W C’est de Sainte-Beuve qu’il s’agit. Le Lundiste avait pris Laprade vivement a partie cfans Ie Constitutionnel du 30 sep- tembre 1861, et c’est a son article qu’avaient repondu les Muses d’Etat oil on hsait : O grand siecle! O bonheur dont nous ferons I’e'preuve! Un jour viendra, ce jour reve par Sainte-Beuve , Ou les Muses d’Etat, nous tenant par la main, Enre'gimenteront cbez nous I’esprit bumain. Sainte-Beuve se trouvait done f'aire figure, en I’espece, d’un suppot du regime, et pouvait passer pour avoir provoque la mesure qui frappait le poete de Psyche (voir a ce sujet, d’Edmond Bire : Victor de Laprade, sa vie et ses oeuvres, et de Jules Troubat: La salle a manger de Sainte-Beuvej (3> Gustave Rouland. DE CHARLES BAUDELAIRE. I 3 mel de nuire. II est innocent et puni a la fois. — J’ai eu occasion, ces jours derniers, de causer de cette affaire avec MM. Patin et de Vigny, et j’ai vu que le principal sentiment qui chez eux en resultait etait la tristesse. Malgre la theorie du mi- nistre, nous ne nous accoutumerons jamais, en France, a considerer un professeur comme un domestique , toute notre education nous Ie defend. — J’ai rencontre recemment M. Paul Che- navard et je I’ai prie de vous ecrire un mot en ma faveur. Vous ignorez peut-etre que je me suis avise de poser ma candidature a I’Academie, comme si je n’avais pas eu assez d’aventures dou- Ioureuses dans ma vie, deja si comphquee, et comme si je n’avais pas subi deja assez d’outrages. Ah! Monsieur, quelle besogne que celle que je me suis mise sur Ies bras ! On m’a dit : «Ia plupart de ces messieurs vous ignorent et quelques-uns mal- heureusement vous connaissent.» Si j’avais ose, j’au- rais opte pour Ie fauteuil du pere Lacordaire, parce que c’est un homme de religion et parce que c’est un Romantique ; mais on m’a dit que ma candidature etait un scandale deja bien suffisant sans y ajouter celui de vouloir succeder a un moine, alors j’ai refoule mon admiration pour Ie pere Lacordaire et j’ai fait semblant d’aspirer au fauteuil de Scribe. Chenavard a fait ce qu’il a pu pour me de- tourner de ma folie; mais comme elle est com- mencee il faut y perseverer. II m’a dit aussi que vous apparteniez a un parti (j’ignore quels sont Ies partis qui divisent la population du Parnasse, et dusse-je passer pour un niais , je ne veux pas m’en enquerir). Cependant je Iui ai repondu queje I 4 CORRESPONDANCE GENERALE croyais bien que vous etiez rojaliste, et que mal- heureusement j’etais situe a I’antipode de votre idee, mais que j’usais rigoureusement du droit d’etre absurde, et que, malgre I’obligation appa- rente pour tout republicain d’etre athee, j’avais toujours ete un fervent catholique, ce qui creait un rapport entre vous et moi, sans compter celui du rythme et de la rime. Alors mon ami Chena- vard, je dois I’avouer, a eclate de rire; Ie philo- sophe, Ie subtil raisonneur n’avait jamais flaire Ie catholique sous Les Fleurs du MaW. Toutefois, en supposant que I’ouvrage soit diabolique, existe- t-il, pourrait-on dire, quelqu’un de plus catholique que Ie Diable ? Pour parler serieusement, Monsieur, j’ai fait une grosse sottise, et j’y persevere pour Iui donner I’apparence d’une action sage. Reduit a parler de mes titres , je me presente avec les trois premiers vo¬ lumes de ma traduction d’Edgar Poe ; Ie quatrieme (sciences pures sous ce titre monstrueux : Eureha) est sous presse (2) ; — - avec mes deplorables Fleurs du Mai (peut-etre n’avez-vous pas la derniere edition refondue et augmentee de 35 morceaux nouveaux adaptes au cadre general. Je tacherai de vous I’en- voyer(3)); — avec mon traite sur les Excitants ( Paradis artijiciels ) qui m’a valu de M. Villemain cette enorme sottise debitee avec une solennite (l) Cf. dans la lettre du icr avril 1 86 1 Ie paragrapfie relatif a I’abbe Cardinne. M Assertion osee : Ie manuscrit d’Eureha ne sera remis a Michel Levy que dix-huit ou vingt mois plus tard. (*) Baudelaire devait se souvenir de sa promesse : M. Jacques de Laprade, petit-fils du poete de Psyche, a pu nous montrer un exemplaire de la deuxieme edition, portant la dedicace : « Hommage a M. V. de Laprade. — Ch. Baudelaire. » D£ CHARLES BAUDELAIRE. I 5 inqualifiable : « La Toxicologie, Monsieur, n’est pas la Morale! » Sans doute; ceia est trop clair; mais n’est-il pas indispensable de parler Morale a propos des Toxiques? — avec une quantite tres considerable d’etudes sur Ies hommes de Iettres de ce temps, Ies peintres, Ies statuaires, Ies gra- veurs, Ies musiciens, etc... Tout ceia, je I’avoue, n’est presque rien, sur- tout en comparaison de mes reves. Pardonnez-moi , Monsieur, de vous ecrire si Ionguement, mais je me soulage aupres de quel- qu’un que je ne connais pas, et chez qui je devine quelque sympathie, de la fatigue que m’ont cau- see mes premieres visites. En verite, elles m’ont brise Ies nerfs. Je suis bien puni de mon intem- pestive ambition. Peut-etre n’aurai-je pas Ie plai- sir de vous voir quand vous viendrez a Paris. Peut-etre vais-je me sauver au bord de la mer apres que je me serai fait sermonner ou injurier chez tous Ies academiciens que Ies convenances m’obligent a voir. (Toutefois je ne partirai pas sans avoir ete rendre hommage a Monseigneur d’OrleansW. Je veux accomplir ma sottise minutieu- sement et en conscience). J e vous prie done d’agreer cette Iettre comme equivalente a une visite offi- cielle. S’il est un cas ou Ies formules republicaines ne soient pas ridicules, a coup sur, c’est entre poetes; ace titre, Monsieur, veuillez recevoir mes salutations fraternelles. Charles Baudelaire. Si vous etes lie avec M. Josephin Soulary et M. Armand Fraisse, presentez-Ieur mes amities. (*) M. Dupanloup. CORRESPONDANCE GENERALE I 6 Si vous cpnnaissez M. Janmot(1), dites-Iui que j ’aspire depuis Iongtemps a Iui rendre justice, et que je prepare un gros travail qui s’appellera Ies Peintres philosopbes, Ies Peintres qui pensent , ou quelque chose d’approchant. L’atmosphere de Lyon que je connais parfaitement(2) est une atmo¬ sphere particuliere (3). M En verite on ne saurait trop admirer I’eloquence et 1’inge- niosite que deploie ici Baudelaire pour convaincre Laprade, dont assurement le talent ni les tendances n’etaient pour lui plaire (voyez tome I, page 322, note 2, et tome II, page 302, note 2), qu’ils ont des affinites et des relations communes! — Laprade n’etait pas positivement Lyonnais, etant ne a Montbri- son. Mais son pere avait fait a Lyon une honorable carriere de medecin, et lui-meme, on I'a rappele page 12 (note 1), avait occupe la chaire de Iitterature fran?aise a la Faculte de cette ville. — Voyez L’Art ROM ANTIQUE , pages 471-473. (2) On se rappelle que Baudelaire avait fait ses etudes a Lyon pour partie (1830-1836). — Sur les Lyonnais, voyez L’Art ROM ANTIQUE , pages 471-^,72. (3> Laprade repondit-il a cette lettre? ce semble peu probable. Ce qui est en revanche certain, c’est qu’il la communiqua a ses amis, car, dans un article paru quelques annees plus tard (L’ Emancipation de Bruxelles, 20 avrd 1865), article aussi severe qu’un requisitoire, on pouvait lire sous la signature de Victor Fournel : «M. Baudelaire [...], le chantre du Iiideux, de I’ignoble , du cynisme rafFine et quintessencie , compte bien rallier un jour Ies suffrages de tous les poetes de la compagnie, et meme, ce qui est plus joli, de tous les catboliques. C’est Iui qui ecrivait a l’un de ces dcrniers, en posant sa candidature : «On dit que je ne suis pas catholique; on dit que ma poesie « est infernale et demoniaque. Qiielle contradiction ! Y a-t-il rien «de plus catholique que le diabie?» Et il developpait ce theme avec la meme gravite qu’il avait deja mise a le soutcnir devant le tribunal de police correctionnelle, quand elle Iui demandait compte des audaces de sa poesie. » (Cite par M. Gustave Charlier dans : Baudelaire et le « Cercle Artistique et Litteraire» (Bulletin de. I’Academie Royale de Langue et de Litterature franfaises , bruxelles, juin 1945). DE CHARLES BAUDELAIRE. J7 688. A MADAME AUPICK. Noel 23 decembre 1861. Pauvre chere maman si delaissee! Ta derniere lettre m’a bien afflige, et au long temps que j’ai laisse ecouler avant de te repondre, on ne dirait pas que j’en ai ete si frappe, n’est-ce pas? Com¬ ment ! ce miserable petit voyage a Paris a pu agir sur toi a ce point, que maintenant tu t’ennuies, toi qui ne t’ennuyais jamais. J’ai ete tres etonne par ta lettre, parce que je m’etais accoutume a te considerer comme douee d’une tres grande ener- gie, a ce point que je peux te dire que dans mon affection pour toi il entre beaucoup d’admiration. Je ne veux pas te flatter; mais je suis semblable a tous les autres hommes ; j’admire surtout ce que je ne possede pas; et de plus, il n’y a pas chez moi d’affection possible sans une certaine admiration. (Ce qui, pour Ie dire en passant, t’explique ma froideur a I’endroit de mon frere. Sans compter que j’ai passablement de griefs contre lui; card n’a pas, comme tu fas fait, cherche a apaiser mes rancunes par un immense devouement) Voici, a ce sujet, la page de Mad. Baton W que je te renvoie. Si tu me demandes comment je puis avoir la barbarie de te Iaisser si Iongtemps sans nouvelles et sans consolation, moi qui suis tout pour toi et qui n’ai pas d’autre moyen de te remercier et de t’amuser que de te parler de moi, je te repondrai Voyez tome I, page 365, et tome III, page 330, note 3. IV. 2 I 8 CORRESPONDENCE GENERALE d’abord que j’ai ete plusieurs fois malade, ensuite, et (ceci est la grande et deplorable raison) que quand j’ai Ie malheur de negliger un devoir, Ie Iendemain Ie devoir est plus difficile a remplir ; qu’il devient ensuite, de jour en jour, de plus en plus difficile, jusqu’a ce qu’enfin Ie devoir m’ap- paraisse comme une chose impossible a executer. Cela tient a I’etat d’angoisse et de terreur nerveuse dans Iequel je vis perpetuellement et raon obser¬ vation s’applique a tous Ies devoirs possibles, meme a celui si doux et si naturel d’ecrire a ma mere. Je ne sors jamais des situations difficiles que par explosion ; mais ce que je souffre en vivant , vois-tu , c’est inexprimable ! — Enfin , il m’est tombe en novembre, deux catastrophes, coup sur coup, sur la tete(1). Et maintenant, comme si je n’avais pas assez d’embarras accumules, je viens d’en ajouter un nouveau, celui de ma candidature. Ah ! si j’avais su! quel supplied quelle fatigue! Tu ne saurais te douter quels ennuis, que de Iettres, que de demarches exige cette etrange fantaisie. Je n’ai vu que quelques academiciens ; j’en ai deja Ies nerfs brises. II j a cependant quelque chose d’heu- reux dans cet episode fatiguant, c’est que je m’y interesse. Or, on ne peut pas vivre sans manie, sans un dada. Et je vois toujours devant moi Ie suicide comme I’unique et surtout la plus facile solution de toutes Ies horribles complications dans Iesquelles je suis condamne a vivre depuis tant, tant d’annees. La plupart du temps, je me dis : si je vis, je vivrai toujours de meme, en damne et quand la mort naturelle viendra, je serai vieux, Baudelaire Ies defimra plus loin dans cette meme Iettre. DE CHARLES BAUDELAIRE. l9 use, passe de mode, crible de dettes, et toujours deshonore par cette infante tutelle. Tandis que, si j’en finissais d’un bon coup, apres avoir trouve I’energie suffisante pour dresser un compte exact de mes affaires, il faudrait bien que Ie debris de ma fortune fut consacre a payer. D’ailleurs, la vie, en elle-meme, meme sans dettes, me parait tout a fait denuee de plaisirs. D’autres fois je me dis : mais vraiment, il y a ma mere , a laquelle il faut penser, et que je devrais bien remunerer par quelques joies. Ce combat perpetuel dans mon esprit me fatigue ; ma melan- colie use mes facultes ; ajoute a cela que je trouve souvent qu’on ne me rend pas justice, et que je vois que tout reussit a souhait pour Ies sots. La seule bonne nouvelle que tu me donnes (et crois bien que cela m’inquietait et que j’y avais pense) e’est qu’enfm tu digeres bien. La seule bonne que je puisse te donner, e’est que j’ai toute ma tete, et que dernierement, au milieu des plus vives inquietudes, j’ai trouve la force de travailler, et d’achever une longue etude, dont je suis tres content, et qui n’a servi que d’occasion pour me brouiller un peu plus avec la Revue des Deux Mondes^l — Actuellement il m’est impossible de travailler, a cause de tout ce tintouin academique. Je dis Ies choses pele-mele; j’ai tant de choses a dire. Crois-moi si tu veux ; je t’affirme que si j’ai commis ce coup de tete, e’est surtout a cause de toi. La seule chose qui m’interesse, moi, e’est Ies pauvres emoluments attaches a la fonction et dont je ne sais pas meme Ie chiffre exact. Car tu devines a> Le Peintre de la vie moderne. 20 CORRESPONDANCE GENERALE bien que je n’eprouve pas, dans ma conscience, le besom de I’approbation de toutes ces vieilles betes. (Je me sers du terme dont quelques-uns merae d’entre eux se servent pour caracteriser Ies au- tres). Mais je me suis dit que tu attachais une im¬ mense importance aux honneurs publics, et que si par miracle , c’est Ie mot, je reussissais, tu en ressen- tirais une immense joie. II est vrai que je me suis dit aussi : si par extraordinaire je reussissais, ma mere comprendrait peut-etre enfin^'que je ne peux pas rester dans une situation deshonorante. Peut- etre alors, pourrions-nous decouvrir une solution. Une de mes grandes preoccupations etait celle-ci : je suis si hai, et il y a de si mechantes gens qu’un beau matin je vais trouver dans un petit journal quelque phrase comme celle-ci : Depuis quand Ies interdits ont-ils Ie droit de sieger dans Ies assem¬ blies? — Ou bien : II est bien naturel qu’un in- terdit veuille sieger parmi tous ces vieillards en enfance. ■ — Dieu merci, cela n’a pas encore eu lieu. — Ce maudit conseil judiciaire m’a toujours rendu ti- mide et maladroit. II me semble que je porte sur moi une plaie honteuse, et que tout Ie monde la voit. Juge ce que j’endure depuis dix-sept ans. Quand je te verrai, je te ferai peut-etre rire en te racontant quelques-unes de mes visites. Mais cela ferait un volume sur Ie papier. Lamartine a voulu me detourner de mon projet, en>me disant qu’a mon age on ne devait pas s’exposer a recevoir un soufflet(iI parait que j’ai Fair jeune). De Vigny, que je ne connaissais pas, s’est fait fermer pour etre seul avec moi et m’a garde trois heures. C’est (’) Mot onus anterieurement. DE CHARLES BAUDELAIRE. 21 Ie seul qui jusqu’a present s’interesse a mon affaire , et la preuve, c’est qu’il m’a fait dire hier de retour- ner chez Iui dans dix jours, apres avoir vu quelques autres membres, afin de Iui rendre compte de mes impressions. Corarae Lamartine, il a d’abord voulu me dissuader, mais quand je Iui ai dit que, d’apres Ie conseil de Sainte-Beuve j’avais commence par declarer officiellement ma candidature au Secreta¬ riat, il m’a dit que puisque Ie mal etait fait, il fallait absolument perseverer. Merimee, avec qui je suis lie, a evite de me recevoir. (II est evident qu’il a son candidat, pour Iequel il travaille. Lie, comme il Test, avec Ie Chateau, il a en vue un candidat imperialiste)^). Ma visite a M. Viennet a ete une comedie a faire un volume. M. Villemain est un cuistre et un sot, un singe solennel, a qui je ferai peut-etre payer fort cher, si Dieu me prete vie, la maniere dont il m’a regu. M. Patin, contre qui on m’avait prevenu, a ete charmant(2). Des Ie commencement, deja plein de decouragement, de degout et de rage, je fus pris d’une idee que je crus Iumineuse. Voyant combien je perdais de temps, je voulus que mes visites me lussent payees comme cedes des medecins, non pas par mes malades , mais par Ie public; c’est-a-dire que je congus Ie projet d’en rediger Ie compte rendu jour d) En somme on ne salt a peu pres rien des rapports de Bau¬ delaire avec Merimee sinon cjue le premier semble s’etre fait bien des illusions sur son credit aupres du second cjui pourtant, il faut Ie dire, Iui temoigna de l’interet par deux fois au morns : lors du proces des Fleurs du Mal et cjuand, ramene de Bruxelles a Paris, Ie malheureux poete tomba completement a la charge de sa mere. W Pour Viennet, vojez E.-J. CREPET, page 147, et, pour Villemain, dans JUVENILIA, (EUVRES POSTHUMES, RELI¬ QUIAE, tome I, L’Esprit et le Style de M. Villemain. — Patin, on 22 CORRESPONDANCE GENERALE a jour, d’en faire ainsi un livre boujfon qui aurait ete publie au beau milieu des discussions relatives a I’election, ou apres I’election. Tu devines le resultat : I’academie barree a jamais, d’abord, et puis accusation de deloyaute. On m’aurait accuse de m’etre introduit chez Ies gens dans Ie but pre- congu de Ies faire poser pour moi dans une atti¬ tude comique. Alfred de Vigny, a qui j’ai eu feffronterie de faire part de ce beau projet, m’a dit que je n’etais pas Ie premier inventeur de I’idee; que Victor Hugo autrefois avait eu la meme tenta- tion, mais que son election ayant enfin reussi, il n’avait pas publie son livre En somme, je dois dire que ma candidature a paru beaucoup moins scandaleuse que je ne crai- gnais. Beaucoup de gens meme font trouvee toute naturelle, et meme m’ont Ioue de mon courage. II y a deux fauteuils vacants, Scribe et Lacor- daire. Les candidats sont innombrables ; on en compte, dit-on, dix-sept. Je me souviens de ceux- ci : Dufaure, avocat. De Carne, ecrivain politique. De Broglie, petite marionnette de la Revue des Deux Mondes , qui veut sieger a cote de son papa, qui fait partie de I’Academie, sans doute a titre d’an- cien ministre (2) ; I’archeveque de Paris (I!!!), etc., etc. Candidats Iitteraires : Gozlan (pas de chances, je crois) ; Jules Lacroix, Ie frere du bibliophile I’a vu plus haut (Iettre 684.), avait re?u une des premieres visites de notre candidat. (') Vigny ne se faisait-il pas la 1’eclio d’un bruit sans fonde- ment? Le certain, nous aftirme Mm* Daubray dont on sait I’autorite en cette matiere, est qu’on n’a rien retrouve dans les papiers d’Hugo qui ait trait a un tel livre. (2> C’est pourtant «Ia marionnette » qui allait remplacer le Pere Lacordaire (20 fevrier 1862). DE CHARLES BAUDELAIRE. 23 Jacob; — Cuvillier-FIeury, Ie journaliste des Debats; mon ami Octave Feuillet (grandes chan¬ ces) (1); Camille Doucet (auteur de detestables comedies®, chef de division au ministere d’Etat), etc., etc. Theophile Gautier, Ie seul dont I’elec- tion rehabiliterait I’Academie, ne veut pas com- promettre sa dignite, et ne se presente pas. — Et que d’intrigues ! Et que de mysteres! Et je me suis fourre dans tous ces nuages sans y voir clair. (As-tu'ete assez liee avec M. Lebrun, pour Iui ecrire un mot pour moi? Mais, dans ce cas, je voudrais voir ta lettre.) J’omets deux autres petits supplices. Je fais mes visites a pied, en guenilles (ceci toutefois m’est indifferent) et j’ai toutes Ies peines du monde a carotter quelques exemplaires de mes Iivres a Malassis et a Michel Levy pour Ies donner a ceux qui expriment Ie desir de Ies lire®. Je ne parle que des academiciens litterateurs. Car, quant aux hommes pohtiques, les Thiers, Ies Guizot, et autres graves intrigants, j ai bien envie de ne pas meme aller Ies voir. C’est un grand malheur pour moi que de ne pas m’etre applique a mettre M. Merimee de mon cote, il y a quelques mois; car il est evident qu il a une forte action sur ses collegues. II m aurait sans doute dit d’attendre. Mais il se serait peut-etre engage a me servir pour une autre election. 0) Ici Baudelaire avait vu juste : Octave Feuillet succedera a Scribe Ie 3 avril de I’annee suivante. t (J) Notre auteur parlait en connaissance ae cause : voyez la lettre 601. (») Cf. Ie numero 693, page 37. 24 CORRESPONDANCE GENERALE Ouf! parlons d’autre chose. Voici maintenant inon epopee de novembre, triste epopee, comme tu vas voir. Je t’avais done dit que j’esperais retourner pres de toi au commencement de novembre, et essayer enfin I’accomplissement de mes trop anciens pro¬ jets : vie sedentaire et incessamment Iaborieuse; rares et courts voyages a Paris, seulement pour traiter Ies affaires de vive voix. Voila tout d’un coup, en quelques jours, que fes deux revues sur lesquelles je m’appuyais, la Fantaisiste et YEuro- peenne, disparaissent. (De Calonne a ete le plus fort, et Ies ministres, en lui rendant la subven¬ tion, Iui ont sacrifie YEuropeenne. Je ne peux pas retourner aupres de Iui; nous sommes a couteaux tires (1), et d’ailleurs je sais qu’il ne paiera pas. II mangera, ou plutot sa femme mangera en toilettes Ies 140.000 fr. destines a un autre but). — Me voila done avec des manuscrits sur Ies bras, fort diffi- edes a placer. — D abord, je n’ai pas trop perdu la tete. — Je ne t’avais pas dit (pour t’etre plus agreable, je te Ie cachais) que j’avais trouve Ie moyen de retirer Ie fameux chile ^ Je me dis alors qu’apres tout j’avais ainsi sous la main un millier de francs; qu’avec une pareille somme on faisait patienter bien des gens, et que j’atteindrais tout doucement Ie moment, ou, mes visites faites, je pourrais me mettre a travailler, renouer d’autres rapports, et finalement m’en aller. Puis je fis une visite a la Revue des Deux Mondes , ou je fus fort bien re?u. (Depuis, comme je te Ie ^ Preuve Ies Ictti es 62^, 626, 629 et bien cPautres. (*) Voyez Ies numeros 518 et 520. DE CHARLES BAUDELAIRE. disais, brouille complete, aggravee par une de ces Iettres, comme je sais en ecrire, quand je suis pris par la colere)®. Et me voila, me promenant avec mon chale. II parait que Ie tissu en est vraiment fort beau, mais que I’anciennete des dessins est un obstacle invin¬ cible a la vente. Cependant je me disais : apres tout, avec 300 fr., on gagne toujours du temps, et je retrouverai toujours bien Ies 300 francs pri- mitifs dans Ie meme bureau, qui Ies a pretes deux fois deja. J’y retourne — 100 fr! — Inexplicable, n’est-ce pas? J’ai voulu absolument connaitre la raison. — On m’a dit qu’il j avait dans Ies bureaux encombrement de cachemires, aux approches du jour de fan, et qu’on cherchait a degouter Ie pu¬ blic d’en apporter. Resultat net de ma specula¬ tion : une perte de 200 francs. Ces 100 fr. sont Ie seul argent que j’aie touche depuis notre separation. Je suis sans journal , me¬ nace au jour de fan d’une cnse enorme , oblige de vivre, et accable sous Ies fatigues resultant de ce que j appelle mon coup de tete , c’est-a-dire ma mau- dite candidature, sans compter celles qui resultent d’une femme toujours malade, qu’il faut soutenir et consoler, et a qui je ne pourrais facilement donner quelque argent qu’en ne vivant plus a Paris®. — - Cependant j’ai jure que je m’appli- querais a ne pas tomber dans un de ces affaisse- ments horribles ou tu m’as vu si souvent, et que je tacherais de faire face a tant de choses a la fois. Mais je ne sais pas comment. Nous n’avons pas cette Iettre. W Jeanne Duval. 2.6 CORRESPONDANCE GENERALE Tu t’imagines evidemment que je veux encore te voler, jamais. Recommencer une pression sur Ancelle? non plus. Joyeusement je sacrifierais toute ma fortune pour payer enfin mon repos et ma liberte; mais continuer a ronger, a grignoter le capital, sans obtenir un grand resultat, je ne Ie veux pas. Quoi done? diras-tu. — Peux-tu trouver chez toi quelques objets sur Iesquels je pourrais recom¬ mencer (plus heureusement) la speculation du chale? Deux conditions sont indispensables ; il faut des objets qui te soient absolument inutiles, et qui ne component pas pour toi un souvenir precieux a un titre quelconque. Dans ce cas-Ia, tu ferais bien de me donner quelques renseignements sur la valeur approximative ; car je ne me connais bien qu’en livres , tableaux et gravures. Je t’ecrirai plus tard pour te dire Ies phases de ma ridicule tentative (toujours I’Academie). II faudrait que je denichasse , apres de Vigny, deux ou trois autres academiciens qui voulussent bien me patronner vigoureusement. De Vigny, que je n’avais jamais vu, a ete admirable. Decidement, la naissance donne des vertus, et je crois qu’un grand talent implique une grande bonte(1). Quant a moi, je suis trop malheureux pour marcher vers la bonte, et si je vis, je crois que je finirai par ecrire quelque Iivre atroce qui me fera chasser de ce vilain pays [sic]. Lamartine m’a fait un compliment si mons- trueux, si colossal, que je n’ose Ie repeter; mais je crois qu’il ne faut pas se fier a ses belles paroles. W Cl. la fin de la lettre 685. DE CHARLES BAUDELAIRE. 27 II est un peu catin , un peu prostitue (il made mande de tes nouveIIes(C C’est une politesse dont je Iui sais gre. Apres tout, c’est un homme du monde). Ta chere Iettre, qui m’a tant attendri, a cause meme de sa tendresse ne m’a apporte que de la tristesse. II est si douloureux de se sentir impuis- sant a soulager, a consoler, a reconforter ceux qu’on aime. C’est certainement la une des afflic¬ tions Ies plus difficiles a supporter. Et elle tombait dans de cruels moments. II faut qu’avant minuit j’aie encore ecrit beau- coup de Iettres, et il est quatre heures. Je veux faire fleche de tout bois et m’adresser a plusieurs personnes avant le 30. J’interromps mes visites pendant quelques jours; il n’y a pas moyen de faire autrement. Si je pouvais, par Ie travail, me redresser en janvier, en faisant marcher de front mon ambition , je partirais apres avoir acheve mes visites. Je crois que I’election aura lieu fin janvier ou au commen¬ cement de fevrier. Je t’embrasse. Prends-moi pour Ie plus miserable fou qui soit, mais non pour un ingrat, ou pour un etre sans tendresse. Charles. ft) En 1839 (Iettre 3), Baudelaire mandait a son beau-pere que Lamartine avait depose sa carte chez Iui, et, en 183.8, c’est Lamartine qui envoya Ie general a Constantinople. Voila tout ce qu’on sait de ses rapports avec Ie menage Aupick. 28 CORRESPONDANCE GENERALE 689. A ARSENE HOUSSAYE. Noel. 1861. Mon cher Houssaye, Vous qui, avec I’air inoccupe, savez si bien rem- plir une journee(1), trouvez quelques instants pour parcourir ce specimen de poemes en prose que je vous envoie. Je fais une longue tentative de cette espece, et j’ai I’intention de vous la dedier. A la fin du mois je vous remettrai tout ce qu’il y aura de fait (un titre comme : le promeneur solitaire , ou le RodeurW Parisien vaudrait nueux peut-etre). Vous serez indulgent; car vous avez fait aussi quelques tentatives de ce genre (3), et vous savez combien c’est difficile, particulierement pour eviter d’avoir fair de montrer le plan d’une chose a mettre en vers (4). W Arsene Houssaye qui mettait sa coquetterie a garder Ies dehors d’un dandy, iut en realite I’un des hommes les plus actifs de son temps. II n’est pour s’en convaincre que de lire sa bio- graphie, ou simplement ses Confessions , Souvenirs d’un demi-siecle. W Baudelaire oubliait le plus souvent Ies accents circon- flexes, ou en mettait a tort, ecrivant, par exempie : chute et Philoxene. W Dans sa dedicace des Petits Poemes en prose, Baudelaire se montrera plus precis : «Vous-meme, n’avez-vous pas tente de traduire en une chanson le cri strident du V itner » , etc. W «Le plan d’une chose a mettre en vers.» C’est precisement ce que plusieurs qui ne manquent pas toujours de gout ni de sens litteraire, ont dit trouver dans Ies Petits Poemes , notamment Pierre Louys. Celui-ci meme soutenait que Baudelaire n’etait pas poete, parce qu’il pensait en prose. Sans vouloir aborder ici un probleme qui ne saurait etre traite dans une courte note, resumons notre sentiment : Baudelaire pensait souvent en vers , DE CHARLES BAUDELAIRE. 29 J ai juge a propos de commettre une Iourde folie; je veux parler de ma candidature a I’aca- demie. Vous qui avez, m’a-t-on dit, passe par lad11 vous savez quelle odyssee horrible c’est, odvssee sans sirenes et sans lotus. Vous me seriez tres agreable si vous pouviez annoncer cette candida¬ ture inoui'e dans votre Courrier de I ’Artiste et dans votre Pierre de I’Estoile <2). Vous etes peut-etre can¬ didate. Mais je vous jure que vous pouvez etre pour moi genereux sans danger. D’ailleurs, vous Ie seriez avec danger. — Vous me comprendrez facilement d’ailleurs si je vous dis qu’etant, per- sonnellement, sans esperances, j’ai pris plaisir a me faire bouc pour tous Ies infortunes hommes de Iettres (4). Je voulais vous porter deux manuscrits : un pour la Presse (dont nous avons parle), un pour Y Artiste, celui-Ia est Ie plus avance. Ilya plusieurs annees que je reve a mes poemes en prose e, Je vous demanderai en meme temps de me payer la partie deja faite, ou la totahte faite; car la chute [sic] soudaine et coincidente de la Fantai- mais presque toujours , dans sa mefiance de I’inspiration et son effort vers la synthese, il rejetait, pour la creuser et la refondre, la forme qui s’etait d’abord presentee a son esprit. f1) Nous n’avons rien retrouve a ce sujet. (*) Sous ce pseudonyme et sous Ie titre : L’Histoire en pantoujles, Houssaye donnait chaque semaine un feuilleton Iitteraire a la Pi ■esse. II avait de plus repris la direction de Y Artiste qui avait periclite sous celle de son frere. Dans ce periodique il allait, Ie ier fevrier 1862, donner satisfaction a son ami. (3) Houssaye ne I’etait pas ni ne pouvait I’etre, du fait de sa retentissante Histoire du quarante et unieme fauteuil oil d s’etait amuse, cinq ans auparavant, a faire defiler tous les grands ecri- vains que 1’Academie n’avait pas accueillis dans son sein. W Cf. Ia lettre a Flaubert numero 702. <5) Les premiers avaient ete publies en 1855. jO CORRESPOND ANCE GENERALE siste et de I’ Europeenne m’ a mis sur la paille(1); mais comme c’est Ie jour de Fan; comme vous serez peut-etre gene; que d’ailleurs il n’est pas permis de tomber ainsi sur Ies gens a fimproviste, et qu’enfin je voudrais accorder la satisfaction imme¬ diate de mon besoin avec toutes vos aises, — a defaut d’argent, je vous demanderai un mot d’ecrit me promettant I’insertion des poemes; dans ces conditions-Ia, j’ai une bourse d’ami qui m’est toujours ouverte(2). Le bon cote de ce travail est qu’on peut Ie couper ou I’on veut(3). J’ai dans I’idee qu’Hetzel y trouvera la matiere d’un volume romantique a images^. Mon point de depart a ete Gaspard de la Nuit d’AIoysius Bertrand, que vous connaissez sans aucun doute; mais j’ai bien vite senti que je ne Douvais pas perseverer dans ce pastiche et que ’oeuvre etait inimitable. Je me suis resigne a etre moi meme(5). Pourvu que je sois amusant, vous serez content, n’est-ce pas? II y a deja quelque temps que je voulais vous (') La Revue fantaisiste etait morte avec sa livraison du i 3 no- vembre et I’ Europeenne venait d’etre absorbee par la Contemporainc , on I’a vu. (*) Baudelaire avait-il reellement un tel ami? Nous croirions plutot cju’il pensait a 1’un de ses escompteurs habituels, a Tenre, un ancien camarade de college qui se montrait complaisant envers Iui quand des garanties serieuses lui etaient offertes. (3) Cf. 1’exorde de la De'dicace des Petits Poemes en prose. M Hetzel, le 13 janvier 1863, achetera I’ouvrage cpii d’ail¬ leurs ne Iui sera jamais livre; mais dans le traite passe a cette occasion il ne sera nullement question d’un livre illustre. (6) Cf. a nouveau la Dedicace, page VI de notre edition : «J’ai une petite confession a vous faire. ..» et plus bas : « Sitot que j’eus commence le travail, je m’aperfus...)) DE CHARLES BAUDELAIRE. 3 1 offrir ce petit volume, et(1) j’apprends que vous operez un miracle, ou du moins que vous voulez I’operer, en rajeunissant L’ Artiste. Ce serait bien beau; 9a nous rajeunirait nous-memest21. Enfin, quoi qu’il en soit, et si peu que vous fassiez pour moi, merci d’avance. Tout a vous. — Ch. Baudelaire. 690. A JULES ROZIER(3C [Decembre 1861.] L. a. s. , 2 pages n-12. II invoque ses talents de restaurateur (de tableaux), de pasticheur, pour Iui demander de se mettre en rap¬ port avec Edmond About ^ et avec M. Lydis Sauvage, qui ont quelque chose a Iui montrer. Baudelaire ajoute W Ici I’autographe montre trois Iignes et demie biffees, ou on Iisait, croyons-nous, ceci : «... je m’attendais primitivement a un salaire forcement me¬ diocre, car vous m’avez dit une fois que V Artiste etait pour vous une plaie rongeuse. Mais j’apprends... » (*) C’est dans Y Artiste que Baudelaire avait debute en tant que poete (voir Juvenilia, (Euvres posthumes, Reli¬ quiae, page 407). 0) (1821-1882) eleve de Bertin et Delaroche, grand ami de Murger. M Ce billet est trace sur un papier aux initiales d’Edmond About. Nous ignorons qui etait M. Lydis Sauvage. Au Bottin de 1 860- 1 86 1 figure bien un « Sauvage, homme de Iettres, fau¬ bourg Saint-Denis, io8», mais son prenom n’est pas indique. 32 CORRESPONDANCE GENERALE qu’il profite de I’occasion pour se recommander Iui- meme : ...Vous savez : le Noir, le Rouge, le Blanc! et Ie jixatif! Vous savez Ie pnx et la raison du prix que j’attache a ce detestable dessin...(1) 691. A MICHEL MASSON Paris, Ie 27 decembre 1861. Bon pour cent francs. Au quinze juillet prochain, je paierai a I’ordre de M. Michel Masson, delegue du Comite de la Societe des gens de Iettres , la somme de cent francs , valeur refue en especes^. Charles Baudelaire. 22, rue d’ Amsterdam. M II s’agissait bien probablement d’un dessin de Francois Bau¬ delaire qualifie precedemment de ((detestable artiste)) mais dont son fils nonorait la memoire. — Voyez Ie tome II, pages 110- 1 1 1 et 168. (a_3) Romancier et auteur dramatique ( 1800-1883). Le 25 de¬ cembre, par une lettre que nous avons publiee dans Ie Bulletin du Bibliophile (aout-septembre 1939), il avait reclame a Baude¬ laire une somme de 412 fr. 50 , correspondant principalement a des avances de la Societe, et I’avait prie de s’acquitter de cette dette avant Ie ier decembre 1862, lui Iaissant d’ailleurs toute liberte pour en echelonner Ie reglement. — Au bas de ce billet : «Pour acquit, Ie 15 juillet 1862. — Michel Masson)). — En Ie publiant (voyez Figaro, 13 novembre 1937), M. Andre Billy formait le voeu qu’on I’accrochat au mur de la salle du Comite , a I’Hotel de Massa, derriere le fauteuil du president ou du dele¬ gue. Nous ignorons s’il fut exauce. DE CHARLES BAUDELAIRE. 33 692. A ARSENE HOUSSAYE(1). [Fin decembre 1861 (*!.] Mon ami, J e vous porterai demain quelque chose , quelque chose a quoi j’attache peut-etre une importance exageree, en raison du mal que je me suis donne pour bien faire. Enfin! je me pique qu’il y a la quelque chose de nouveau , comme sensation ou comme expression. Je crois que j’ai trouve Ie titre qui rend bien mon idee : La Lueur et la Fumee, poeme en prose, au minimum 40 poemes, au maximum 50. Dont 12 sont faits : L’Etranger. — Le Desespoir de la vieille. — Le Conjiteor de l’ Artiste. — La Femme sauvage. — - Eros , Plutus et la Gloire. — La Belle Dorothee. — Souper avec Satan. ■ — • Un Joueur genereux. — - La Chambre double. — La Fin du Monde. — Le Nou¬ veau Mitbridate. — Du baut des Buttes - Chaumont^ . (*~s) Cettre Iettre est-elle anterieure ou posterieure a celle au m£me qui est datee Noel 1861? II parait bien difficile d’en deci¬ der. Elle commence comme si elie apportait une surprise a son destinataire, et donne a croire qu’Houssaye n’etait pas au cou- rant des intentions de Baudelaire. Si bien qu’on serait tente d’abord de la placer avant la Iettre de Noel. En revanche notre poete v parle de sa candidature a I’Academie comme s’d conti- nuait les propos tenus dans I’autre Iettre, et meme y parle de notes sur sa candidature comme si Houssaye, dans I’intervalle , Iui en eut demande pour ses journaux. M II s’agit ici non de douze poemes, comme I’ecrivait Baude¬ laire, mais de onze, Un Joueur genereux etant Ie simple sous-titre de Souper avec Satan, ■ — onze dont les huit premiers se retrouve- ront a la table des Petits Poemes en prose, et les neuvieme et IV. 3 34 CORRESPOND ANCE GENERALE Votre idee de placer Ies choses alternativement dans [’Artiste et la Presse me sourit beaucoup(1). Les notes pour la candidature sont faites. (Le bruit m’est revenu que ma candidature etant un outrage a I’Academie, plusieurs de ces Messieurs ont decide qu’ils ne seraient pas visibles pour moi(2;. Mais c’est trop fantastique pour etre possible.) Tout a vous. Ch. Baudelaire. II j a Iongtemps que j’ai regu un paquet de japonneries. Je Ies ai partagees entre mes amis et amies, et je vous en ai reserve trois. Elle ne sont pas mauvaises (images d’Epinal, du Japon, 2 sols piece a Yeddo). Je vous assure que sur du velin et encadre de bambou ou de baguettes vermilion, c’est d’un grand effeE3). onzieme dans les listes de projets que nous avons donnees dans notre edition de cet ouvrage (pagjes 251 et 254,). Du dixieme seul nous ne savons rien, bien qu’il soit donne ici pour acheve. Quelle en pouvait etre la donnee? Peut-etre un nouvei apologue du poete qui, ayant epuise toutes les coupes empoisonnees du malheur, est parvenu a une immunite souveraine? (1) Ces deux lignes n’avaient pas ete donnees dans Ies recueils anterieurs. (2) «Le bruit)), a s’en rapporter a la lettre 693, aurait eu pour truchements Rozier et Wallon. (3> II nous a ete donne de voir, chez le fils de 1’editeur Maurice Dreyfous, plusieurs de ces estampes japonaises, encadrees de « baguettes vermilion » veinees d’or, qui avaient ete offertes a Fantin-Latour par notre auteur; elles sont reellement «d’un grand efTet». DE CHARLES BAUDELAIRE. 35 693. A MONSIEUR DE SAUX (1). 30 decembre 1861. Monsieur, II serait tout naturel que vous eussiez oublie que je vous ai rencontre deux fois, dans ces der- niers temps, et que je vous ai exprime 1’intention de m’adresser a vous et a M. Ie Ministre pour obtenir un soulagement a des genes non meritees. J’ai beaucoup tarde, jusqu’au dernier jour de I’an- nee, comme vous voyez. II y a dans ma conduite beaucoup de pudeur, une grande repugnance a m’adresser a un autre que moi-meme pour des besoins d’argent, et enfin la conviction, detestable sans doute, qu’il n’y a rien de moins interessant qu’un savant, un poete ou un artiste. Depuis que j’ai eu Ie plaisir de vous rencontrer, de nouveaux faits sont venus aggraver ma situation, particuliere- ment la degringolade de deux Revues , coup sur coup, dans Ie meme mois, deux Revues sur Ies- quelles je m’appuyais, dont I’une est la Revue Euro- peenne (2). II ne m’appartient pas de discuter si une administration fait bien en sacrifiant un journal (') Le destinataire de cette Iettre n’etait point M. Pelletier, comme I’ont era nos predecesseurs , mais Jules de Saux , chef de cabinet du comte Walewski, aucun doute la-dessus, car i° a Pheure ou elle fut ecrite, M. Pelletier avait rejoint M. Fould aux Finances; 2° dans le troisieme des rappels dont elle fera Pobjet (numeros 697, 707 et 710), on verra Baudelaire ecrire : «C’est de votre cabinet que partent les lettres d’audiences » , et ceci ne peut s’entendre que de M. de Saux puisque e’est aupres du comte Walewski que le poete demandait a etre introduit. L’autre etait la Revue fantaisiste, on Pa vu. 3- 36 CORRESPOND ANCE GENERALE qu’elle a fonde; elle fait peut-etre bien; mais je sais qu’il y a des ecrivains de quelque merite qui ne peuvent pas retourner aupres de M. de Calonne; Moi, par exemple, qui Iui ai rembourse une somme tres considerable pour avoir Ie droit de m’eloigner de Iui, et qui ne puis pas, a cause de mon nom, de mon rang et de mon age, accep¬ ter les prix ridicules qu’il ofifrira a ses collabora- teurs. D’ailleurs je n’ai contre Iui aucune haine, aucune rancune, et pour rien au monde je ne vou- drais Iui nuire(I). Enfin, Monsieur, ma situation est telle que je suis contraint de m’adresser a vous. Je n’ai jamais doute de votre bienveillance, mais vous devinez qu’il est vraiment dur pour un parfait ouvrier d’avouer que son metier ne Ie fait pas bien vivre. Une fois, line seule fois , exceptionnellement je desire- rais que M. Ie Mmistre voulut bien m’attribuer une de ces sommes qui tirent vraiment d’affaire un homme gene, en Iui Iaissant un Ioisir un peu long. Mille francs, par exemple. Pour moi ce serait une securite de trois mois. II y a plus de trois annees qu’un drame, destine a un gros theatre du Boulevard, dort dans ma chambre — mal fait, mal construit, et tou jours inacheve, par suite des mille tracasseries de la vie, — un grand drame politique (sans niaiserie courtisanesque) patrio- tique, et ou je voulais fondre I’element Iitteraire (') Cf. Ia lettre 688, page 23.. — II est piquant de rappro- clier de ces lignes les assurances que Baudelaire avait envoyees a Calonne en 1859, notamment dans sa lettre du ier fevrier (nu- mero 410), mais il faut admirer aussi I’audace avec laquelle notre etonnant solliciteur representait a I’administration des Beaux-Arts ses inconsequences et ses responsabilites. DE CHARLES BAUDELAIRE. 37 avec le plaisir des grands spectacles W. Certaine- ment c’est une bonne idee, et nous autres, poetes, nous sommes contraints a ces idees-la, nous sommes contraints de nous refugier dans des milieux ex-centriques , puisque Ies centres Iitteraires (comme la Comedie fran^aise) ne veulent plus jouer que de grands Vaudevilles sans couplets W. Si je pouvais obtenir de M. Ie Ministre ce que je Iui demande par votre entremise, je me sauve- rais bien vite dans ma solitude, pour venir decide- ment a bout de rentreprise. Je crois, Monsieur, que je tombe dans un mau- vais moment. Vous pourrez m’alleguer un budget epuise, Ies Ienteurs inseparables de toute admi¬ nistration, et enfin Ies dix jours de delai exiges entre la signature ministerielle et Ie paiement aux Finances. Mais je compte sur votre eminente bonne grace pour vaincre beaucoup de difficultes, meme celles avoisinant toujours Ie commence¬ ment d une nouvelle annee. Par Tinsistance que je vous montre, vous devi- nez I’urgence du service que je sollicite. Je puis vous avouer, pour joindre la chose comique a la chose triste, que dans ces derniers temps, ayant pose officiellement ma candidature a I’Academie, je me suis vu , et pour cause , prive du plaisir d’offrir une collection de mes oeuvres aux membres de I’Academie qui auraient pu avoir envie de Ies lire (3b Ce detail comique, si un homme est comique, 6) Cette definition de I’effort qu’ii poursuivait avec Le Marquis du i" bouzards se trouvait deja, a peu pres, dans la lettre 592, M Dans les textes anterieurs Ie que exclusif avait ete onus. — L’administrateur de la Comedie franfaise etait alors Edouard Thierry. (J) Cf. Ia lettre 688, page 23. 38 CORRESPONDANCE GENERALE qui veut qu’on Iui rende justice, suffit a vous prou- ver que cette Iettre (d’un caractere un peu grognon peut-etre) est ecrite pour vous seul, — - a morns que vous ne jugiez bon de la montrer a M. Ie Mi- nistre. Mais j’etais connu de M. Fould; je ne Ie suis pas de M. Walewski. En somme, je vous serai infiniment oblige de n’en communiquer a M. Bel- Iaguet que la substance. Sans(1) avoir I’honneur d’etre lie avec vous, je vous ai ecrit d’une fa£on presqu’intime. J’espere que j’ai bien fait, sachant a quel esprit je m’adressais. — Avec ma gratitude, veuillez agreer, Mon¬ sieur, I’assurance de mes meilleurs sentiments. Charles Baudelaire. 22, rue d’ Amsterdam. 694. A EDMOND TEXIER. 30 decembre 1861. Mon cher Texier, je n’avais pas vu dans votre chronique hebdomadaire du Siecle (qui n’a pas paru un dimanche) I’excellente phrase qui me concerne. On me I’a montree depuis, et je vous en remercie. II etait impossible de dire mieux : « Voila une candidature qui echouera certaine- ment et qui pour nous n’est pas ridicule. » Vous avez pourvu au danger®. (R uSans avoir Fhonneur. . . » et non uPour avoir I’honneur», comme on avait lu anterieurement. Voici ce qu’avait ecrit Texier dans Ie Siecle du 23 de¬ cembre : «Je reviens a Paris tout expres pour m’enquerir de cette double election academique, qui vaut tant de visites a DE CHARLES BAUDELAIRE. 39 Voici janvier. II est necessaire que je vous donne mon adresse pour Ies epreuves du Guys. J’aurai a avertir immediatement Malassis, qui tient peut- etre toujours a faire une brochure, pour qu’il ait a s’entendre avec votre imprimerie. On ne rema- niera pas Ies Iignes, on coupera simplement une colonne en deux ou en trois^. (Si nous avions eu du Ioisir et si on avait pu consacrer quelque argent a cette fantaisie, il y avait moyen de faire, a propos de cet article, une exhibition des dessins de Guys, des plus enormes et des plus singuliers. Mais ceci est un reve a envoyer au diable, d’abord parce qu’il est trop tard, ensuite parce que nous ne pourrions pas trouver de traducteurs pour traduire sur bois la bizarrerie de Guys, et enfin parce que nous aurions, en ce cas, besoin de Guys Iui- meme, qui est Ie moins maniable et Ie plus fan- tastique des homines). Tout a vous Ch. Baudelaire. 22, rue d’Amsterdam. MM. Ies Quarante [...] Jamais du reste, la Iiste des candidats n’avait ete plus nombreuse : on parle de Theophile Gautier, d’Autran, de Jules Janm, de Cuvillier-FIeury, de M. Feuillet, et aussi de M. Baudelaire, un poete audacieux, traducteur d’Edgar Poe, et qui est lui-meme I’Edgar Poe du vieux monde. Le jour ou M. Baudelaire fera son entree solennelle sous la cou- pole, si toutes Ies vitres de ce venerable palais Mazarin n’eclatent pas en nulle pieces, il faudra croire que Ie dieu de la tradition classique est decidement mort ou enterre. » 0) Cette lettre est, a notre connaissance, la seule ou il ait ete question de faire une brochure avec Le Peintre de la Vie moderne qui d’ailleurs, finalement, ne paraitra pas dans I’ Illus¬ tration, on I’a dit. 4o CORRESPONDANCE GENERALE 695. A POULET-MALASSIS. [27, rue Neuve Breda. (En cas d’absence Iaisser la Iettre)]. [Decembre 1861.] Mon cher ami, Pour une raison quelconque je ne peux pas sor- tir. Pouvez-vous venir a mon hotel a I’heure du diner? Vous m’epargneriez la fatigue d’une longue Iettre. Texier(1) a qui j’ecris encore renvoie notre Guys ® de semaine en semaine; la fin de fevrier va amener vos 600 fr. D’un autre cote Ies poemes en prose , auxquels je travaille, paraitront de mois en mois moitie a I ’Artiste , moitie a la Presse (vendus a Houssaye)(3). Je voudrais trouver un moyen de tirer des poemes en prose la totalite approximative de Ieur valeur (en journal) et vous Iaisser Ies 600 fr. necessaires. Le premier numero sera Ie ier fevrier. En tout cas, venez me voir, et dites a ce gar^on si c’est pour ce soir. — Toute demarche acade- W Voir la Iettre precedente. <2) Les pourparlers avec I’ Illustration au sujet du Peintre de la vie moderne allaient durer plusieurs mois, sans aboutir. Baudelaire dit ici unotre Guysw soit pour marquer que Ie prix de Particle — il ne I’oublie pas — doit revenir a Poulet-Malassis, soit pour rappeler a celui-ci sa promesse de recueillir ces pages-Ia dans une brochure. (3) A l’heure ou il tra^ait ces Iignes, son desir, comme il arriva souvent, anticipait sur Ie cours des choses : c’est seulement a la fin d’aout 1862 que la Presse commencera de publier des « petits poemes en prose ». Quant a Y Artiste, il n’en donnera jamais que trois (i"novembre 1864). DE CHARLES BAUDELAIRE. 41 mique se trouve forcement interrompue par cette necessite de travail. A ce propos, Rozier m’a dit tenir de Wallon qu’un tres grand nombre d’Academiciens avaient decide que ma candidature devant etre tenue pour un outrage a I’Academie, ils auraient soin de n’etre pas visibles pour moPR Une pareille sottise est-elle possible? Tout a vous. C. B. 1862 696. A MADAME AUPICK. [Environ 15 janvier 1862.] Ma Chere Mere, je me suis toujours defie de la poste d’Honfleur. Cependant, je ne sais pas si l’insuffisance est constatee a Paris ou a Honfleur. Pour la derniere Iettre, je me suis evidemment trompe, c’est-a-dire que j’ai ete distrait. L’avant- derniere, la longue, portait quatre timbres-poste de deux sous, done huit sous. Tu as paye un sur¬ plus de 16 sous, total 24 sous. Est-ce vraiment possible? Elle aurait done paye autant que Ie Bou¬ levard pour Iequel tu as paye 24 sous et qu’on [a] voulu considered je ne sais pourquoi, comme Iettre. Ceci est encore plus obscur. Tout grand jour- (*) Cf. la Iettre 692, in fine. 42 CORRESPONDANCE GENERALE nal s’afFranchit avec un sol. Le Boulevard n’est qu’une feuille comme la Presse ou Ie Siecle, pliee en deux, en quatre ou en huit. Or, il etait afifran- chi d’un timbre de deux sols , ce qui est un sol de trop. Et il coute en arrivant 24 sols de supplement; il est done considere et paye comme Iettre; pour- quoi? II faut Ie demander au facteur la premiere fois qu’il viendra chez toi, surtout si tu as conserve Ie journal. Tu auras ainsi I’explication, et tu me la transmettras. Remarque bien que Ie Boulevard etait, non pas sous enveloppe, mais sous bande, et affranchi comme imprime, de deux sols un sol de trop. Je suis convaincu que dans Ies bureaux de province, il y a une foule de petites irregularites. Ne m’envoie pas de Iettre pour M. Guizot. Je Ie ferai prevenir de ma visite par son fils, avec qui j’ai ete Iie(1). Le travail dont je t’ai parle s’appelle : Constan¬ tin G., peintre de moeurs. On me promet qu’il parai- tra prochainement a l’ Illustration, journal dont on regarde Ies images, mais qu’on ne lit pas. Et puis ce sera morcele en 4 fois. Je n’ai certainement pas renonce a mes projets de retraite, non plus qu’au plaisir de te rapporter successivement de I’argent; mais il faut que cette crise soit calmee. Je vais passer un mois terrible, ayant sur Ies bras Ies creanciers, I’affaire de mes visites, et la necessite de travailler. II faut que je trouve moyen , chaque jour, de calmer Ies gens, de travailler, de faire mes visites, et enfin de placer Ie travail et de M Voyez tome II, page 58, note 2. DE CHARLES BAUDELAIRE. 43 Ie faire payer tout de suite. Tout cela demande une grande fixite de caractere, et pas de distrac¬ tion. Ma sante? dis-tu. Toujours la ineme chose. Une sante robuste, traversee a chaque instant de dou- Ieurs et de faiblesses nerveuses. Je me suis apenpu que tres souvent, Ies angoisses, Ies peurs, Ies mau- vais sommeils, et meme Ies maux de reins, co'fn- cidaient avec des mauvaises digestions. Voila a quoi se bornent mes decouvertes. Mais I’accident a lieu deux jours sur trois. Je t’ecrirai sans doute Dimanche et te dirai s’iI y a du nouveau. Je t’envoie deux feuilletons ou il n est nulle- ment question de moi, mais qui m’ont amuse; je presume qu’ils t’amuseront. Je Ies affranchis de deux sols, ce qui fait un sol par journal, ce que paye tout Ie monde, ce que payait M. Emon, quand il t’adressait Ie journal. Je t’embrasse et te remercie de nouveau. Charles. 697. a monsieur de saux(1E Dimanche 19 janvier 1862. Monsieur, II y a un peu plus d’une vingtaine de jours que je vous ai ecrit pour solhciter une somrne d’argent de M. Ie Ministre par votre entremise(2). Le chiffre que je me suis permis d’indiquer etait un peu fort; mais je crois que, sans compter votre bienveil- Iance, j’avais quelques raisons plausibles pour aller (i-J) Voyez page 35, note 1. 44 CORRESPONDANCE GENERALE jusque la, ainsi que je I’expliquais , dans cette lettre d’un caractere presque confidentiel, et ou je vous suppliais de sauter, s’il etait possible, par- dessus toutes Ies Ientes formalites d’un ministere. Ces vingt jours ecoules, j’ai * commence a craindre que la poste n’eut egare ma lettre, ou que quelqu’un ne I’eut prise au ministere; vous faire une visite, vous savez, Monsieur, combien c’est difficile. Vos huissiers exigent une lettre d’au- dience ou barrent Ie passage. Et en verite, vous etes tellement ahuri d’affaires qu’il faut etre discret a I’endroit de votre temps. Considerez seulement, Monsieur, quelle est la situation d’un homme qui vous demande un service , et qui peut rester vingt jours , quarante jours meme , sans savoir si sa demande a ete agreee , si meme elle est parvenue. Je connais, Monsieur, votre gracieusete et votre obligeance; et je sais que vous etes vous- meme gene par cette Ioi de Ienteur qui gouverne toutes Ies administrations. Cependant je me re- commande encore une fois a vous pour activer la solution de mon affaire, quelque [sic] puisse etre cette solution, et de [pour] jeter un coup d’oeil sur ma lettre primitive (fin Janvier) (1) si elle est encore entre vos mains. C’est avec une parfaite confiance dans votre bonne grace que je vous prie, Monsieur, d’agreer I’assurance de mes sentiments Ies plus distingues. Charles Baudelaire. 22, Rue d’Amsterdam. (') Lapsus evident; il faut lire : fin decembre. I DE CHARLES BAUDELAIRE. 4* 698. A SAINTE-BEUVE. [Environ 25 janvier 1862.] Encore un service que je vous dois! Quand cela finira-t-il? — - Et comment vous remercier? L’article m’avait echappe(1). Cela vous explique Ie retard que j’ai mis a vous ecrire. Quelques mots, mon cher ami, pour vous peindre Ie genre particulier de plaisir que vous m’avez procure. — J’etais tres blesse (mais je n’en disais rien) de m’entendre, depuis plusieurs annees, traiter de Ioup-garou, d’homme impos¬ sible et rebarbatif. Une fois, dans un journal mechant, j’avais Iu quelques Iignes sur ma repul¬ sive Iaideur, bien faite pour eloigner toute sym- pathie (c’etait dur pour un homme qui a tant aime Ie parfum de la femme). Un jour une femme me dit : «C’est singulier, vous etes fort convenable; je croyais que vous etiez toujours ivre et que vous sentiez mauvais. » Elle parlait d’apres la Iegende(2). Enfin, mon cher ami, vous avez mis bon ordre a tout cela, et je vous en sais bien du gre, — moi qui ai toujours dit qu’il ne suffisait pas d’etre savant, mais qu’il fallait surtout etre aimable. (1) Des procbaines elections a I’Acade'mie, article paru au Constitu- tionnel Ie 20 janvier. Cette date implique que la lettre a Sainte- Beuve doit etre placee non pas avant la lettre a de Saux, comme on la voit dans la Correspondance , mais apres. W Nous ne savons de quel ((journal mechant)) il s’agit. Quant a la femme, ce pourrait bien avoir ete Mme Paul Meurice chez ui une exquise bonte compensait des audaces parfois brutales. 4 6 CORRESPONDANCE GENERALE Quant a ce que vous appelez mon Kamscbatbaw, si je recevais souvent des encouragements aussi vigoureux que celui-ci, je crois que j’aurais la force d’en faire une immense Siberie, mais une chaude et peuplee. Quand je vois votre activite, votre vita- Iite, je suis tout honteux; heureusement j’ai des soubresauts et des crises dans Ie caractere qui rem- placent, quoique tres insuffisamment, faction d’une volonte continue. Faut-il maintenant que moi, famoureux incor¬ rigible des Rayons jaunes et deVolupte^1, du Sainte- Beuve poete et romancier, je complimente Ie jour- nahste? Comment faites-vous pour arriver a cette certitude de plume qui vous permet de tout dire et de vous faire un jeu de toute difficulte? Cet article n’est pas un pamphlet, puisque c’est une justice. Une chose m’a frappe, c’est que j’ai re- trouve la toute votre eloquence de conversation, avec son bon sens et ses petulances (3). (Vraiment, j’aurais voulu j collaborer un peu (*) La phrase est celebre, oil Sainte-Beuve resumait I’impres- sion que Iui avaient faite les Fleurs du Mai : < (Ce singuher kiosque, fait en marqueterie d’une originalite concertee et composite, qui, depuis quelque temps, attire les regards a la pointe extreme du Kamtschatka romantique, j’ap- pelle cela la folie Baudelaire. » Et Fernand Vanderem n’avait certainement pas tort quand il relevait toute l’injustice et la malice que voilaient de telles Iou- anges (voir sa plaquette : Baudelaire et Sainte-Beuve, Leclerc, 1917, oil i’envie ct Ie mauvais vouloir du Lundiste a I’egard de notre pocte sont montres avec une implacable Iogique). f23) On sait que, non content de cette lettre de remerciements , Baudelaire, quelques jours plus tard, dans un article anonyme : Une Reforme a I'Academie, qui parut dans la Revue anecdotique, deuxieme quinzaine de janvier, et que nous avons reproduit dans le tome I de notre edition des J UVENILIA , GiUVRES POST- HVMES, Reliquiae, rendait a Sainte-Beuve les eloges qu’il DE CHARLES BAUDELAIRE. /py (pardonnez cet orgueil); j’aurais pu vous faire don de deux ou trois enormites que vous avez omises par ignorance. Dans une bonne causerie, je vous conterai cela.) Ah ! et votre utopie ! le grand moyen de chasser des elections le vague, si cber aux grands seigneurs ! Votre utopie m’a donne un nouvel orgueil. Moi aussi, je I’avais faite, I’utopie, la reforme; — est-ce un vieux fond d’esprit revolutionnaire qui m’y poussait, comrae aussi, il y a Iongtemps, a faire des projets de constitution?^) II y a cette grande difference que la votre est tout a fait viable, et que peut-etre le jour n’est pas loin ou elle sera adoptee. P. Malassis brule de faire une brochure avec votre admirable article, mais il n’ose pas vous aller voir; il croit que vous Iui en vouIez(2). Promettez-moi, je vous prie, de trouver quel- ques minutes pour repondre a ce qui suit : Un grand chagrin, la necessite de travailler, des cn avait regus. Plusieurs passages d ’Une Reforme sont a rappro- cher de sa Iettre, par exemple : «Ceux qui ont l’honneur de connaitre intimement I’auteur de Joseph Delorme [•••], savent apprecier en Iui [...] une conversa¬ tion dont I’eloquence [. ..] n’a pas d’analogue, meme chez Ies f)Ius renommes causeurs. Eh bien! toute cette eloquence fami- iere est contenue ici. Rien n’^r manque [...]. Tout y est, meme I’utopie. M. Sainte-Beuve , meme pour chasser des elections le vague, si naturellement cber aux grands seigneurs , desire que I’ Aca¬ demic frangaise, assimilee aux autres Academies, soit divisee en sections : Iangue, theatre, poesie, histoire, eloquence, roman [...]. Ainsi, dit-il, il sera possible de discuter, de verifier Ies titres et de faire comprendre au public la legitimitc d’un choix.» t1) Allusion a sa courte participation au mouvement revolu¬ tionnaire de 1848. (5) Dans sa reponse (26 janvier), Sainte-Beuve dira cette crainte denuee de tout fondement; cependant Poulet-Malassis ne fit pas la brochure en cause. 48 CORRESPOND ANCE GENERALE douleurs physiques, dont une vieille blessure(1), ont interrompu mes operations. J’ai enfin i£ exemplaires de mes principaux bouquins. Ma Iiste de distribution, tres restreinte, est faite (2). Je crois de bonne politique d’opter pour Ie fau- teuil Lacordaire. La, il n’y a pas de litterateurs. C’etait primitivement mon dessein, et, si je ne I’ai pas fait, c’etait pour ne pas vous desobeir, et pour ne pas paraitre trop excentrique. Si vous croyez mon idee bonne, j’ecrirai avant mercredi prochain une lettre a M. Villemain, ou je dirai brievement qu’il me semble que I’option d’un candidat ne doit pas etre seulement dirigee par Ie desir du succes, mais aussi doit etre un hommage sympathique a la memoire du defunt. Aussi bien Lacordaire est un pretre romanlique, et je I’aime. Peut-etre glisserai- je dans la lettre Ie mot romantisme , mais non sans vous consuIter(3), II faudra bien que ce terrible rheteur, cet homme si grave et si peu aimable , Iise ma lettre ; cet homme (l> «... un grand chagrin)), le meme sans doute qu’d mention- nera dans sa lettre a sa mere du 17 mars suivant (ou faudrait- il penser a la mort de J. G. F. qui, d’apres la dedicace des Para¬ dis artifciels, etait tres malade au mois de mai precedent?) — «... une vieille blessureo, Ie reveil de son affection verolique? Peut-etre convient-il de se souvenir ici du navrant passage de Fusees : «J’ai cultive mon hysterie avec jouissance et terreur. Maintenant, j’ai toujours Ie vertige, et aujourd’Iiui 23 janvier 1862, j’ai subi un singulier avertissement, j’ai senti passer sur moi Ie vent de I’aile de l’imbecdlite. » W De distribution a des Academiciens. (3) Dans sa reponse ci-dessus mentionnee, Sainte-Beuve Iui deconseillera absolument de « poser par une lettre cette antithese Lacordaire)) : «ce choix expres du Lacordaire, Ie catholique-roman- tique, paraitrait excessif et choquant, ce que votre bon gout de candidat ne veut pas tairei). DE CHARLES BAUDELAIRE. qui preche en causant, avec la physionomie et la solennite (mais non pas avec la bonne foi) de M Lenormant. J ai vu cette demoiselle ^ en robe de professeur, ramassee dans son fauteuil comme un Quasimodo, et elle avait sur M. Villemain 1 avantage d’une voix tres sympathique. Si, par hazard, M. Villemain vous est cher®, je retire immediatement tout ce que je viens de dire; et, pour I amour de vous, je m’apphquerai a Ie trouver amiable. Cependant, je ne puis pas m’empecher de pen- ser que , comme papiste , je vaux mieux que Iui. . . , et cependant je suis un cathohque bien suspect. Je veux, malgre ma tonsure et mes cheveux blancs, vous parler en petit gar?on. Ma mere, qui s’ennuie beaucoup, me demande sans cesse les nouveautes. Je Iui ai envoye votre article. Je sais quel plaisir maternel elle en tirera. Merci pour moi et pour Elle. Votre bien devoue. Ch. Baudelaire. 22, rue d’Amsterdam. O Dans son billet da 3 mai i860 a Poulet-Malassis , nous avons vu Baudelaire mentionner une tireuse de cartes dont une prediction s’etait deja realisee. Mais a moins de supposer qu’il ne s’agit la d une prediction fort ancienne, ce ne pouvait etre 1’illustre devineresse, celle-ci etant au tombeau depuis 1843. (3) Non , Villemain n’etait pas cher a Sainte-Beuve , bien au contraire : dans ses Cahiers on voit Ie Lundiste faire provision de venin pour le cas ou rl en viendrait, avec Ie Secretaire per- petuel, aux hostilites declarees; mais il Ie menageait. IV. 4 5° CORRESPONDANCE GENERALE 699. A GUSTAVE FLAUBERT [Environ 2_j janvier 1862.] Mon cher Flaubert, j’ai fait un coup de tete, une folie, que je transforme en acte de sagesse par ma persistance. Si j’avais Ie temps suffisant (ce serait fort long), je vous divertirais beaucoup en vous racontant mes visites academiques. On me dit que vous etes fort lie avec Sandeau (qui disait, il y a quelque [temps], a un de mes amis : M. Baudelaire ecrit done en prose?) Je vous serais infmiment oblige si vous Iui ecriviez ce que vous pensez de moi. J’irai Ie voir et je Iui expliquerai Ie sens de cette candidature, qui a tant surpris quelques-uns de ces messieurs. II y a bien Iongtemps que je desire vous envoyer une brochure sur Wagner, et puis, je ne sais plus quoi. Mais, ce qui est bien ridicule pour un can- didat, je n’ai pas un Iivre de moi chez moi. Sainte-Beuve a fait Iundi dernier, dans Le Constitutionnel , a propos des candidats, un article (B La reponse de Flaubert datee «Dimanche soirw, a ete don- nee par Ie Manuscrit autographe , numero special consacre a Charles Baudelaire (1927, Blaizot, ed.). L’ermite de Croisset y marquait Ie plus vif etonnement : «Malheureux ! vous voulez done que la coupole de FInstitut s’ecroule ! Je vous reve entre Villemain et Nisard ». II acquies?ait neanmoins : «Le premier devoir d’un ami est d’obliger son ami. Done sans rien comprendre a votre lettre, je viens d’ecrire a Sandeau en le priant de voter pour vous». DE CHARLES BAUDELAIRE. 5 1 chef-d’oeuvre, un pamphlet a mourir de rireT Tout a vous. Votre bien devoue. C. B. 22, Rue d’Amsterdam. 7OO. A ALFRED DE VIGNY. Dimanche 26 janvier 62. Monsieur, Je suis bien persuade que vous ne m’avez pas cru capable d’oublier un instant votre admirable accueil (2 , ni la permission que vous m’avez donnee de compter sur vos conseils. Dans la fin de de- cembre et au commencement de ce mois, j’ai fait quelques efforts inutiles pour trouver quelques- uns de ces messieurs que je tenais vivement a voir, MM. Sandeau, de Sacy, Ponsard, Saint-Marc Girardin, Legouve. Puis, je me suis senti repris par mes nevralgies periodiques ( mes seuls titres aupres de M. Viennet ); puis par une grosse dou- leur morale, une de celles qui ne veulent pas etre dites{3) (comme disent Ies Anglais); puis par un accident physique (4); puis, enfin, par 1’imperieuse necessite de travailler. En voila plus qu’il n’en faut pour expliquer Ie decouragement dans une tenta¬ tive aussi paradoxale que la mienne. Cependant je vais m’y remettre activement. Je possede main- tenant un nombre suffisant d’exemplaires de mon W Voir la lettre precedente. (2"4) Voyez Ie numero 685 , et la note 1, page 48. 4. 52 CORRESPONDANCE GENERALE petit bagage Iitteraire pour en faire quelques hom- mages. Je consacrerai tout Ie commencement de fevrier a mes visites. Tout bien considere, je ne suis pas facfie d’avoir tant lambine; cela m’a permis de reflechir sur une foule de choses que je ne connaissais guere. Avant de prendre une decision definitive , j’ai voulu avoir votre avis. Selon votre reponse(1), j’ecrirai, avant mercredi, une Iettre a M. Ville- main, destinCe a etre communiquee a MM. de I’Academie. Cette Iettre, d’une forme un peu abandonnee, comme peut I’etre cede d’un novice, dira en sub¬ stance que, a defaut d’une ressemblance complete entre les ouvrages du difunt et ceuxdu candidat , I’entbousiasme du dernier me parait une raison sujfsante d’option , dans le cas de deux fauteuils vacants; Que, d’apres cette theorie , le candidat le plus parfait quon puisse supposer devrait s’abstenir, s’il ne trouvait pas dans la vie et les ouvrages du defunt autre chose que des motifs d’ admiration raisonnee , c’est-a-dire la sym- pathie et I’entbousiasme; P) La reponse de Vigny, datee du Iendemain meme, 27 jan- vier, et qu’on trouvera reproduite in E.-J. CfiEPET, pages 441- 442, allait etre des plus cordiales. Le poete A’Eloa y protestait a’abord contre le titre des Fleurs du Mai : «J’ai besoin de vous dire combien de ces Fleurs sont pour moi des Fleurs du Bien et me charment; combien aussi je vous trouve injuste envers ce bouquet souvent si delicieusement parfume de printanieres odeursi). Puis, se meprenant sur Ie sens de la Iettre de Baude¬ laire, et croyant comprendre que la candidature de son jeune emule n’etait encore qu’a l’etat de projet, il deconseillait formel- Iement de la pousser plus loin, ajoutant qu’au cours d’un pro¬ chain entretien, il en donnerait ses motifs. Et il concluait : «Venite ad men. DE CHARLES BAUDELAIRE. 5 3 Que , le pcre Lacordaire excitant en moi cette sym¬ pathy , non seulement par la valeur des choses cju’il a dites , mais aussi par la beaute dont il les a revelues, et se presentant a /' imagination non-seulement avec le carac- tere cbretien, mais aussi avec la couleur romantique (j’arrangerai cela autrement), je prie M. Ville- main d’instruire ses collegues que j’opte pour le fauteuil du pcre Lacordaire Parce moyen, il me semble que je gagne quel- ques jours de plus, que je pourrai peut-etre, me trouvant seul en face de M. de Broglie, puisque Philarete Chasles se retire, obtenir quelques voix d’bommes de lettres{2K Et enfin , le sentiment et I’instinct me persuadent qu’il faut toujours se conduire utopiquement , c’est- k-dire comme si on etait sur d’etre elu, quand meme on est certain de ne pas 1’etre. La premiere fois que je parlai de mon projet a Sainte-Beuve, il me dit, en riant : «C’est fort bien, je reconnais votre caractere; votre tentative ne m’etonne pas; je parierais que, pour completer votre audace, vous allez opter pour le fauteuil de Lacordaire». En verite, c’etait mon intention; mais cette plaisanterie me deconcerta, et je craigms de paraitre trop excentrique, surtout aux yeux des gens qui ne me connaissent pas du tout. Si je voulais pousser ma demonstration de la La Iettre a Villemain, dont le canevas finit la, ne fut jamais ecrite. (») Baudelaire se flattait ici, ties certainement , d’un vain espoir. Il n’aurait pas mieux reussi le 21 fevrier qui vit le prince Alfred de Broglie succeder au P. Lacordaire, que le 6 ou son nom ne fut pas meme prononce au cours des treize scrutins qui firent renvoyer a deux mois de date I’eiection au fauteuil de Scribe. 54 CORRESPOND ANCE GENERALE necessite de sympathie jusqu’a I’extreme rigueur, je composerais une etude critique et biographique sur le pere Lacordaire, et je la ferais imprimer au moment de la reception du candidat; mais c’est la une gageure de prodigue, et il suffit qu’il y ait dans ce projet un peu d’impertinence pour que je Ie repousse. Je ne prendrai pas de decision avant d’avoir regu votre avis. Je dois vous dire que j’ai ecrit une Iettre a peu pres analogue a mon excellent ami Sainte-Beuve, et que j’attends egalement une reponse de Iui J’ai ete serieusement malade, mais, abstrac¬ tion faite de la sante, de la paresse, du travail et de plusieurs autres considerations, j’eprouvais un certain embarras a me retrouver devant vous, apres vous avoir envoye mes Iivres. Songez, Monsieur, a ce que peuvent etre, pour nous autres litterateurs de quarante ans, ceux qui ont instruit, amuse, charme notre jeunesse, nos maitres, enfin ! Vous n’avez peut-etre pas devine la raison pour laquelle je vous ai adresse un petit journal conte- nant quelques vers de moi(2) : c’etait simplement a cause d’un sonnet sur un certain coucher de soleil, ou j’avais essay e d’exprimer ma piete ! Parlez-moi sans fa^on, je vous en prie, car, dans des matieres dont j’ai si peu I’experience, il n’y aurait pas de honte pour moi a mal raisonner. Je vous prie d’agreer, Monsieur, une fois de M Voyez la note 3 , page 48. Le Boulevard (12 janvier) ou avait paru Le Coucher du Soleil romantiaue. DE CHARLES BAUDELAIRE. 55 plus, I’expression de ma gratitude et de ma sym- pathie toute devouee. Charles Baudelaire. 22, rue d’ Amsterdam. 701. AU meme. [Fin janvier?] Monsieur, Voici le terrible article Sainte-Beuve, Ie mani- feste (1). Voici, en outre, deux sixains d’excellentes bal¬ lades de Th. de Banville, qui certainement vous interesseront(2). Je puis bien, sans honte, mettre des sonnets dans Ie Boulevard, puisqu’un poete tel que Ban¬ ville veut bien m’y tenir compagnie{3). Tous les effroyables compliments dont vous avez bien voulu accabler mes vers me donnent a craindre pour mes elucubrations en prose (4). Mais (0 L’article du 20 janvier : Des procbaines elections a I’Academie (voyez la Iettre 698^). (a) Ces deux sixains de ballades, parus au Boulevard (5 et 19 janvier), avaient en effet de quoi interesser Vigny, car, ainsi que i’a fait remarquer M. Jean Pommier ( Dans les chemins de Baude¬ laire, page 227), le premier exprimait les regrets de Banville pour Pan 1830 et renfermait de plus un souvenir a I’adresse tant de Vigny que de Marie Dorval. (3) Voyez la Iettre precedente, note 2. (4) Dans sa reponse, Vigny etait reste muet quant aux poemes en prose que Baudelaire lui avait envoyes un mois et demi auparavant (Iettre 685). J 6 CORRESPONDANCE GENERALE vous m’avez donne la soif de votre sympathie. On s’oubhe si bien a cote de vous, Monsieur, que j’ai neglige hier de vous parler de la bonne ale et de la mauvaise ale. Puisque vous voulez essayer de ce regime, defiez-vous comme de la peste (ce n’est point exagerer; j’en ai ete malade) de toute bouteille portant I’etiquette Harris. C’est un affreux empoisonneur. Bien qu ’Allsopp et Bass soient de bons fabri- cants ( Bass surtout), il faut bien se defier de meme de Ieurs etiquettes, parce qu’il doit exister des contrefacteurs. Le plus raisonnable est de vous adresser a Fun des deux endroits honnetes que je vais vous indiquer et de prendre leur ale, de con- fiance. Rue de Rivoli , presque aupres de la place de la Concorde, un norame Gougb , qui tient un bureau de locations d’appartements, et vend en meme temps des vins espagnols et des bieres avec des liqueurs anglaises. Puis , a deux pas de chez moi , sans doute au 26 , rue d’ Amsterdam , a la taverne Saint-Ausiinw. II ne faut pas la confondre avec une autre taverne qui la precede et qui est tenue par des Allemands; biere et porter y sont excellents et a bon mar- che. Je crois que Gough vend aussi de tres vieille ale, outre ses ales ordinaires, mais elle est d’une force extreme. Vous ne trouverez pas mauvais, n’est- ce pas? que je m’ingere dans ces petits details qui interes- (I) Les tavernes de la rue d’Amsterdam sont maintes fois nominees dans le Carnet. DE CHARLES BAUDELAIRE. 57 sent votre hygiene et que je vous fasse part de mon experience parisienne. Votre bien devoue et bien reconnaissant. Charles Baudelaire. II m’est, pourle moment, impossible de retrou- ver Le Corbeau , avec la Metbode de Composition qui Iui sert de commentaire ^ 2i. 7 02. A GUSTAVE FLAUBERT. 31 janvier 1862. Mon cher Flaubert, Vous etes un vrai guerrier. Vous meritez d’etre du Bataillon Sacre. Vous avez la foi aveugle de l’amitie(3J, qui implique la vraie politique [dc]. Mais, parfait solitaire, vous n’avez done pas Iu le fameux article de Sainte-Beuve sur I’Academie et Ies candidatures, (^a a fait la conversation d’une (I) Sous le titre collectif: La Genese d'un poeme, ces deux mor- ceaux avaient paru dans la Revue francaise le 20 avril 1859. On Ies a recuedlis, dans cette collection, a la suite d 'Eureka. En pubhant cette lettre, Etienne Charavay qui en avait sous les ytux le manuscrit autographe, signalait qu’elle presente «une particularity qui n’est pas insigniliante. Elle est coupee et comme hachee d’alineas tres courts. Beaucoup de mots y sont soulignes [observation qui s’applique pareillement a la lettre au menie en date du 26 janvier]. Or, les medecins alienistes ont, remarque que, dans la premiere phase des affections mentales, le malade ne peut ecrire sans eprouver le besoin de mettre les mots en vedette, de les detacher et de les soulignern. (5) Voyez page 50, note 1. 58 CORRESPONDANCE GENERALE semaine et ga a du retentir d une fa$on violente dans I’Academie(1). Maxime du Camp m’a dit que j’etais desho- nore(2), mais je persiste a faire mes visites, bien que certains academiciensaient declare (mais est-ce bien vrai?) qu’ils ne me recevraient meme pas chez eux(3). J’ai fait un coup de tete, dont je ne me repens pas. Quand meme je n’obtiendrais pas une seule voix, je ne m’en repentirai pas. Une elec¬ tion a lieu le 6 fevrier, mais c’est a propos de la derniere (Lacordaire, Ie 20 fevrier) que je tache- rai d’arracher deux ou trois voix. Je me trouverai seul (a moins qu’il ne surgisse une candidature raisonnable) en face du ridicule petit prince de Broglie, fils du due, academicien vivant(4). Ces gens-Ia finiront par faire I’election de Ieurs con¬ cierges, si ces concierges sont orleanistes. A bientot, nous nous verrons sans doute. Je reve toujours la solitude, et si je partais avant votre Un billet adresse par Sainte-Beuve a la direction de la Revue anecdotique en remerciement des pages anonymes ou Bau¬ delaire avait celebre son article : Des proclaines elections a V Acade¬ mic (voyez les notes 2-3, page 3.6), temoigne que si 1’emoi avait pu etre grand au quai Conti, on n’en avait du moins rien Iaisse paraitre : «Ce 3 fevrier. — Je suis bien touche et reconnaissant de la maniere dont I’auteur de la Revue anecdotique a bien voulu parler de 1’article sur 1’Academie et de l’appui qu’il vient me donner dans cette question. « II n’y a eu, a la seance qui a suivi, rien de particulier, aucune interpellation, et les choses se sont passees comme a l’ordinaire. «Je salue et respecte Ie bienveillant anonyme.M Du Camp sera re?u a I’Academie en 1880. P) Voyez la note 2, page 22. M On sait que, dans l’intervalle , Baudelaire allait retirer sa candidature. DE CHARLES BAUDELAIRE. 59 retour, je vous ferais une visite de quelques heures Ia-bas {1). Comment n’avez-vous pas devine que Baude¬ laire, ga voulait dire : Auguste Barbier, Theophile Gautier, Banville, Flaubert, Leconte de Lisle, c est-a-dire Iitterature pure? (^’a ete bien compris tout de suite par quelques amis et ga m’a valu quelques sympathies. Merci et tout a vous. Ch. Baudelaire. Avez-vous observe qu’ecrire avec une plume de fer, c’est comme si on marchait avec des sabots sur des pierres branlantes(2) ? 703. AU MEME. Paris, 3 tevrier 1862. Mon cher ami, M. Sandeau a ete charmant, sa femme a ete charmante, et je crois bien que j’ai ete aussi char¬ mant qu’eux, puisque nous avons fait a nous tous un concert d’eloges en votre honneur, si harmo- nieux que cela ressemblait a un veritable trio exe¬ cute par des artistes consommes. Pour mon affaire, Sandeau m’a reproche de Ie prendre a 1’improviste. J’aurais du Ie voir plus tot. R) Cette visite ne devait jamais prendre place. (s) Comme la plupart des ecrivains de sa generation , Baude¬ laire usait de plumes d’oie. 6 o CORRESPONDANCE GENERALE Cependant il parlera pour moi a quelques-uns de ses amis de I’Academie : « et peut-etre , peut-etre pour- rai-je, dit-il, arracher quelques voix de protestants dans Ie vote pour Ie fauteuil Lacordaire (xb>. C est tout ce que je desire. Serieusement, I’enthousiasme de Madame San- deau pour vous est grand, et vous avez en elle un avocat, un panegyriste plus que zele. Cela m’a mis en grande rage de rivalite, et je suis parvenu a trouver quelques motifs d’eloges qu’elle avait oubhes. Voici la Iettre de Sandeau(2). Voici un petit jour¬ nal qui vous amusera peut-etre (3). Tout a vous. A bientot. Ch. Baudelaire. 704. A SAINTE-BEUVE. Lundi soir [3 fevrier 1862]. Mon cher ami, Je m’applique bien a deviner Ies heures qui sont pour vous des heures de vacances, et je n’y puis reussir. Je n’ai pas ecrit un mot, suivant votre conseil; M Cf. la Iettre a Sainte-Beuve qui suit celle-ci. (2> La reponse de Sandeau a Flaubert et que ce dernier avait aussitot envoyee a Baudelaire avec priere de la Iui retour- ner ( E.-J . CHEPET, p. 364). Sans doute un nuniero de la Revue anecdotique (fevrier) qui venait de conter avec beaucoup de verve les visites de Baude¬ laire aux membres de 1’Academie. DE CHARLES BAUDELAIRE. mais je continue patiemment mes visites, pour bien faire comprendre que je desire, a propos de f election en remplacement du Pere Lacordaire, ramasser quelques voix d'Hommes de lettres. Je crois que Jules Sandeau vous parlera de moi; il m’a dit fort gracieusement : Vous me surprenez trop tard , mais je vais m’ informer s’ il y a quelque chose a faire pour vous (1). J’ai vu deux fois Alfred de Vigny, qui m’a garde chaque fois trois heures. C’est un fiomrne admirable et delicieux, mais peu propre a faction, et dissuadant meme de faction. Cependant il m’a temoigne la plus chaleureuse sympathie. — Vous ignorez que Ie mois de janvier a ete pour moi un mois de chagrins, de nevralgies accompagnees d une blessure(2). Je dis cela pour expliquer f in¬ terruption dans mes demarches. J’ai vu Lamartine, Patin, Viennet, Legouve, de Vigny, Villemain (horreur!)(3), (1> Cf. Ia Iettre precedente. <2) Voyez Ia note 1, page 48. (*) La Revue anecdotique ^fevrier) venait de donner cet echan- tillon du dialogue du secretaire perpetuel avec Ie candidat : «M. Villemain. — Vous vous presentez a I’Academie, mon¬ sieur; combien avez-vous de voix? «M. Baudelaire. — M. Ie secretaire perpetuel n’ignore pas, non plus que moi, que le reglement interdit a MM. les Acade- miciens de promettre Ieurs voix. Je n’aurai done aucune voix jusqu’au jour ou, sans doute, on ne m’en donnera pas une. «M. Villemain , avec insistence. — Je n’ai jamais eu d’origina- Iite, moi, monsieur. «M. BAUDELAIRE, avec insinuation. — Monsieur, qu’en savez- vous ? )) 6 2 CORRESPONDANCE GENERALE Sandeau. Ma foi, je ne me souviens plus des autres. Je n’ai pu trouver ni Ponsard, ni M. Saint-Marc Girardin, ni de Sacy. J’ai enfin envoye quelques exemplaires de quel- ques iivres a dix de ceux dont je connais Ies ou- vrages. Cette semaine, je verrai quelques-uns de ces messieurs. J’ai fait dans la Revue anecdotique (sans signer; mais ma conduite est infame, n’est-ce pas?), une analyse, telle quelle, de votre excellent article (1). Quant a I’article Iui-meme, je I’ai envoye a M. de Vigny, qui ne Ie connaissait pas et qui m’a temoi- gne I’envie de Ie lire. Quant aux politiqueurs, chez qui je ne puis trouver aucune volupte, j’en ferai Ie tour en voi- ture. IIs n’auront que ma carte et non pas mon visage. J’ai Iu ce soir votre Pontmartin (2). Pardonnez- moi de vous dire : «Que de talent perdu !» II y a dans votre prodigalite quelque chose qui parfois me scandalise. II me semble que moi, apres avoir dit : « Les plus nobles causes sont quelquefois sou- tenues par des Jocrisses», j’aurais considere mon travail comme fini. Mais vous avez des talents par¬ ticulars pour suggerer et pour faire deviner. — Meme envers Ies betes Ies plus coupables, vous etes delicieusement poli. Ce monsieur Pontmartin est un grand ha'isseur de Iitterature. (Savez-vous O Voir la note 2-3, page 4.6. L’article du 3 fevrier 1862 (Constitutionnd'j , reproduit dans les Nouveaux Lundis, tome II. Son auteur venait de se rap- procher de Pontmartin que Baudelaire haissait. (Voir page 83, note 2.) DE CHARLES BAUDELAIRE. 63 qu’on dit qu’il est Ie fils d un homme qui s’est enrichi en achetant des biens d’emigres? C’est peut-etre une calomnie; mais si c’est vrai, ?a rend sa these bien plus comique(1)). Je vous ai envoye un petit paquet de sonnets. Je vous enverrai prochainement plusieurs paquets de Revasseries' en prose, sans compter un enorrae travail sur Ies Peintres de mceurs (crayon, aquarelle, lithographic, gravure) (2). Je ne vous demande pas si vous vous portez bien. Cela se voit sujjisamment. Je vous embrasse et vous serre Ies mains (3). — Je sors de chez vous. Charles Baudelaire. 22, rue d’Amsterdam. (') Ce passage (depuis : «Savez-vous. ..») avait ete omis dans Ies recueils anterieurs. — On ne lit rien de cet ordre dans I’ou- vrage qu’Edmond Bire a consacre a Armand de Pontmartin , sa vie et ses oeuvres (Gamier freres, 1904). W L’envoi poetique : sans doute Ies sept pieces parues, sous Ie titre collectif : Sonnets, dans Le Boulevard du 12 janvier, savoir : Le Couvercle et Le Coucher du Soleil romantique encore ine- dits, et cinq poemes reproduits : La Priere d’un paien, Le Rebelle, Recueillement , L’Avertisseur, Epigrapbe pour un livre condamne. — Les ((Revasseries en prose », aes « petits poemes ». — Quant a 1’essai sur Ies Peintres de mceurs , Baudelaire parait en avoir pour- suivi Ie projet quelque temps sans se mettre serieusement a 1’oeuvre. (3) Dans sa reponse (9 fevrier, Correspondance , I, page 283), Sainte-Beuve exhortait Baudelaire a abandonner sa foile candi¬ dature : « Laissez I’Academie pour ce qu’elle est, plus surprise que choquee, et ne la choquez pas en revenant a la charge au suiet 64 CORRESPONDANCE GENERALE 7O5. A MONSIEUR LE SECRETAIRE PERPETUEL DE L’ACADEMIE FRANtpUSE. Lundi, 10 fevrier 1862. Monsieur, Je vous prie de rajer mon nom de la Iiste des candidats aspirant au fauteuil du R. P. Lacordaire, et de vouloir bien instruire vos collegues de mon desistement. Permettez-moi, Monsieur, d’emprunter en meme temps votre voix pour remercier ceux de ces messieurs, que j’ai eu Ie plaisir de voir, pour la maniere toute gracieuse et cordiale dont ils ont bien voulu m’accueillir. Qu’ils soient bien con- vaincus que j’en garderai Ie precieux souvenir (1). Charles Baudelaire. d’un homrae comme Lacordaire. Vous etes un homme de mesure et vous devez sentir cela.» Et il ajoutait, quant aux critiques qu’avait osees Baudelaire a propos de son dernier article : «Vous etes severe pour Pontmartin et indulgent pour sa cause. Si les causes sont nobles, il ne fait pas mal de ies defendre, et il s’en tire avec assez d’elegance; mais si les causes sont fausses, il faut etablir sa batterie autrement. — Et puis on ne fait pas un article dans un bon mot, comme un homme d’esprit fait en causant.M (l) Le 1 5 fevrier, Sainte-Beuve ecrira a Baudelaire : «Votre lettre a ete lue avant-hier; votre desistement n’a pas deplu; mais, quand on a lu votre derniere phrase de remerci- ment, confue en termes si modestes et si polis, on a dit tout haut : Tres bien! Ainsi vous avez laisse de vous une bonne impression : n’est-ce done rien?» (Correspondance , I, pages 285- DE CHARLES BAUDELAIRE. 65 706. A TAXILE DELORD (ll [Environ 10 fevrier 1862.] [L. a. s., 1 page in-12.] II Ie prie de faire passer dans son journal une note informant Ie public que M. Ch. Baudelaire s’est desiste de sa candidature a I’Academie fran^aise, pour Ie fau- teuil vacant du P. Lacordaire. 707. A MONSIEUR DE SAUX (2). 12 fevrier 1862. Monsieur, Je comprends parfaitement que votre Iettre, en affirmant votre bienveillance a mon egard, m’in- terdisait toute reclamation nouvelle. Je ne vous ecris done que pour vous prier d’augmenter, s’il se peut, cette bienveillance. A la fin de Decembre(3), ma situation etait grave; jugez(4) combien elle est ten- due maintenant; depuis quatre mois, je n’appartiens a aucun journal. Je tiens tres vivement a ne pas vous ennuyer inutilement, eten meme temps, a chaque secousse (!) Collaborateur Iitteraire du Siecle. — II ne semble pas que cette priere ait ete entendue, tout au moins pour la periode s’etendant du 10 au 20 fevrier. (2-3) Voyez les lettres 693 et 697. — Nous n’avons pas la Iettre a laquelle Baudelaire se refere. (4) Et non ((Voyez », comme il avait ete Iu paries publicateurs anterieurs. IV. 5 66 CORRESPONDANCE GENERALE nouvelle, je ne puis pas m’empecher de tourner mon souvenir de votre cote. VeuiIIez agreer, Monsieur, avec mes excuses, 1’assurance de mes meilleurs sentiments. Charles Baudelaire. 708. A ALFRED DE VIGNY. Monsieur, [Fevrier 1862 ?] Je vous ai vu souffrir, et j’j pense souvent. Un de mes amis, dont iestomac est dans un etat fort triste (1), m’a dit que Guerre, Ie patissier anglais, dont la maison fait le coin de la rue Castiglione et de la rue de Rivoli, fait des gelees de viande combinees avec un vin tres chaud, Madere ou Xeres sans doute, que Ies estomacs les plus desoles digerent facilement et avec plaisir! C’est une espece de confi¬ ture de viande au vin, plus substantielle et nour- rissante qu’un repas compose. J ai presume que ce document meritait de vous £tre transmis. Votre bien devoue. Charles Baudelaire. (1> Baudelaire devait tenir cette adresse-Ia de Theodore de Banville , car dans Mes Souvenirs (1882, p. 418) on lit, a propos d un malade qui, comme Ieur auteur, etait alors soigne a la maison hydrotherapique du Dr Fleury et qui, comme Vigny, souffrait dun cancer a Iestomac: « II ne pouvait rien manger, S‘A ?e.ncst ^e.s ge^es au rhum qu’on faisait venir de chez Ie pAtissier anglais cle la rue de Rivoli ». DE CHARLES BAUDELAIRE. 67 709. A MADAME AUPICK. 17 mars 1862. Je n’ai pas besoin de tes conseils sur Yhonnetete, non plus que de mettre ma main sur ma conscience. Generalement je cache ma vie, et mes pensees, et mes angoisses, meme a toi. Je ne peux pas et je ne veux pas raconter mes griefs. D’abord, cela ferait 50 pages au moms. Ensuite je souffrirais pendant 50 pages. Je me borne a dire ceci : r . Etant donne mon caractere, que tu connais en partie, sensible, prodigue, violent, mettant i’or- gueil au-dessus de tout, est-il vraisemblable que je commette un acte de barbarie par pure avarice ? Avarice! mais qu’ai-je fait pendant 17 ans, si ce n est par- donner? (j’avoue que la femme etant belle, on peut soup^onner que mon indulgence etait tres interessee.) Mais quand la maladie et la vieillesse font frappee, qu’ai-je fait pendant trois ans? J’ai fait ce que fegoisme des hommes ne fait genera¬ lement pas. J’ai meme apporte dans la charite un enthousiasme d’orgueil. Deux jours apres la catastrophe, je voulais mettre a la porte une servante intrigante et inso- Iente, qui achetait des remedes de portiere et contrecarrait les ordres des medecins. Jeanne m’a signifie que c’etait a moi de sortir de chez elle et qu’elle garderait cette fille. Je suis sorti, etj’ai con¬ tinue a battre Ie pave pour lui trouver de l’argent. Autre exemple : un jour, a Honfleur, il j a deja presque trois ans, je regois une Iettre d’elle ou 5- 68 CORRESPONDANCE GENERALE elle se plaint de ce que la pension de la maison de sante n’a pas ete payee et qu’elle court risque d’etre renvoyee(1). — Furieux, j’ecris a Malassis, qui s’etait engage a payer pour moi. II me repond par I’envoi du re<;u de I’administration du chemin de fer. — Alors, j’ecris une Iettre fort injurieuse a I’administration. On me repond par I’envoi du re<;u du directeur de la maison de sante. J’ai ete ridicule. Jeanne avait, dans sa pauvre imagination d’enfant, invente ce moyen de me faire payer deux fois, — sans se soucier Ie moins du monde de I’inquietude que ce mensonge pouvait me cau¬ ser, sans se soucier du ridicule dont elle me cou- vrait, sans se soucier des querelles oil elle pouvait me jeter. Telles sont Ies femmes; tels sont Ies enfants; tels sont Ies animaux. Cependant Ies animaux n’ont pas de livres, pas de philosophic, pas de religion ; done , pas d’honneur. IIs sont done moins coupables. Je t’ai soutire de I’argent, il y a 18 mois, et j’en ai soutire a Ancelle pour faire un etablissement a NeuiIIy (2) ; — et quand je suis alle m’y installer, j’ai trouve un frere qui pendant 18 ans n’etait jamais venu au secours de sa soeur, et qui, par sa presence assidue, m’a suffisamment temoigne qu’il ne comprenait pas que j’etais pauvre. Je me sers de termes moderes. — Alors, je me suis sauve(3). M Voyez nos numeros 434 et 435. «... il y a dix-huit mois». Plus exactement dix-sept, croyons- nous. Du moins ne voyons-nous rien de positivement relatif a ce soutirage dans Ies lettres de septembre i860; tandis que celles d octobre (590 592) nous semblent en laisser deviner I ’amorce. Toutcela, on l’avu dejadans nos numeros 614, 617 et 618. DE CHARLES BAUDELAIRE. En janvier dernier il s’est passe un fait mons- trueux, qui m’a rendu inalade; — je n’en ai rien dit a personne — et je n’en veux rien dire. — Cela m’ecorcherait ia gorge (1). II J a quelques jours, Malassis me dit que Jeanne est venu [sic] Ie prier de Iui acheter des Iivres, des dessins. Malassis n’est pas bouquiniste. II fait des Iivres neufs. II y a a Paris plusieurs cen- taines de bouquinistes. Je soupgonne vaguement qu’elle choisissait Malassis pour m’intimider, pour blesser ma vanite. Qu’elle vende Ies souvenirs que tout homme Iaisse chez une femme avec qui il a Iongtemps vecu; cela m’est egal. Mais j’ai eu I’hu- miliation d’etre oblige de donner a mon editeur des explications vagues comme celles que tu me contrains a te donner aujourd’hui. Le commencement de ta Iettre me donne a croire que tu as failli etre dupe; tu as Ia pretention d’etre plus genereuse que moi. Au moment ou j’ai signifie a Jeanne qu’il fallait compter sur tout autre que moi, je venais de Iui donner tout ce que j’avais, me fiant a mon genie et a mon etoile pour obtenir ce qui m’etait necessaire. Si tu cedes, voila Ie danger : — Ie mois pro¬ chain, Ia semaine suivante, tu recevras une nou- velle demande, et cela indefimment(2). Au moment (1) Le «fait monstrueux», n’aurait-ce pas ete I’abandon de Jeanne aux bras de ce pretendu frere qui vivait a ses crochets? Cette hypothese nous parait bien vraisemblable. (2) ^]®« Aupick, apres la mort de son fils, dut convenir qu’il avait raison On Ia voit alors ecrire a Charles Asselineau : «La Venus noire l’a torture de toutes Ies manieres. Oh! si vous saviez! Et que d’argent elle Iui a devore! Dans ses lettres, j’en ai une masse, je ne vois jamais un mot d’amour [...]. C’est toujours de I’argent qu’il Iui faut, et immediatement.» ( E.-J . CREPET, page 267.) JO CORRESPONDANCE GENERALE meme ou j’apprenais par Malassis ce parti pris d’obsessions et dintimidation, je me disais : «Si, prochainement, je puis ramasser quelques sommes, je lui enverrai quelque chose ^ mais dune ma- niere si bizarre et si detournee qu elle ne pourra pas deviner que cela vient de moi. Car, si elle Ie devinait, elle prendrait ma faiblesse pour un droit concede et pour un encouragement. » Tu vois bien que je ne suis pas une bete feroce. Ta candeur, ta facilite a etre dupe, ta naivete, ta sensibilite me font rire. Crois-tu done que, si je Ie voulais, je ne pourrais pas te miner et jeter ta vieillesse dans la misere? Ne sais-tu pas que j’ai assez de ruse et d’eloquence pour Ie faire? Mais je me retiens, et a chaque crise nouvelle, je me dis : «Non; ma mere est vieille et pauvre, il faut la Iaisser tranquille; il faut tirer de moi-meme I’in- dustrie necessaire pour me tirer d’affaire. » Je ne connais rien de plus stupide que Ie pur sentiment, qui est la seule inspiration des femmes et des enfants. — Le sentiment pousse I’enfant, s’il est tres energique, a tuer son pere pour un pot de confitures, ou pour acheter des dentelles pour une fille, s’il a 18 ans; pousse la femme a tuer son mari pour acheter des bijoux ou pour entretenir un drole; — exactement corame il pousse Ie chien (i) II est certain que Baudelaire fit tout son devoir envers Jeanne, et qu’il eut desire faire davantage encore. La jareuve s’en trouve dans les Journaux intimes souvent : «Ma mere et Jeanne. — Ma sante par charite, par devoir! — Maladie de Jeanne. Infirmites, solitude de ma mere.)) — « Jeanne 300, ma mere 200, moi 300...)) — «Le Salut, e’est L argent, la gloire, la securite , la levee du C^onseilJ J j^udiciairej, la vie de Jeanne.)) DE CHARLES BAUDELAIRE. 7 1 a tout bousculer pour s’emparer d un morceau de viande; — quant a ce raisonnement si simple : — «II ne faut pas que mes caprices ou meme la satisfaction de mes besoins gene la Iiberte d’au- trui» — il n’est a la portee que des hommes. Je te demande pardon de faire Ie pedant et Ie misanthrope avec toi. Je suis convaincu de tout ce que j’affirme. J’ai regu une education terrible, et il est peut-etre trop tard pour que je puisse me sauver moi-meme. Ce qui est demontre pour moi, c’est que les femmes ne sont interessantes que quand elles sont tres vieilles. Ceci me mene a madame Baton ; — elle a trois beatitudes et elle est ingrate. Elle est vieille; done, elle est debarrassee des sottes passions. Elle est seule : done elle n’a de comptes a rendre a personne. Elle est riche : done elle a plus de facilites pour elever son esprit. Qu’elle adopte des passions viriles, la science ou la charite. Vraiment, je n’ai pas le temps de m’attendrir sur des miseres fictives. Quant a mad. de Montherot; je savais qu’elle etait a Honfleur par un de mes amis, le directeur de l’ Illustration (2). Comme je sais que tu veux tou- (*) Une amie de Mme Aupick, qui villegiaturait parfois chez elle, a Honfleur. — «EIIe est vieille, done. ..» Ceci fait penser a Ronsard mandant a Charles IX : Heureux, trois fois heureux si vous aviez. mon age, Vous seriez de'livre' de I’importune rage Des ebaudes passions, dont I’bomme ne vit franc Quand son gaillard printemps lui esebauffe le sang. M Le directeur de L’ Illustration etait alors Auguste Marc. Nous croyons qu’il devait s’agir plutot d’Edmond Texier, le redacteur en chef de ce periodique, avec lequel Baudelaire etait en rapport depuis au moins une dizaine d’annees. Quant a Mme de Montherot, nous ne savons rien d’elle. 72 CORRESPONDANCE GENERALE jours preter ma chambre, j’ai manifeste une cer- taine frayeur; alors il m’a repondu que je pouvais etre tranquille, parce que mad. de Montherot etait une femme trop nulle pour avoir envie de remuer des Iivres et des gravures. Je viens d’ecrire a Jeanne. Done, ne reponds pas. Je suis contraint de renvoyer a un autre jour I’ennui de parler de moi et de mes affaires. Je persiste a vouloir retourner a Honfleur; mais que de choses a faire auparavant ! Mon coup de tete academique ne m’a pas fait de mal. II s’est passe divers incidents que je te raconterai. — II va sans dire que je ne suis pas interesse dans I’election Scribe , qui est renvoyee en avril. Je n’ai de rancunes que contre M. Villemain, a qui je vais Ie faire publiquement savoir(1). M. Biot est mort, etsera remplace par M. Littre(2). Je suis tellement en arriere avec toi pour Ies nouvelles ! Ma Iettre de desistement, avant I’election Lacor- daire , a produit a I'Academie une certaine sensa¬ tion, — pas mauvaise^K Je t’embrasse. — Charles. — (1) Allusion a Particle deja projete : L’Esprit et le style de M. Villemain, dont il sera question page (a) Baudelaire se trompait dans cette prevision : 1’opposition de M. Dupanloup allait faire obstacle a la candidature de Littre Qui n’entrera a I’Academie, ou il remplacera Villemain, qu’aux derniers jours de 1’annee 1871. P) Voyez la note i, sous la Iettre 705. DE CHARLES BAUDELAIRE. 73 710. A MONSIEUR DE SAUX(1). 19 mars 1862. Monsieur, J’aurai I’honneur d’aller vous voir dans deux ou trois jours, et je vous serai tres-oblige de vou- loir bien me recevoir. Ma visite aura pour but de vous consulter sur I opportunity de demander moi- meme une audience a M. le Ministre , — ce que je ne veux faire que d’apres votre conseil. Quand meme je n’obtiendrais du ministre qu’un refus absolu, meme au bout de trois mois d’attente, ce serait un vrai bienfait(2). Bien des hypotheses m’ont traverse Ie cerveau qui, en somme, n’expliquent rien. J’ai pense d’abord a la possibility d’une antipathie particu- Iiere de M. Ie Ministre contre moi. Ceci est trop absurde. Ensuite, j’ai imagine une antipathie gene- rale du ministre contre tous Ies litterateurs. Le ministre ignore peut-etre meme mon nom, et il a I’esprit trop delicat pour hair la Iitterature. Ensuite j’ai tache de supposer que Ie Ministere etait tout a fait sans argent; mais ceci est egalement absurde, puisqu’il y a un budget special. Tout en reconnaissant I’admirable serviabilite dont vous nous avez si souvent donne des preuves, j’ai pense a me servir de quelques amis, (’) Voyez la note 1, page 35. C’est Ie 30 decembre 1861 que Baudelaire avait introduit la requete qu’il renouvelle ici, apres I’avoir rappelee par ses Iettres des 19 janvier et 12 fevrier; elle allait lui valoir, Ie 2 avril, une «indemmte a titre eventuelw de trois cents francs. CORRESPONDANCE GENERALE 74 tels que MM. Sainte-Beuve et Merimee. Mais Sainte-Beuve est effroyablement occupe, et Meri¬ mee, pour des raisons que j’entrevois, refuserait peut-etre de me servir en cette occasion , bien qu’il m’ait donne, en une autre, Ie signe d’une vive sympathie(1). Done j’ai resolu d’affronter M. Ie Mi- nistre moi-meme , de lui exposer ma situation et pourquoi je juge ma demande tres-Iegitime. La crainte de vous ennuyer et de vous fatiguer de moi plus Iongtemps entre pour quelque chose dans cette resolution. Car je soup$onne qu’il doit vous etre tres-desagreable de ne pas accorder au- tant de services qu’on vous en demande et que vous Ie voudriez. — C’est de votre cabinet que partent les Iettres d’audiences; mais je vous Ie repete, je ne vous en demanderai une qu’apres vous avoir consulte sur I’opportunite de la de¬ marche. Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien agreer I’assurance de mes sentiments les plus distingues. Charles Baudelaire. 22, rue d’Amsterdam. (1) Et non : «dont vous [m’ ] avez. . .» , comme il avait ete lu anterieurement. — Pour les rapports de Baudelaire et de Meri- inee, voyez tome II, page 80, note 3 et ici , page 21, note 1. Quant aux raisons que pouvait avoir Baudelaire, de penser que Merimee n’etait pas alors dispose a I’obliger, nous ne savons rien positivement; peut-etre se souvenait-il tout simplement avec quelque amertume que I’auteur de Carmen, quatre mois aupara- vant, avait «evite cle le recevoim. DE CHARLES BAUDELAIRE. 75 7 II. A MADAME AUPICK. 29 mars 1862. Ma chere mere, je viens te prier tres instamment de venir a mon secours, si tu peux, pour cette fin de mois. J’ai promis a mon maitre d’hotel 300 fr. pour apres-demain ( avant tout, il faut que j’aie la paix ici ). Je Iui destinais 373 fr. que j’ai a toucher a la Presse. ( L’esprit et le style de M. Villemain , trois articles, commandes, finis et Iivres(1f) La discus¬ sion de I’adresse (2) a ete si longue et a si bien rempli Ies journaux qu’il n’y a pas de place pendant long- temps pour la htterature. Enfin, c’est fini ; mes trois articles vont paraitre en avril, en trois fois, une fois par semaine sans doute. Si tu peux faire cela, je te renverrai fargent que je destinais au maitre d’hotel. (Entre parentheses, je me consi- dere toujours comme devant te remettre Ie plus tot possible 300 fr., puisque tu m’as renvoye au jour de fan Ies 200 fr. que je t’avais rendus.) Nous arrangerons cela quand je serai aupres de toi. Je f assure qu’il n’y a pas de desordre dans ma vie. L’ordre y prend chaque jour un peu plus de place. Je suis triste, resigne a tout, meme a soufifrir jusqu’a la fin de ma vie, resigne au conseil judi- I1) Cet article fut-il reellement «fini et Iivrew? Ce qui est certain, c’est qu’il ne nous en a ete conserve qu’un canevas, d’ailleurs assez pousse, voyez J UVEN ILI A , CtUVRES POST- HUMES, Reliquiae, tome I. (*) Le droit d’adresse n’avait ete restitue aux Chambres que sur la fin de I’annee i860; on comprend que l’opposition en ait profite, s’en etant vue privee depuis Ie coup d’etat. y6 CORRESPOND ANCE GENERA LE ciaire et decide a faire simplement tout ce que je dois faire pour Ie faire detruire. — Je vais avoir 4 vol. a publier cette annee. Je parierais que ces 4 vol. passeront inapper$us [sic] h). On ne me rend pas justice. Aussitot que j’aurai passe des marches pour ces volumes, et que j’aurai place Ies articles — Ies uns finis, Ies autres, pas encore, — qui Ies completent, je retournerai pres de toi. Je n’ai meme pas besoin d’en toucher I’argent pour m’en aller Ia-bas. Je Iaisserai commission a quelqu’un pour toucher a ma place et pour payer avec Ie prix Ies gens a qui je destine de fargent. Les Poemes en prose passeront aussi a la Presse (2) 1.000 fr. ! mais, helas ! ce nest pas fini. Les Dandies litteraires ^ passeront a la Presse, et peut-etre aussi, Ies Peintres philosopbesw. II faut rester a Paris pour finir tout cela. Et puis pour conclure. Je crois qu’Hetzel m’achetera la reimpression, en volume, des Poemes en prose H L’argent de tout cela est distribue a I’avance. J’ai encore deux autres ressources, mais moins sures que Ie travail. Comme il faut des annees de fatigue et de chatiment pour apprendre Ies veri- tes Ies plus simples, par exemple que Ie travail, cette chose si desagreable, est I’unique maniere de O Baudelaire Ies enumere plus loin, ici-meme. (Les Reflexions , contenant en somme les matieres qui entreront dans les Curio- site's esthe'tiijues et L’Art romantique, devaient former deux vo¬ lumes.) W Vingt d’entre eux (dont six en reproduction) y passeront en aout et septembre. p-4) Voyez tome III, page 21, note 1. W Le 13 janvier 1863, Hetzel, en effet, allait acheter Les Fleurs du Mai et Ies Poemes en prose pour cinq ans. DE CHARLES BAUDELAIRE. 77 ne pas souffrir, ou de moins souffrir de la vie! II parait qu il faut que je fournisse a Ancelle d une maniere ou d une autre un peu plus de i. ooo fr. pour I operation de la conversation W. C est fort ennujeux; il aurait bien mieux fait de vendre, et de chercher un autre placement. Je desire ne pas etre aide par toi dans cette affaire. Done, je reviendrai bientot, non pas pour faire des economies (comme tu me I’msinues brutale- ment), mais pour le plaisir d’etre auprcs de toi et de vivre en bonne societe. Je te dirai que plus je vis, plus toute societe et toute conversation me devient fatigante et obsedante. # Tu trouveras cette Iettre moins desolee que Ies autres. Je ne sais pas d’ou Ie courage m’est revenu : je n’ai pas lieu cependant de me rejouir de la vie. Dernierement j’ai Iu chez Flaubert quelques chapitres de son prochain roman; c’est admirable; j’en ai eprouve un sentiment d’envie fortifiante Hugo va publier ses Miserables , roman en io vol. Raison de plus pour que mes pauvres volumes, Eureba, Poemes en prose et Reflexions sur mes contem- porains ne soient pas vus. Avoir plus de 40 ans, payer mes dettes et faire fortune par la Iitterature, dans un pays qui n’aime que Ies vaudevilles et la danse ! quelle atroce des- tinee ! Tu m’as reproche de ne t’avoir montre aucune tendresse dans ma derniere Iettre. Mais, chere mere, tu aurais du reflechir que par ies questions sur Jeanne, tu ravivais en moi d’insupportables (*) Lapsus evident, lire conversion. W Salammbo probablement. 78 CORRESPOND ANCE GENERALE souvenirs. Sois toujours indulgente, et sache que ton indulgence ne sera jamais inutilement placee. As-tu besoin de stores chinois? J’en ai trouve a ^ fr. piece. Est-ce cher? Je ne les ai pas achetes. Tu as temoigne Ie desir d’avoir les Memoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Je me les suis pro¬ cures pour toi. Ne me remercie pas. Je les ai eus gratuitement. Dans ces derniers temps j’ai souffert bomble- ment , horriblement , de mes rhumatismes; aussi j’aspire vivement apres les grandes chaleurs. Tu as bien compris, n’est-ce pas? que si je reste encore 15 jours ou un mois h, Paris, ce n’est pas inutilement. Comment diable veux-tu que je fasse a Honfleur des recherches sur les peintres et les graveurs(1)? Que je me procure des masses de Iivres necessaires pour mes articles critiques? Dieu merci, tout cela aura une fin. Et j’espere, a Hon¬ fleur, trouver, inventer des formes nouvelles pour des ouvrages de pure imagination. Favorable ou non, ta Iettre m’arrivera apres- demain a 8 h. du matin. Cet homme est gene, et il a un paiement a faire a 10 heures. J’ai une hor¬ rible peur de voir un etre infierieur, de qui je depends un peu, me faire la mine. Dans Ie cas favorable, il est entendu que Ie Vil- lemain t’appartient. Avec chaque numero (il j en aura trois) tu recevras Ie prix de I article. Je me ferai preceder encore par une nouvelle (') Voici la preuve, semble-t-il, que, dans les projets de Bau¬ delaire, Les peintres de maurs devaient Former un ouvrage inde¬ pendant de Monsieur G., peintre de maurs, deja livre a Grand- guillot, et, peut-etre, a L’ Illustration. DE CHARLES BAUDELAIRE. 79 caisse de tableaux et de gravures (c’est mon seul amu¬ sement), sans doute dans la 3® semaine d’avril. Je t embrasse; a bientot de longs bavardages. Charles. Veux-tu ton Chateaubriand tout de suite, ou veux-tu attendre? Encore un sujet de mauvaise humeur. II y a deux mois que j’attends la publication de 4 articles Iivres au Monde illustre W. Et a l Illustration W depuis 17 semaines on me promet mes epreuves pour lundi , toujours pour lundi prochain ! J e suis desole d’avoir donne ce travail important a un journal a images. On ne lit pas ces journaux- la. — Mais dans ce moment-la, je ne savais ou me fourrer. II va arriver un moment ou j’aurai des manu- scrits en 3 ou 6 endroits, que c’est fatigant! Et puis toutes Ies epreuves tomberont a la fois. Je tremble que la discussion du budget ne prenne encore trop de place. Mais, Dieu merci, il J a un repit de quelque temps. (A la Presse, on ne fait pas d’avances. Je te devais ce mot d’explication.) (1) II s’agit de nouvelles traduites de Poe. Le Monde illustre donnera, en 1862, Le joueur d’echecs de Maelzel (juillet et aout); en 1863, L’Ange du bizarre; en 186 5, le Systeme du docteur Gou- dron et du professeur Plume. Quant au quatrieme article, il sera retourne a Baudelaire, comme nous le verrons par la lettre a Ancelle, du 20 novembre 1865. (’) Voyez la note sous la page precedente. 8o CORRESPONDANCE GENERALE yi2. A LA MEME. 31 mars [1862]. Merci, merci(1). Pourquoi desesperer? Je suis convamcu que Ies choses vont aller mieux des ce mois-ci. Ta Iettre, raa chere mere, est bien confuse. Je comprends que tu ne veuilles pas de stores ® craignant d’etre obligee de Ies payer, et ne sachant pas que cela se coupe a volonte. Je pensais au Mirador^. Mais pourquoi refuser Ie Chateaubriand, dont tu avais envie (4)? - Tu ne pourrais croire combien me fatiguent tant de choses a mener de front, et tous ces articles qu’on n’imprime pas, et la terreur qu’on ne m’envoie pas mes epreuves a Honfleur. Mais ces tracas de metier, tu ne Ies comprends guere. Je t’ecrirai a la fin de la semaine, et je t’embrasse. Charles. Et que veut dire : c< II me faut me prendre si a court)) ? (*•*) Voyez la Iettre precedente. (3) «Sur Ie cote est de la maison, c’est-a-dire celui qui regar- dait vers Honfleur, ecrit M. G. Jean-Aubry dans sa charmante plaquette : Un paysage litteraire. — Baudelaire et Honfleur, se trouvait une grande veranda a lac^uelle Ie general avait donne le surnom de Mirador [...] cette veranda formait une sorte de hall orne de plantes vertes [...]. Du Mirador, on pouvait suivre aisement I’allee et venue des navires ou des bateaux de peche qui entraient au port ou en sortaient.» (4) Voyez la Iettre precedente. DE CHARLES BAUDELAIRE. 8 I 713. A POULET-MALASSIS. [S. d.<».] [...] Quant a la derniere phrase de votre iettre, vous savez parfaitement que Ie travail fini et livre a 1’ Illustration a une valeur d’au moins 400 francs et finalement sera publie et que, sur I’argent du ministere d’Etat(3), je dois vous livrer 600 francs et que si cette somme ne montait pas a ce chiffre, je me ferais un devoir de tout vous livrer. Done vos reproches relativement a mes illusions ne peuvent pas s’appliquer a ma fa^on de compter, mais au manque de concordance entre I’arrivee de I’argent et fecheance. Que je sols de¬ sole de ceci, vous n’en doutez pas. Vous vous trompez encore dans les motifs sup¬ poses pour Ie refus(4); quand j’aurai Ie plaisir de vous voir, je pourrai mieux vous expliquer cela. Aussi bien, en deux mots, voici : i° un commis a aflfirme que vous ne payiez pas vos effets juste au jour convenu; 20 un autre commis (qui evidem- ment etait alle a la Banque) a dit que la maison avait beaucoup plus de valeur du temps de De (is) £Ugene Crepet, Ie premier publicateur de cette Iettre, a signale que la piece autographe portait, de la main de Poulet- Malassis : 1861 ou 1862. Nous la plafons ici a la date limite a laquelle nous eroyons devoir la rapport er : on a vu par le numero 71 1 que depuis 17 semaines Baudelaire attendait les epreuves de son article sur Guys, remis a L’ Illustration , et par Ie numero 710, note 2, que la question de sa requete au Minis¬ tere d’Etat allait 6tre resolue le 2 avril. (4> Probablement le refus qu’avaient fait Gelis et Didot, d’es- compter quelque billet. iv. 6 82 CORRESPOND ANCE GENERALE B[roise] , et que la retraite de de B[roise] (1) expli- quait la retraite d une maison de banque d’AIen- gon. Vous comprenez bien que ce n est pas moi qui invente cela. Vous essayez, dans votre Iettre, de me faire sentir Ie plus vivement possible votre mauvaise humeur, mauvaise humeur fort legitime d’ailleurs. C’etait inutile. Je souffre sufFisamment de ce qui est arrive, et j’ai re$u de vous trop de services pour garder souvenir d’autre chose. Tout a vous. _ _ _ 714. AU MEME. [97, rue de Richelieu. j [Avrii 1862 (*>.] Mon cher ami, Je suis alle ce matin chez Houssaye, et je ne 1’ai pas trouve. 55 fr. sont une somme bien petite, et cependant je suis convaincu que je ne pourrai rien trouver avant la fin du mois. Houssaye imprimera \eVillemain et Ies Poemes en prose. C’est beaucoup. Je prends bravement mon parti sur Ie Guys que je livre ce soir a Carjat, en I’avertissant que Ie prix vous appartient. Vous prendrez soigneusement votre argent semaine par (') Poulet-Malassis et son beau-frere , Eugene de Broise, venaient de separer leurs destins, celui-ci gardant rimprimerie et celui-Ia la librairie. W La date approximative se deduit de la publication en librairie des Jeudis de Madame Charbonneau (vovez note i, page DE CHARLES BAUDELAIRE. 83 semaine. Reste a savoir si cela fera au Boulevard 400 fr. (R Mais enfin ce sera toujours 9a de gagne. 4 sols la ligne. Je crois vous etre agreable en vous commu- niquant Ie document suivant, et vous me seriez agreable si vous en profitiez <2). La ire edition de Mad. Charbonneau a paru dans un journal peu repandu. Lequel? II faut Ie (1) Pour «Ie ViIIemain», voyez Ie texte, page 21, et page 75, note 1; pour Ies Poemes en prose parus a la Presse, page 76, note 2; quant au Guys, Etienne Carjat n’allait pas plus le faire passer au Boulevard que n’avaient fait Grandguillot au Constitu- tionnel ou au Pays, Texier a Y Illustration , Houssaye a la Presse. (2) En litterature comme en politique, Poulet-Malassis profes- sait des idees tres avancees, tandis que Pontmartin etait le type du conservateur impenitent; de plus I’editeur avait souvent eu a se plaindre de la severite du critique a I’egard de ses auteurs. — Baudelaire, Iui aussi, depuis des annees, tenait Pontmartin a 1’ceil. Est-ce le Samediste qui , sous la signature ZZZ, avait aide a declencher les poursuites de 1857 (voyez Les Fleurs DU Mal, page 319)? En tout cas, des Ie premier volume des tra¬ ductions, il avait proteste contre la these de Baudelaire impu- tant a 1’Amerique et a la societe les malheurs dont avait ete tissue la vie de Poe, et, a I’occasion du second, leur animosite reciproque s’etait confirmee, Baudelaire faisant dans I’exorde de ses Notes nouvelles une allusion ti es nette a Pontmartin et celui-ci la relevant dans les termes les plus durs ( NOUVELLES H/S- TOIRES EXTRAORD IN AIRES , pages V et 315). En 1 86 1 , la querelle avait pris un tour plus vif encore. Dans la note necro- logique consacree a Quincey (PARADIS ART IFICIELS , page 137), Baudelaire avait denonce «Ia fohe de la morale)) repre¬ sentee en France par «Ies Pontmartin et autres sermonnaires de saIon», a quoi Pontmartin avait repondu en demandant ce que seraient une societe et une litterature «qui accepteraient M. Charles Baudelaire pour leur poete». Enfin, tout recemment (lettre 70^) Pontmartin avait valu a Baudelaire, de la part de son cher «Oncle Beuvei), une fajon de mercuriale dont on doit croire qu’il se sentait encore fort mortifie, et qui, par conse¬ quent, n’avait pu qu’aiguiser son appetit de vengeance. 6. 84 CORRESPOND ANCE GENERALE trouver. Levy vous le dira^. II y a un portrait de M. Buloz, supprime dans Iedition du Iivre. Buloz est designe par un mot grec qui signifie Borgne^. Reimprimer [sic] cette omission dans Revue anecdotique , et dans Ie Boulevard et ailleurs si vous pouvez. Tout a vous, avec de bien sinceres regrets. C. B. II y a peut-etre plusieurs passages concernant f1) Les Jeudis de Madame Cbarbonneau , journal d'un Parisien en retraite, avaient paru pour partie (janvier 1859-aout i860) dans La Semaine des families, organe catholique pour la jeunesse, dirige par Nettement, Ie reste de I’ouvrage, repousse par celui- ci parce qu’on y voyait, prob pudor! une jeune fille seduite, trouvant asile a L’Univers illustre. Personne alors n’avait prete attention a ce tableau satirique des moeurs litteraires. «Le Bruit terrible)) qu’il fit (Sainte-Beuve) ne se produisit que Iorsqu’il parut en Iibrairie (Michel Levy, 4 avril 1862). Et pourtant bien des pages du texte primitif en avaient ete supprimees ou consi- derablement adoucies. (2) Depuis le ier juin 1855 ou la Revue des Deux Mondes avait donne dix-huit Fleurs, Baudelaire n’avait cesse de viser la porte de Buloz, tantot revant de l’enfoncer, tantot s’ingeniant a en graisser les gonds. Mais sur la fin de 1’annee precedente, une brouille etait survenue, «brouille complete, aggravee par une de ces Iettres, comme je sais en ecrire, quand je suis en coIere» (numero 688), laissant au coeur ulcere dfe notre poete, une ran- cune impatiente. — L’infirmite de Buloz etait celebre. Veuillot l’a chantee : Buloz qui d'un seul ail peut e'clairer deux mondes . .. (3) Le morceau en cause : Les Mesaventures electorates de Stra- biros, etait des plus piquants, car Pontmartin ne manquait ni de verve ni de malice. C’etait la relation d’une certaine campagne electorale menee par Buloz en 1 849 au pays meme du narrateur qui, a cette epoque-la, l’avait appuye de tout son credit, et oil it se trouvait fort maltraite. Nul doute par consequent que la reproduction de ces pages-la ne dut lui etre tres cuisante; on pouvait meme compter, semblait-il, qu’elle allait dresser une barriere durable entre Ie directeur et son collaborateur qui, vingt fois brouilles deja, s’etaient vingt fois reconcilies. . . Ain- DE CHARLES BAUDELAIRE. 8 5 lediteur BorgneW. Personne n’a fait attention a cette omission. Je tiens Ie fait de Madfame] San- deau I' 1 . Be Pontmartin vient de se reconcilier avec M. Buloz 715. A EUGENE CREPET. [Rue d’Amsterdam un numero bis impair (Une reponse si M. Crepet est chez Iui).] [S. d.] J avais meme exprime Ie desir de revoir toutes Ies citations (et peut-etre d’en ajouter une). II me semble que ce serait prudent, car vous voyez que sans compter Ies trois vers que j’ai changes il y avait passablement de fautes, alterant Ie texte et Ie sensed si done la machiavelique manoeuvre de Baudelaire tendait a faire coup double. Poulet-Malassis allait s’empresser d’accueillir cette suggestion : au cours de la deuxieme quinzaine de mai, la Revue anecdotique reproduisait, entre quelques extraits des Jeudis dans leur version preoriginale, Les Me'saventures electorales de Stra- biros. Qjjant au Boulevard , nous n’y avons rien retrouve qui ait trait a cette affaire. II y en avait un autre en effet : La grande colere de M. B”" , mais beaucoup moins amusant. La Revue anecdotique le reprodui- sit dans son fascicule de la premiere quinzaine de juin. ( Vraisemblablement pour l’article sur Les Mise'rables , paru au Boulevard Ie 20 avril. 8 8 CORRESPONDANCE GENERALE Je suis bien triste; ne me recevez pas trop mal. Je vous serre Ies mains avec une tendre affection. Charles Baudelaire. 77- A JULES ROZIER. [Monsieur — rue des Murs Fendus, i ArgenteuiL] [20 mai 1862. Cachet postal.] Mon cher Rozier, Je vous en prie, pensez a mon dessin(1). Je n’ai plus que neuf jours devant moi. Vous avez reussi a rn’intimider tellement que je n’ose plus vous en parler. Si vous me faites fhonneur de venir me voir, avertissez-moi au moins un jour d’avance. Tout a vous. Presentez mes respects a Madame Rozier. Charles Baudelaire. 718. A MADAME AUPICK. Samedi 2^ mai 1862. Ma chere mere, Demain dimanche, je repondrai Ionguement et minutieusement a tes deux dernieres Iettres. Je t’enverrai une de ces longues Iettres oil l’on de- verse toute la inatiere en retard. R) Voyez la Iettre au meme, numero 690. DE CHARLES BAUDELAIRE. 89 Tu as demne juste. Les affaires marchent tres len- tement, et je veux absolument me retremper dans la solitude. Je fuis Paris, surtout pour fuir toute com- pagnie. Done je ne veux pas retrouver a Honfleur Ie supplice parisien, et je ne veux me prostituer a personne, ni au maire, ni au cure, ni a M. Emon, ni a d’autres dont j’ai oublie les nomsO. Je te raconterai demain ma visite a Fontaine¬ bleau, qui, malgre la bonne grace de ma belle- soeur, ma ete tres penible(2f — Une journee entiere avec Ancelle! Te figures-tu ce que e’est? un homme a la fois fou et bete ! Et puis, le Fantome du conseil judiciaire s’est dresse trois fois dans la journee, en presence d’un greffier, d’un notaire, d’un avoue, et de je ne sais plus qui(3). Ancelle jouissait sans doute de mon humiliation; il m’avait traine Ia-bas sans m’avertir. Je n’ai jamais ete mechant, mais je crois qu’il m’est permis de Ie devenir. A demain. Je t’embrasse et je t’aime. Charles. J’ai Ie Chateaubriand (4f Quant aux nouveaux Miserables (5), je crains fort de n’avoir pas Ie courage de les demander. La famille Hugo et les disciples me font horreur. W Baudelaire se ravisera bientot sur ce point-la; voyez Ie nu- mero suivant. Visite de condoleances ; voyez Ie numero 716. (3) II s’agissait sans doute de quelque formalite relative a la succession de son frere. <4) Voyez la Iettre 71 1, page 79. C’est-a-dire les derniers tomes parus. 9° CORRESPONDANCE GENERALE 719. A LA MEME. 31 mat 1862. Ma chere mere, il est deja 6 h. 1/4. Voila qu’encore aujourd’hui je n’ai pas Ie temps de t’ecrire selon mon coeur. J’ai tant d’explications a te donner! D’une maniere breve, je te dirai que non sett¬ lement j’accepte, mais encore que je desirerais 100 fr. de plus; je tirerai peut-etre avant de partir de I’argent de deux autres endroits et je Ie rappor- terai. Mais je ne dois pas j compter, et d’ailleurs d’apres Ie compte que je t’enverrai, je dois consi- derer cet argent comme ne m’appartenant pas; il appartient a toi ou a d’autres personnes. Toutes Ies sommes sur Iesquelles je puis compter appar- tiennent a quelqu’un Je doute que je puisse te remettre 800 fr. aussi vivement que tu Ie desires. Mais je t’enverrai demain des explications concluantes. J’ai donne conge a mon hotel; j’y reste encore une semaine, mais en payant comptant, au jour Ie jour, j’ai un peu d’argent. Je suis moins pauvre de vetements que tu Ie crois. Je rapporterai beaucoup de mauvais linge qui sera tres bon avec des manchettes et des cols neufs. (*) II disaitvrai, helas ! Voila ou I’avait conduit son «systeme financier)) qui consistait essentiellement a engager I’avenir, soit en se faisant payer d’avance par Ies directeurs ou editeurs, soit en remettant a des preteurs des delegations. Voyez la page 109 , note q. DE CHARLES BAUDELAIRE. 9 ] Je consacrerai 300 fr. au tailleur et au Iinge. Seulement, il faut que je paye comptant. — Si ce n’est pas pret au dernier moment, je ferai envoyer Ies objets a Honfleur. Je veux avant tout partir. Je ne veux plus entendre parler de maison de confection, de vetements tout faits. C’est infame. - — Seulement pour Ie Iinge. Restent deux cents francs pour Ies sages des T * T T’T AT A # 00 domestiques de 1 hotel, des petites dettes de camarades, mes caisses (au nombre de 3), mon voyage; si je peux attraper une carte gratuite, je mettrai plus d’argent a ma toilette. Si Ie Moniteur (1) ou la Presse me font une avance, je n’y touche pas. Je consacre 5 jours a mes comptes et a mes visites, elles sont nombreuses. Il faut, sans compter Ies arrangements d’affaires avec Ies jour- naux pour I’argent, Ies epreuves, deux voyages a Fontainebleau (j’lrai seul cette fois, Dieu merci!) et a Argenteuil®. Mais helas! il faut revoir Ancelle, cet homme begayant qui n’a aucun respect pour mon temps ! Et puis cela va Iui tomber sur la tete, cette de- mande ! Qui sait si une demande imprevue ne va pas Ie troubler? Ne Iui dis pas I’emploi. II voudrait me trainer dans Ies maisons de confection ou il m’a fait depenser inutilement tant d’argent. J’ai, parmi mes anciens tailleurs, un excellent (0 Nous ignorons tout des pourparlers que pouvaiti; avoir Baudelaire avec Ie Moniteur a cette epoque-Ia. (a) A Fontainebleau, chez sa belle-soeur; a Argenteuil, cbez Jules Rozier. 9 2 CORRESPONDANCE GENERALE tailleur qui ira vite quand je Iui affirmerai que je paje comptant avant de partir ou apres etre parti. Parmi Ies petites depenses a prendre sur Ies 200 fr., j’omets un tas de petites choses, chaus- settes, cravatte [sic], etc... Dieu merci! je n’aurai plus a m’en occuper. Je te dois d’autres explications. La disposition de tout raon argent (articles, droits d’auteur de toute sorte) d’ici a trois mois. — Le recit des effroyables degouts ou je suis tombe, etc... Ah! Dis a Ancelle que je ne t’ai pas sollicitee, mais que c’est toi qui devinant que je ne pouvais pas faire coi'ncider Ies paiements avec mon de¬ part, m’as offert spontanement cet argent, — ce qui est vrai. Ah! chere Mere, tu m’as ecrit deux phrases terribles, qui m’ont fait penser Ionguement et tris- tement. — Tu es fatiguee , dis-tu, pour une petite course... — et puis tu me dis : « Tacbe de venir pro- cbainement au secours de la bourse de ta vieille mere. » Cette douceur et ce demi-reproche m’ont fait un mal salutaire. - — Eh! je verrai tes amis, quand meme ils m’ennuieraienC1), a demain. C. B. J’ajoute encore deux mots. Je prends cinq jours tres occupes, je pars Ie 6, je suis Ie 7 au Havre, j’arrive chez toi Ie 8, Pen- tecote. Ma prochaine Iettre ne te parlera que de ma- tieres morales, helas! bien melancoliques. (1) CF. Ia lettre precedente, deuxieme paragraphe. DE CHARLES BAUDELAIRE. 93 Plus I’analyse de mes projets pour me tirer d’affaire. Tout ce que j’ai a produire paye mes dettes actuelles d’ici a la fin de I’annee, toi comprise, et comprise la soulte. Mais quel chien de metier! Quant a mon revenu, mange pour cette annee, je suis decide a Ie Iaisser dormir, et a Ie capitaliser indefiniment, quand meme il ny aurait plus de conseil judiciaire. J’ai une peur horrible de la misere. Je veux faire mes 6.000 fr. de revenu (1)„ Je t’embrasse. „ T_ 720. A LA MEME. 6 juin 1862. Ma chere mere, je te remercie; je suis desole de t’avoir affligee. Je ne puis pas renoncer si faci- Iement a mon projet d Honfleur; j avais deja Ioue (i) Cette volonte se trouve traduite plusieurs fois dans le Carnet : «Je veux 6.000 fr., soit 3.000 fleurs et 3.000 poemes a 6 fr. dont 1 fr. pour moi. HSoit toute autre combinaison (plusieurs tirages par exemple) qui me donne mes 6.000 fr. » «Les 6.000 fr. — et meme emprunt sur Poe. Fuir Paris, faire en un an 2 vol. de nouveiles et Mon Cceur mis a nu. » , « II me faut une combinaison qui me donne 6.000 fr. (non pas tout de suite, mais en deux fois). — Pour faire du neuf, quitter Paris, oil je me meurs.w 94 CORRESPONDANCE GENERALE une chambre dans un autre quartier. Je vais la decommander, — en payant. Quelle etrange Iettre tu m’envoyais ! Tu ignores done encore qu’Ancelle est pour moi Ie parfait fleau, et qu’il est pour Ies deux tiers dans tous Ies accidents de ma vie. — Son nom represente pour moi I’horrible plaie de ma vie, et Iui, il est person- nellement un homme insupportable, Ie type du jocrisse , du Iambin , de I’hurluberlu , et de I’homme de desordre. Tu avais oublie mes opinions a son egard. — L’affaire de Fontainebleau a ete horrible pour moi. Enfin, a tout hazard, je Iui ai envoy e ton petit billet. — J’aurais bien voulu me passer absolu- ment de ces cinq cents francs. J’aurais prefere cela plutot que de Ie voir et de I’entendre begayer lentement, pendant des heures : aVous avez une bien bonne mere, nest-ce pas ? Aimez-vous bien votre mere ? — ou bien : Croyez-vous en Dieu, il y a un Dieu, n’est-ce pas ? ou bien : Louis-Pbilippe a ete un grand roi. On Iui rendra justice plus tard.w Chacune de ces phrases-Ia se delaye pendant une demi-heure. Pendant ce temps-Ia, on m’attend dans plusieurs quartiers de Paris. Ainsi il y aura des retards, de longs retards dans mon affaire. J’aurais bien voulu partir demain samedi, mais je ne puis rien sans certitude. Tu as done cru que j’etais incapable par moi- meme de faire faire un habit ? Alors nous sommes bien loin encore de la radiation du conseil judi- ciaire. — Est-ce I’exquise elegance d’Ancelle qui t’a persuadee ? Tu ne peux pas t’imaginer quelles atroces mes- DE CHARLES BAUDELAIRE. 95 aventures j’ai eu a subir pour de nombreux ar¬ ticles, dont quelques-uns, finis , et mieux encore, deja acceptes 9). Quelle vie! mais je me vengerai, je me ven- gerai en grand, comme un homme qui n’aime rien, mais qui execre son pays. Je t’embrasse et je t’ecrirai. 721. A LA MEME. Chere mere, tout va bien, et Ies Ienteurs ne viennent pas de M. Ancelle, mais de mon tailleur, tres Iambin, et de la necessite de voir beaucoup de monde, pour m’assurer des engagements et des paiements. Je vais cependant preparer mes malles. Que de recits, de colere et d’humiliations je renvoie a un autre jour! Le siecle devient de plus en plus niais et vil. Que de remerciements et de tendresse pour toi je renvoie aussi ! ; Charles. C. B. 17 juin 1862. W Le genie de Baudelaire etait, a cette epoque, fort impo- pulaire, il le reconnait Iui-meme. Mainte fois la bonne volonte des directeurs fut paralysee, a son egard, par les reclamations des abonnes. D’autre part, toujours presse d’argent et, dans sa poursuite de ia perfection, retouchant sans cesse, il arriva cjue le poete, de la meiileure foi du monde sans doute, presentat a des revues, comme inedites, des pieces, vers ou prose, dont la forme avait ete seulement modihee. Enfin, on sait de quelle hauteur il tangait 1’imprudent assez ose pour introduire ou retran- cher une virgule dans ses textes. De la des querelles incessantes avec les directeurs, dont il dependait, Iielasl... CORRESPONDANCE GENERALE 96 722. A [CAMILLE DOUCET ?] (R 19 juillet 1862. Cher Monsieur, Je vous prie instamment, bien que cela soit hors de vos fonctions, d’aider mon excellent ami M. Jules Rozier a decouvrir ou en est son affaire au Ministere. II s’agit d’une commande de tableaux et d’une avance d’argent. Entre nous, cher Monsieur, com- prenez-vous la barbarie de I’administration qui donne une esperance il y a cinq mob(!) et qui depuis Iors reste rnuette®? Je vous en prie bien vivement, pilotez M. Rozier dans ce dedale chinois, et recevez a I’avance I’ex- pression de ma gratitude. Votre bien devoue. Ch. Baudelaire. (1) C’est par erreur, croyons-nous, que ce billet a ete donne comme adresse a M. Pelletier, car celui-ci, homme de confiance d’Achille Fould, avait, nous I’avons dit, rejoint son patron aux Finances. D’ailleurs la teneur et Ie ton en indiquent clairement que le destinataire : i ° n’etait pas exclusivement un fonctionnaire, — autrement on doit croire que Baudelaire se serait expriml moins librement quant aux procedes de I’administration; 20 appartenait au ministere d’Etat sans etre du service des com- mandes aux artistes. Or c’etait ii precisement Ie cas de Camille Doucet qui, charge des theatres au departement du comte Walewski, se flattait d’etre aussi un homme de Iettres, et avec lequel Ie poete etait en relations depuis au moins pres ’de deux ans, comme Ie prouve notre numero 601. D’ou notre conjec¬ ture... qui n’est aussi bien rien de plus. ' Cette lettre prefigure celle que notre auteur adressera, Ie 26 aout de I’annee suivante, au marechal Vaillant. DE CHARLES BAUDELAIRE. 97 723. A THEOPHILE GAUTIER. q. aout 1862. Mon cher Theophiie, Tu serais bien charmant, si tu disais quelques mots agreables de I’entreprise des Aquafortistes (1). C’est, a coup sur, une tres bonne idee, et il y aura dans la collection des oeuvres qui te charmeront. II faut evidemment soutenir cette reaction en fa- veur d un genre qui a contre Iui tous Ies nigauds. A propos, j’ai a te remercier, et de bien bon coeur, de ton article sur moi, dans la collection Cri- pet^K C’est la premiere fois que je suis Ioue comme je desirais l’etre. Bien a toi. Ch. Baudelaire. (» La «Societe des Aquafortistes » dont I’animateur etait Felix Bracquemond, et qui s’etait assure le concours de Manet, de Ribot, de Legros, de Jongkind, etc., ainsi que de quelques cri¬ tiques, avait son siege chez Cadart, rue de Richelieu, et faisait non seulement des expositions, mais aussi des publications. Baudelaire la soutint de son credit et de sa plume. Voir dans L’Art ROM ANTIQUE , Peintres ct Aquafortistes , article dont une premiere mouture avait paru sous le titre : L’Eau-forte est d la mode. — Gautier aliait exaucer la priere de son ami dans le Moniteur, le 27 aout. M C'est-a-dire dans I’anthologie des Poetes franfais , tome IV. 7 IV. 98 CORRESPONDANCE GENERALE 724. A MADAME AUPICK. Dimanclie 11 [10] aout 1862. Chere maman, tu t’ennuies peut-etre, n’est-ce pas, et beaucoup? Je vais arriver. J’ai pris deja mes precautions, c’est-a-dire que je me suis mis moi-meme dans I’impossibilite de ne pas partir a la fin du mois. II y a, je crois, peu d’exemples d une vie aussi mal dilapidee que la mienne; ce qui est vraiment curieux, c’estque je n’y prends aucun plaisir. Je ne veux pas te raconter (d’ailleurs je n’en ai pas le temps) Ies extraordinaires Iuttes de moi- meme contre moi-meme, Ies desespoirs, Ies reve¬ ries; — je ne veux pas non plus t’affirmer pour la centieme fois que tu es Ie seul etre vivant qui m’interesse. II me semble que puisque je te 1’ai dit, tu dois me croire. Je sens que je suis dans une crise, dans une phase, ou il faut prendre un grand parti, c’est-a-dire faire juste Ie contraire de tout ce que j’ai fait : n’aimer que la gloire, tra- vailler sans cesse, meme sans espoir de salaire , sup- primer tout plaisir et devenir ce qu’on appelle un grand type de grandeur. Enfin, tacher de faire une petite fortune. Je meprise Ies gens qui aiment fargent; mais j’ai une horrible peur de la servi¬ tude et de la misere dans la vieillesse(1). J’arriverai done chez moi ou plutot chez nous, Ie 31, Ie icr, Ie 2 ou Ie 3^'. Puisque tu m’aimes taut, O On retrouvera toutes ces aspirations dans \esJournaux intimes. W Cette promesse ne devait pas etre plus tenue que lcs pre- cedentes. DE CHARLES BAUDELAIRE. 99 que tu veux bien t’appliquer a t’mteresser aux seules choses qui m’amusent, je saurai te recom- penser et te prouver que je te connais, que je t’aime, que je sais peser et apprecier un coeur maternel. Enfin! enfin ! je crois que [je] pourrai a la fin du mois fuirl’horreur de la face humaine^.Tu ne saurais croire jusqu’a quel point la race parisienne est degradee. Ce n’est plus ce monde charmant et amiable que j’ai connu autrefois : Ies artistes ne savent rien, Ies litterateurs ne savent rien, pas meme I’orthographe. Tout ce monde est devenu abject, inferieur peut-etre aux gens du monde. Je suis un vieillard , une momie, et on m’en veut parce que je suis moms ignorant que Ie reste des hommes. Quelle decadence (2j! Excepte d’Aure- villy, Flaubert, Sainte-Beuve, je ne peux m’en- tendre avec personne. Th. Gautier seul peut me comprendre quand je parle peinture. J’ai horreur de la vie. Je le repete : — je vais fuir la face humaine, mais surtout la face fran^aise. J’ai un tres beau livre a t’apporter; mais je fais un gros travail a ce sujet(3) : Second tableau de Paris par Sebastien Mercier, Paris pendant la Revo- (*) Thomas de Quincey avait dit : «Ia tyrannic de la face hu- maiue» ( PARAD/S ART IFICIELS, pages 118 et 138). 0) Chose curieuse : au lendemain de la mort de Baudelaire, Asselineau tiendra le meme Iangage : «... pour tout dire, je suis degoute de Paris, je m’y ennuie, je n’y trouve plus personne a qui parler, et peut-etre mieux vaut la solitude dans le desert que dans la foulew ( E.-J . CREPET, page 277). Probablement ces Peintres de Mceurs dont quelques notes sommaires nous sont seules parvenues. — Pour la reimpression du Nouveau Paris, que venait de donner Poulet-Malassis, voyez La Revue anecdotique, premiere quinzaine de juin 1862. Baude¬ laire s’est plusieurs fois inspire de cet ouvrage. 7- I oo CORRESPONDANCE GENERALE lulion de py jusqu’a Bonaparte; c’est merveilleux. Tu as re?u sans doute Ies Miserables que je ne t’ai envoyes (expres, qu’apres Paques), me figu¬ rant (a tort peut-etre) que tu ne voulais fire de romans qu’apres Paques; — plus deux articles, un de moi, un de d’Aurevilly (1). Ce Iivre est im- monde et inepte. J’ai montre, a ce sujet, que je possedais Part de mentir. Ii m’a ecrit, pour me remercier, une Iettre absolument ridicule (2). Cela prouve qu’un grand fiomme peut etre un sot. Ton Chateaubriand (3) (edition beige) est accro- cfie dans Ies bureaux de XInterieur. Je te rapporterai ton argent en revenant chez toi. J’ai devant moi 20 jours encore pour prendre des arrangements avec la Presse , les Debats , le Monde illustre , la Revue Brit annique^, etc., afin que I’on puisse payer des dettes pour moi, malgre mon absence. Je t’aime et je t’embrasse. Dis-moi que tu te portes bien (si c’est vrai), et que tu vivras long- temps, Iongtemps encore, pour moi et rien que (0 L’article de Baudelaire sur Les Miserables, paru dans Le Boulevard, a ete recueilh dans L’Art ROM ANTIQUE. — Celui de Barbey d’Aurevilly qui denonfait les visees politiques d’Hugo et ses mamelouks (Le Pays, 19 avril et 28 mai 1862), dans Les Pokes. Ce sont ces fameuses pages -la, qui avaient valu a Ieur auteur de lire sur tous les murs de Paris : Barbey d’Aurevilly, idiot, — «ma couronne muralei), disait-il plaisamment. (’) Nous avons donne cette Iettre-Ia dans L’Art ROM AN¬ TIQUE, pages 560-^6 1. W Les Memoires aoutre-tombe , promis a Mme Aupick. 0) Baudelaire ne devait jamais collaborer au Journal des Deliats ni a la Revue britanniquc; mais nous le verrons bientot donner a La Presse une suite de poemes en prose (aout-septembre) et au Monde illustre sa traduction du Joueur d’e'cbecs de Maelzel (juillet et aout). DE CHARLES BAUDELAIRE. I O I pour moi. Tu vois que j’ai la ferocite et I’egoisme de I’afFection. C. B. Je vais passer demain la journee a Fontaine¬ bleau. Cruelle corvee! 725. A ARSENE HOUSSAYE. 18 aout 1862. Mon cher Houssaye, Si vous ne venez pas a mon secours aujourd’hui, je vais me trouver aujourd’hui meme sans logement , et dans une situation telle que je n’aurai plus Ie repos necessaire pour travailler un peu. J’esperais toujours que la Presse commencerait mon Varietes et continuerait tout doucement de semaine en semaine ou de quinzaine en quinzaine. C’est, je vous assure, avec un profond regret que je m’a- dresse a votre bourse. Mais a qui m’adresser en ce moment? Personne n’est a Paris.- — Ce sera, si vous voulez, uneavance dontvous vous rembourserez, ou un pret; car si je suppose I’ouvrage fmi, je con- nais quelqu’un qui me fera 1’avance de la totaIite(1). La somme dont j’ai besoin est trop forte pour que j’aie en aucune fa?on Ie droit de vous la demander; mais 250 fr. qui represented sans doute deux grands articles Varietes , que vous (1) Peut-etre I’ami Le Maiechal. Cependant. . . voyez la Iettre 689, page 30 , note 2. I 02 CORRESPOjNDANCE generale avez^, me permettraient peut-etre de faire patien- ter mon homme pendant quelques jours. Permettez-moi, je vous en prie, d’insister vive- ment, comme sur une chose grave, et de ne pas parler reconnaissance. C’est la mode de ceux qui oubhent. Tout a vous. Ch. Baudelaire. II n’est pas etonnant que je vous tourmente pour essayer un ouvrage de moi a la Presse. J’ai bien d’autres choses en tete que Ies Poemes et Ie Villemain. Tout pourrait se morceler. J’ai trouve deux titres nouveaux : Fusees et Suggestions. Soixante-six Suggestions (2). Avant-hier, j’ignorais encore que je serais oblige de vous assassiner ainsi; faites tout ce que vous pourrez, non pas pour me tirer d’affaire, mais pour m’aider a allonger la courroie. J’ai encore un peu de copie chez moi; mais j’aurais voulu la grossir. J’irai vous voir aujourd’hui. 0) II semble bien qu’il s’agisse de petits poemes en prose et du Villemain, auquel cas on devrait supposer que Baudelaire n’avait livre, de ce dernier, qu’un canevas. W Ces titres-Ia, frequents dans ses Journaux intimes, Baude¬ laire n’avait guere eu de peine a Ies trouver : ll lui avait suffi de feuilleter les oeuvres d’Edgar Poe. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 °3 726. A POULET-M ALASSIS. [Aout-septembrc 1 862 ? U) ] Mon cher Malassis, 1. — Vous n’avez aucune certitude que la propriete des Fleurs et des Paradis vaille cinq mille fr. (2). Elle ne vaut peut-etre pas cela actuellement ; et elle peut valoir plus tard beaucoup plus. II serait possible aussi que Les Fleurs suffissent, vendues en toute propriete, a payer ma dette vis- a-vis de vous. 2. — J’ai fait mes reflexions et je consentirai a cet arrangement, si nous agrandissons le systeme , ce qui me permettrait enfin de me mettre I’annee prochaine a faire beaucoup de nouveau (n’existant encore qu’en ebauches), et peut-etre meme d’aban- donner a tout jamais le systeme de fragmentation dans les joumaux qui me fait tant soujfrir. (Insister Ia- dessus.) MATIERE VENDABLE (5 Vol.) Ref exions sur mes contemporains . . . 2 vol. Fleurs du Mai . 1 — Paradis artifciels ( Opium et Has- . 1 — Poemes en prose . 1 — Le 13 decembre suivant, nous verrons Baudelaire ecrire a sa mere qu’il doit 5.000 francs a Poulet-Malassis. D’autre part celui-ci sera emprisonne des le 12 novembre, et il etait encore en Iiberte quand cette lettre fut dcrite. Enfin Les Amoureux de Mm ' de Se'vigne, le livre d’Hippolyte Babou dont il est ici question (dernier paragraphe) , avaient paru cbez Didier au mois de juin precedent. I 04 CORRESPONDANCE GENERALE Ou vendre a chacun, Ie plus cher possible, pour une edition, ou pour un temps href, un ou deux des volumes mentionnes, ou (systeme pre¬ ferable) vendre a un seul editeur la propriete de tout , pour toujours , ou pour un temps tres long. Dans ce cas-Ia, ma pensee se reporte vers Mi¬ chel, malgre que, recemment, il m’ait refuse Ies Contemporains , blesse (en apparence peut-etre, peut-etre reellement) de ce que j’avais pense a Hetzel. Je crois que Michel ne connait pas du tout la valeur de ces Iivres, particulierement des Fleurs du Mai, des Contemporains, etc..., des Paradis. Peut-etre sa susceptibilite s’apaisera-t-elle, et peut-etre vaudrait-il mieux tout faire rentrer chez Iui, d’autant plus qu’il sera charge plus tard de manceuvrer pour moi I’affaire du Poe illustre avec Hachette(1), et qu’il fera pour moi ce que vous faites maintenant vous-meme. Vous pouvez meme Iui montrer cette note, si vous Ie jugez a propos. En dehors de cette corn- raison, je ne vois que Hetzel, d’un cote, et, de I’autre, Didier, pour Ies Contemporains, — a qui j’avais pense, apres la rebuffade de Michel. Dans ce dernier cas, traitez sur la base faite pour Babou : 800, par volume, — pour une edition. Tout a vous. C. B. Projet qui n’eut pas de suite. DE CHARLES BAUDELAIRE. IOJ 727. A MICHEL LEVY. [Aout-septembre 1862?] « Dans la troisieme edition, que j’appellerai Edi¬ tion definitive j’ajouterai 10 ou 15 pieces, plus une grande preface ou j’expliquerai mes trues et ma methode et ou j’enseignerai a chacun I’art d’en fiaire autant. Et si je n’ai pas Ie courage d’ecrire cette serieuse boufFonnerie (2), j’ajouterai sim- plement, comme preface, I’excellent article de Th. Gautier sur Ies Fleurs du Mai , compris dans le qe volume des Poetf.s francais(3). Tout a vous. C. B. 728. AU meme. [Aout-septembre i862?<4)] Mon cher Michel, il faut que vous ayez le cou¬ rage de lire cela d’un bout a I’autre, Gardez soigneu- sement cette edition, car vous voyez qu’elle est Appellation qui sera reprise pour 1’edition posthume, effec- tivement la troisieme. Cf. Les Fleurs du Mal, pages 376-377. Annonce par le Journal de la Librairie le 2 aout 1862. C’est done a tort que dans la Correspondance ce billet (redige sur le faux titre d’un exemplaire de la 2e edition des Fleurs ) a ete place en 1861. W II y a lieu de croire que ce billet, redige (au crayon) sur le faux titre d’un exemplaire des Paradis artifciels, est contem- porain du precedent puisqu’il avait pour but, comme celui-ci, d’attirer 1’attention de Levy sur un ouvrage mal connu de lui , aux termes de la lettre 726. 1 o 6 CORRESPONDANCE GENERALE tres bien faite, et elle deviendra introuvable. Rien a remanier , Ie livre est tres bien comme il est. Ch. Baudelaire. 729. A EUGENE CREPET. 9 sept. 62. Mon cher Crepet(1), Votre precieuse Iettre est arrivee trop tard. Je veux dire que j’ai Ie 4" vol. des Poetes fran^ais. Je I’ai paye, bien entendu. Je garde la facture aussi soigneusement que votre Iettre. Quant a vos livres, votre reclamation n’est que trop juste; il etait pueril(2) de prendre une forme aussi imperieuse. Je n’ai souvenir exact que des W En reponse au billet suivant : ((Villers s/mer, 7 sept. 62. «M. Hachette m’a envoye le billet par Iequel vous lui deman- dez le dernier tome des Poetes franfais. «I1 n’avait pas autre chose a faire, puisque j’ai la propriete de l’ouvrage et qu’il n’en a que le depot. «C’est done a moi de vous repondre. «C’est avec intention que j’ai omis votre nom sur la liste des collaborateurs et des poetes cites a qui j’ai adresse ce quatneme tome. J’attendrai pour vous 1’envoyer que vous m’ayez rendu les volumes des poesies de V. Hugo que je vous ai pretes, il y a environ deux ans. «Quand je vous les at reclames dernierement , vous m’avez repondu : je les ai oublies chez ma mere et je vous les rappor- terai quand j’irai la voir. Cela veut-d dire que si vous n’allez pas a Honfleur cette annee, je devrai attendre pour avoir mes livres, qu’il vous plaise d’y aller? E. C.» [inutile] rature. DE CHARLES BAUDELAIRE. °7 Contemplations et de La Legende des Siecles. Dans la crainte de me tromper, je vais reclamer tout ce que I on pourra trouver de Victor Hugo chez moi (1>. Charles Baudelaire. (') Reponse d’E. Crepet : Paris, 14 sept. 62. «Mon cher Baudelaire, «Je ne refois que ce matin votre billet que I’on me renvoie de Villers. J’en suis parti, il y a cinq jours. II ne vous a pas convenu d’attendre la reponse qu’on vous avait promise chez M. Hachette.Vous avezpretere acheter immediatement Ie qe tome des Poetes fran(ais. Je n’ai rien a dire a cela, et j’avoue en toute sincerite que je 11’en eprouve aucune humiliation. Je vous devais ce volume, mais, comme d’autre part je vous ai donne les trois premiers, auxquels vous n'aviez aucun droit puisque vous n’y avez rien ecrit, il me semble que je suis plus que quitte avec vous. «J’ai meme I’impudente naivete de croire qu’en fait de bons procedes, sur ce point comme sur d’autres, vous etes et vous resterez mon debiteur. «Gardez «precieusement» ma lettre. Joignez-y meme, si bon vous semble, celle-ci en guise de commentaire. Je garde, moi, non moins precieusement , la serie des billets dont mon avant-der- niere lettre n’est qu’un caique imparfait. La raideur du ton, I’absence de toute formule cordiale ou de simple pohtesse, la signature par initiales, autant de traits caracteristiques que je vous ai servilement empruntes. « Le plagiat peut vous parahre «pueril». Mais c’etait le meil- Ieur moyen que j’eusse cle vous faire sentir combien l’accent presque toujours dedaigneux, imperatif et quasi-dictatorial de votre correspondance m’a blesse. «Les deux volumes de Victor Hugo que vous m’avez emprun¬ tes, sont les deux tomes des Contemplations (edit. in-8°). «Eugene Crepet.m C’est a la suite de cet incident que Baudelaire, dans son Car- net, notait comme «a payer tout de suitew : «Hachette, 7-5°> Crepet 1 5 » et, en face de ces notes, comme ((Vilaines ca¬ nailles)), Hachette et Crepet. CORRESPONDANCE GENERALE I 08 730. A POULET-MALASSIS. ^10 Route Militaire pres la Porte d’Orleans Montrouge (*),J [13 septenibre 1862. Cachet postal.] Mon cher Malassis, Un mot d’explication, pour le cas ou je serais oblige d’apprendre ma Ief on ^ ^-e 1 septemhre 1862, Leconte de Lisle mandait a sa soeur Elysee : «Maitre Poulet-Malassis, mon editeur ordinaire, a disparu de la rue Richelieu avec tous nos livres. ((C’etait a la faveur des ombres de la nuit.)> ((Impossible de mettre la main sur ce noctambule. II a fait, dit-on, une vente fictive aux editeurs Lecrivain et Toubon qui sont inconnus aux neuf cent quatre-vingt-dix-neuf milliemes des hommes mortels habitant la terre feconde, comme dit Homere. Pa-ss1 f : ^0.000 fr. dont 15.000 sont dus a I’imprimeur Poupart. Ledit Poupart, ayant eu 1 indehcatesse de reclamer ses 13.000 fr., a immediatement re?u une paire de soufflets en a-compte. C’est Toubon egal aux Dieux qui les Iui a remis. Le farouche Impri- meur, mecontent quoique battu, et doue d’ailleurs d’un tres mauvais caractere, desire rendre un nombre identique de souf- flets a Poulet-Malassis qui se derobe genereusement a toutes les recherches. Voila 1’histoire. Ce qu’clle offre de plus net et de plus precis c’est que nos livres se sont absolument eclipses. Je perds a ceci le prix des Poesies Barbares et mon traite pour la traduction d Homere. Tu vois que le bonheur ne me poursuit RoSdlD™'"' d'™e (c»™^ Par , Ce blll.et» tour humoristique que beaucoup de lecteurs n attendaient peut-etre pas de I’auteur de Kain, et que le Bloch e Marcel Proust n aurait pas desavoue, groupe quelques ren- W Voir cette note a la page suivante. DE CHARLES BAUDELAIRE. I Op Vous dites : 5 vol. et il ny en a que 4 Fleurs ! ium f r ■ ■ . 4 tois 300 inions13' 1 Curiosites ] Total 1.200 — vous dites 1.500. — Si j’ai regu 1.500, c’est 900 que je suis cense devoir. Maintenant, mon cher, quand vous aurez un peu de repit, vojez Hetzel, dites-Iui a quel prix Lecrivain cederait Ie restant des deux voI.(4) et traitez pour moi (pour vous en reahte) au morns pour ces deux volumes ou raeme pour trois, car les poemes en prose marchent. Et puis venez me voir. Je regrette Ie temps ou °p oP seignements dont la connaissance ne sera pas inutile pour la comprehension des lettres qui vont suivre. — Est-ce simple coincidence? En 1862 on voit Poulet-Malas- sis quitter son magasin de la rue Richelieu pour aller habiter successivement 16, rue Dauphine, et a 1 adresse mentionnee ci-dessus. Or Lecrivain et Toubon avaient Ieur Iibrairie 10, rue Git-Ie-Coeur, et leurs ateliers impasse des Deux-Lions, a gauche de la Porte d’Orleans. (*) La Ie?on qu’il aurait a reciter a qui de droit au sujet de la comptabilite de Poulet-Malassis bientot declare en faillite. (») Entendez L’Art romantique. — II s’agit la des 4 volumes portes au traite du i"janvier 1 860 , voyez CURIOSJTES ESTHE- T (*) Les’ ?*afadt/ et les Fleurs, 2' edition. Ces deux ouvra- ges seront annonces dans Ie Boulevard du 11 janvier 1865 comme en vente a la Librairie Lecrivain et Toubon, 5 rue du Pont-de-Lodi (pres de la rue Dauphine), cf. page 132, note 1. Depuis la fin ae I’annee i860 des pourparlers etaient en cours pour la cession a Hetzel des ouvrages de Baudelaire parus chez Malassis. Celui-ci, en compensation de ses avances a notre poete, avances qui s’elevaient giobalement a 3.000 fr., avait d ailleurs obtenu de lui, a la date du ier juillet 1862, le droit exclusif de reproduire tous ses ouvrages parus ou a paraitre, de quelque nature qu’ils fussent. ] 1 O CORRESPONDANCE GENERALE nous nous voyions tous Ies jours. Ecrivez-moi un mot la veille. Toutavous. n n D. P. S. Je suis parvenu a comprendre la Iettre. Je redois 2 volumes (1), plus 300 fr. Mais, mon cher ami, il va falloir que j’en rende deja 1.000. V 73I. AU MEME. Vendredi [Septembre 1 862 12^]. Mon cher ami, II y a huit jours, I’agent de Mr Lemercier(3) m’a de nouveau promis qu’il ne presenterait pas Ie billet au Syndic. Si depuis Iors, il a change d’idees, c’est qu’il veut tout d'abord en tirer ce qu’il pourra et puis se rabattre surmoi, pour la difference. Je crois me souvenir qu’il m’a fait signer quelque chose qui engage uniquement ma responsabilite. Mais, je vous en prie, n’envenimons rien. J’aurai la clef de ce mystere. Votre Montrouge est un grand obstacle a ce que nous puissions nous voir aussi facilement (1) Opinions et Curiosite's, recueils demeures en preparation depuis pres de deux ans, mais sur le premier tirage desquels Baudelaire avait deja touche ses droits. (s) La date est presumee de la teneur du deuxieme paragraphe. <3) Probablement 1’escompteur dont nous avons rencontre le nom plusieurs fois dans cette Correspondance, et chez qui sans doute un billet etait reste en souffrance. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 I I qu’autrefois, et cependant j’ai Ie plus grand besoin de causer minutieusement avec vous, vous savez de quoi. Voulez-vous que je commande un diner conve- nable a mon hotel Dimanche? Nous viderons a fond la question Michel11) et nous la retournerons de toutes les fa^ons. II faudrait a tout prix beau- coup d’argent comptant pour vous et pour moi. — Tout a vous. C. B. Un mot d’ecrit, je vous prie. Tachez de pou- voir venir, il m’est impossible de bouger. 732. A MONSIEUR RAYMOND MATIGNY (2) [24, rue de Constantinople Paris.] 21 sept[embre 1 8] 62 (3C Monsieur, Je n’ai pas I’honneur de vous connaitre. J’ignore completement de quoi il peut etre question. Je re^ois beaucoup de lettres de personnes inconnues , (‘) C’est-a-dire la cession eventuelle a Michel Levy des ouvrages mentionnes dans le traite avec Malassis en date du 1" janvier i860. . , , . (j) Agent d’affaires auquel il semble qu’Arondel avait emprunte de I’argent en lui donnant comme garantie sa creance sur Bau¬ delaire, ou qu’Arondel, preferant ne pas parahre, avait pris pour idiomme de padlew. 0) Sur la piece autographe, d’une ecriture etrangere : 27 — date sans doute de la reponse du destinataire. Sur toute cette affaire, voyez notre article de Fontaine (fevrier 1946): Baudelaire et ses creanciers. I I 2 CORRESPONDANCE GENERALE auxquelles je m’applique a repondre autant que je peux. Mais mes occupations, tres actives en ce moment, me clouent dans ma chambre pour trois semaines au moins, et me privent meme de mes amis. Agreez, Monsieur, I’assurance de ma conside¬ ration distinguee. Charles Baudelaire. 733. A MADAME AUPICK. Lundi 22 septembre 1862. Ma chere Mere, II y a plusieurs mois^ que je veux tecrire. Je te dois de nombreuses explications. Pourquoi je ne suis pas parti, ce que je deviens, quand je par- tirai, etc. Mais les journees sont pleines d’accidents si divers, et si courtes; quelques pages ecrites, des courses, et puis la fin du jour arrive. De plus il me faut une certaine beatitude pour t’ecrire. Or, la colere est mon etat ordinaire. Ainsi aujourd’hui je t ecns des bureaux de la Prcssc (ou je me croyais enfin installe, et depuis onze mois j’etais sans abri) et voila que j’endure ici des tortures, de veri- tables toi tures ) et il se pourrait bien que je renon- « Plusieurs mois? Baudelaire se rappelait ma] puisque nous avons ^ donne ici-meme une lettre a Mm” Aupick en date du 11 aout. — Effet sans doute des remords qu’il eprouvait envers la pauvre chere vieille femme qui I’attendait depuis si lone- temps ! r ° DE CHARLES BAUDELAIRE. I I 3 ?asse a pubher la suite des Poemes en prose , qui faisaient 15 feuilletons^. Et cependant 1’ argent! Car tout est la. Je ne veux pas Iaisser derriere moi des embarras, qui pourraient avoir une reper¬ cussion a Honfleur. J’en aurais pour vingt pages a t’ecrire, si j’avais la tete libre. Enfin je t’ecris pour te demander la permission de ne t’ecrire que quand je Ie pourrai. Mon plan, pour retourner a Honfleur, est par- faitement bien fait; mais il est sans cesse contre- carre par des accidents impossibles a prevoir. Je te promets que je t’ecrirai encore cette se- maine; mais vraiment je n’ai pas la tete assez libre pour aujourd’hui. Ma belle-sceur chante tes Iouanges; ce qui ne m’a nullement surpris. Je t’embrasse bien tendrement. J’ai differentes choses a t’envoyer; mais je ne sais pas quand je pourrai faire le paquet(2). Charles. <‘) Voyez la lettre 735 dont la teneur est peut-etre pour expli- quer que Baudelaire se soit donne les gants de renoncer spon- tanement a poursuivre la publication de ses petits poemes. M Des livres, sans doute, voyez Ie numero 744. IV. 8 CORRESPONDANCE GENERALE 1 14 734. A MONSIEUR RAYMOND MATIGNY I1'. [Rue de Constantine, 24, Cite. Paris.] Vendredi, 3 oct. 62. Monsieur, Je comprends parfaitement que M. Arondel s’impatiente, et cependant j’aurais bien voulu encore gagner du temps. Je suis si affaire que je n’ai pas pu vous repondre plus tot. — J’irai vous voir Mardi ou Mercredi, — au plus tard, — et je vous mettrai nettement au courant de raa situation. Veuillez agreer, Monsieur, I’assurance de raa parfaite consideration. Charles Baudelaire12*. 735. A ARSENE HOUSSAYE. 8 octobre 1862. 3 heures. Mon cher Houssaye, J’ai vu tout a l’heure M. Rouy(3) qui m’a fait Ies reproches que vous I’avez charge de me trans- . Mon cher Hetzel, J’avais tant de choses a vous dire la dermere fois que j’ai eu Ie plaisir de vous rencontrer, que, naturellement, je n’en ai dit aucune. Parmi ces choses, il en est une qui me tient au coeur. 0) Nous n’avons pas la reponse. Mais dans une Iettre (ine- dite) a Charles Asselineau, on voit Poulet-Malassis ecrire (8 de- cembre) : « Si vous voyez Baudelaire, prevenez-Ie que je Ie ferai assigner comme temoin a decharge pour raconter la scene qu’il a eue avec Pouparti). C3'3) Pierre -Jules Hetzel (P.-J. Stahl en Iitterature, 1814-1886, voyez Ie Dictionnaire des Contemporains ou une colonne entiere Iui est consacree) venait de rouvrir a Paris une maison d’edi- tion et comptait parmi Ies plus vieux amis de Baudelaire duquel il faisait le plus grand cas. C’est Iui notamment qui, par ses instances, avait decide Arsene Houssaye a publier dans la Presse quelques-uns des Petits poemes en prose (voyez notre edition de cet ouvrage, page 227, on y trouvera, sous sa signature, un des eloges les plus chaleureux dont Baudelaire, en tant que prosa- teur, ait ete I’objet de la part d’un contemporain). 1 24 CORRESPONDANCE GENERALE M. CatuIIe Mendes a depose chez vous un manu- scrit, Ies Amours frivoles (1) * 3. Je serais heureux que vous acceptiez Ie volume. S’iI s’agissait d’un ou- vrage tout a fait mauvais, j’aurais tort de vous ex¬ primer ce desir. Mais je connais Mendes, il a de l esprit, du gout et souvent beaucoup de grace. II ne doit pas avoir fait un volume incontestablement refusable. Tout a vous. A bientot. Charles Baudelaire. 741. A MARIE ESCUDIER(2). [A Monsieur — de la part de C. B. au journal Le Pays, faubs Montmartre, Paris.] 4 decembre 1862. Cher Monsieur, Vous devinez qu’apres la belle reception que m’a faite M. A. Chevalier, cet illustre inconnu^31, je suis peu tente de remettre Ies pieds au Pays. Si (1) Mendes, que nous sachions, n’a jamais publie un ouvrage sous ce titre, en Iibrairie du moins. Mais, en 1 864. , paraitra chez Hetzel son premier volume de vers : Philomela, dont Ie dernier poeme : Pante'leia, etait dedie a Baudelaire. (2) Redacteur au Pays. (3) Bien qu’011 hse dans I’autographe A. Chevalier, il doit s’agir de Henry-Emile Chevalier qui, par la grace de Gustave Vape- reau, tient, dans le Dictionnaire des Contemporains , une place beaucoup plus importante que Baudelaire. Ce poiygraphe, dont Poulet-Malassis avait pubhe plusieurs romans d’aventures , etait attache au Pays. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 25 Ie Pays a envie de I’article Salammbo^, il le fera demander a Michel Levy, chez qui je le deposerai. Quant au Peintre de la vie modeme , si souvent re^u, et que ce monsieur ne veut pas imprinter, bien que l’ARticle soit paye, je Ie Iaisserai encore quelque temps entre Ies mains de M. Ribeyre^, et puis Ie jour ou il me sera demande ailleurs, je l’enverrai chercher1 2 (3). Je crois avoir montre assez Iongtemps que j’avais de la patience et que j’etais un homme assez bien eleve. — Montrez ma Iettre a qui bon vous semblera, a M. Chevalier ou a M. d’Anchald (4)} dont Ies instructions n’ont pas ete obeies. — Quant a vous personnellement, merci de tout mon coeur pour la bienveillance que vous m’avez montree dans cette affaire. Je n’ai pas chez moi Ie Richard Wagner et Tann- baiiser a Paris. Mais si je ne peux pas en trouver un exemplaire, qu’importe? J’inscris votre nom pour un exemplaire de mes oeuvres critiques completes, qui infailliblement paraitront I’annee prochaine. Bien a vous. Ch. Baudelaire. 22, rue d’Amsterdam. Une idee : Est-ce que Ie Pays parait tous Ies jours avec ses trois premieres pages en blanc? Quant aux annonces, je comprends qu on ne Ies refuse pas. (1) Entendez : sur Salammbo qui avait paru Ie 24 novembre. Il ne semble pas que cet article-la ait ete jamais redfige. (2) Secretaire de la redaction du Pays. (s-4) Voyez la Iettre du 2 decembre 1863. I 26 CORRESPONDANCE GENERALE 742. A ALPHONSE LEGROS 6 decembre 62. Mon cher Legros, Tout cela est fou, et Durantj est fou s’il vous a dit cela(2). i° Avez-vous vu Meurice ou sa femme W? 2° Meurice a-t-il expedie une epreuve a Victor Hugo ? 30 J’ai vu M. Paul Chenay, graveur (beau-frere de Victor Hugo), charge de faire a I’eau-forte un album des dessins a la plume de V. Hugo (Ie meme a qui Meissonier a fait un proces)^ et je Iui ai raconte votre cas. M. Chenay m’a dit qu’il aurait bien volontiers pris Ie portrait fait par vous, si mal- heureusement le sien n etait pas deja fait(5); mais que dans cette occurrence Iaseule marche a suivre etait de communiquer a Hugo une bonne epreuve de ' I’"' . ^ePu^s son Salon de 1859 ou deux pages sont accordees a, I AngeluSj Baudelaire s’etait lie avec Legros qui avait grave plusieurs planches pour sa grande edition en projet des Contes de Poe et, tout recemment copie, pour Poulet-Malassis, son portrait par Gustave Courbet. Ligne omise dans Ie Mercure de France ou cette Iettre fut d’abord publiee. Nous ignorons d’ailleurs a quoi elle avait trait l3> Paul Meurice, faut-d le rappeler, rivabsait avec Auguste Vacquerie dans le culte d’Hugo, et veillait aux interets du poete exile avec le zele d un intendant benevole. Nous verrons Bau¬ delaire dans la Iettre suivante, mentionner qu’il a fait une demarche pour Legros aupres de Mme Meurice. ( 1 En 1856, Chenay avait grave La Rixe d’apres Meissonier. Peut-etre en etait-il resulte un proces. * Tltle ^ album : Dessins de Victor Hugo grave's par Paul Lbenay. Texte par Theophile Gautier, in-40, Paris (Castel, ed ) Cet album s’ouvre par un portrait d’Hugo grave par Chenay d apres une photographic faite en i857- DE CHARLES BAUDELAIRE. I27 son portrait par Legros et que, si Ie portrait Iui f)Iaisait, il serait excessivement facile de proposer a vente du cuivre a un editeur quelconque de Victor Hugo (Hachette, Hetzel, Pagnerre, etc.), V. Hugo en temoignant le desir. Tout cela est tres Iogique (1). M. Chenay qui d’ailleurs a du talent et de I’esprit® est tout pret a vous servir en toute fagon. C’est un malheur que vous ne vous soyez pas depeche. Vous auriez pu etre adopte pour fournir Ie portrait en tete de I’album. Maintenant reste une chance : c’est que Ie portrait plaise a Hugo, puis- qu’en somme il est fort bon et que Hugo s’y connait; il y a chance (3). Seulement Ie fameux poete a pour principe que Ie portrait d’un homme celebre doit toujours etre offert sous une forme jolie et seduisante. Je ne veux pas avoir fair mechant. Chenay a fait de Iui un admirable portrait et Hugo I’a repousse corame ayant fair trop farouche. Lamar¬ tine seul en a demande une epreuve. Victor Hugo demeure a Guernesey (voie de Londres), Angle- terre. Meurice demeure avenue Frochot, n° 5; Chenay demeure rue et Cite Turgot, n°5, a Paris. Tout a vous, Ch. Baudelaire. P. 5. — Je crois que si Victor Hugo temoignait a fun quelconque de ses editeurs Ie desir de mettre Ie portrait en tete d’un ouvrage de Iui, on pourrait tirer de cela 300 fr. (1-2-3) ((y Hugo en temoignant Ie desir. Tout cela est tres Iogique.)) — «qui d’ailleurs a du talent et de I’esprit, » — «il v a chance)). — Passages coupes dans Ie texte du Meraire de France, et dont 1’absence ne nuisait ceUainement pas a cette Iettre, mais qu’il est de notre devoir de retabhr. CORRESPONDANCE GENERALE I 28 743. A POULET-MALASSIS. 13 decembre 1862. En effet, mon cher ami, celui qui vous a fait enfermer(1) m’a joue un cruel tour; car je comptais bien sur vous pour diriger mes affaires. Je suis si maladroit! Hetzel m a fait une fort belle proposition pour deux ouvrages se faisant pendant reciproquement. II voulait Ies lancer avec soin, mais c’etait pour une edition seulement; mais cela ne remplissait pas mon but(2). Et Michel me tient toujours Ie bee dans I’eau. Je recule, suivant la tradition des reveurs, comme devant toute realite(3f Pourquoi diable m’offrez-vous quelqu’un pour me diriger? II faut que j’apprenne a fai re une affaire tout seul. Mais que vous etes injuste envers moi ! Quedaire pour vous etre agreable? Vous me demandiez un journal Iitteraire. Comme tous Ies prisonniers, vous croyez qu’il se passe quelque chose dehors.’ II n y a pas de nouvelles, a moins que vous ne <> On a vu la part qu’avait eue Poupart dans cette affaire II taut ajouter que Louis-Eugene Hatin, auteur d’une Histoire poli¬ tique et Iitteraire de la presse en France (8 volumes, i8«o-i86i) qu avail publ.ee Poulet-Malassis, avail, Iui aussi, porte plainte centre son editeur, et meme etay6 sa plainte dun memoire vehement. Les Fleurs du Mai et les Petits poemes en prose qu’il finira par acquerir (13 ianvier 1863). (S), ^es pourparlers avec Michel Levy vont durer tres Iongtemps et n aboutiront que pour Ies traductions. DE CHARLES BAUDELAIRE. I 2,0 fassiez allusion au Fils de Giboyer Mais vous savez bien que je ne m’occupe pas de ces turpitudes-Ia. Quant a Salammbo grand, grand succes. Une edition de deux mille enievee en deux jours. Posi- tif Beau Iivre, plein de defauts, et qui met en fureur tous Ies taquins, particulierement Babou. II y en a qui reprochent a Flaubert les imitations des au¬ teurs anciens. Ce que Flaubert a fait, lui seul pou- vait Ie faire. Beaucoup trop de bric-a-brac, mais beaucoup de grandeurs, epiques, historiques, poli- tiques, ammales meme. Quelque chose d’etonnant dans la gesticulation de tous Ies etres. Quant aux 30.000 fr., blague, blague! Pourquoi Flaubert a-t-il permis cela? 30.000 fr., soitl mais la Bovary, dont Ie traite allait expirer, est cede de nouveau : done, 13.000 fr., puis, defalcation derinteretde30.ooofr., pendant dix ans. — Je crois que Flaubert a re^u 12 ou 13.000 fr. (pour Ies deux), mais comptant. Champfleury et La Fizeliere m’ont dit qu’on ne pouvait pas encore vous voir(3). Alors mes remords n’avaient pas de raison d’etre, car j’avais positive- ment des remords de n’avoir pas encore couru Ia- bas pour vous voir. W Cette piece, representee pour la premiere fois au Theatre Frangais Ie i" decembre, dechainait alors Ies passions politiques et religieuses. (a) D’apres M. Rene Dumesnil ( Gustave Flaubert, page 2^1), e’est pour 10.000 francs que Michel Levy, en 1862 , avait acquis la propriete de Salammbo pour dix ans. Les 30.000 francs mention- nes plus loin n’auraient correspondu qu’a un bruit mis en circu¬ lation par I’astucieux editeur. Voir a ce sujet un article d’ Albert Wolff ( Figaro , 19 octobre 1862). (3) Poulet-Malassis avait ete transfere de la prison pour dettes a la Maison d’arret des Madelonnettes , et ses amis s’efforfaient a I'envi de lui prouver Ieur attachement. C’est ainsi qu’ Albert de la Fizeliere s’etait offert a diriger en ses lieu et place la Revue anecdotique. IV. 9 CORRESPONDANCE GENERALE 1 3° Mais quand cela finira-t-il? Et quand pourra-t-on vous rendre visite? J’ai hate de Ie savoir. Donnez- moi des nouvelles de votre mere. J’aurai peut-etre a Iui ecrire avant un mois ou avant quinze jours (1). Pour moi, je me porte fort mal, et toutes mes infirmites , physiques et morales , augmentent d’une maniere alarmante. J’aurais besoin d un medecin comme Mesmer, Cagliostro ou Ie tombeau de Paris. Je ne plaisante pas. Tout a vous. Ch. Baudelaire. J’oubliais quelque chose d’important et que je pourrais vous donner a deviner fort inutilement. J’ai vu Madame Paul Meurice® a propos de Legros qui a fait un beau portrait de Hugo. Elle m’a de¬ mands de vos nouvelles, m’a accable de questions avec une emotion surprenante (comme je ques- tionne aussi tout Ie monde a propos de vous); et puis j’ai vu ses yeux se gonfler, ainsi que son cou, et je crois vraiment qu’elle aurait pleure, si on n’avait pas annonce une visite. Vraiment je serais bien fier d’exciter tant d’inte- ret meme a une femme a cheveux blancs (3f Quant a son mari, invisible. II est plonge dans quelque grosse machine nouvelle. <') Baudelaire esperait sans doute pouvoir remettre prochai- nement a Mme Poulet-Malassis tout ou partie de la somme qu’il devait a son fds, comme d l’ecrivait, ce meme jour, a sa mere. (J) Voyez la Iettre precedente. <3> 11 pourra en etre fier a son tour, bientot. Nous Ie verrons, en 1 86^, recevoir de Mme Meurice des lettres pleines de la plus genereuse sympatbie. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 3 1 744. A MADAME AUPICK. 13 decembre 1862. Comment se fait-il qu’il soit si difficile d’ecrire a sa mere, et que cela se fasse si rarement? Une chose si simple et qui devrait etre si douce. — Mais il est si difficile aussi de faire n’importe quoi de ce qui est bon et qui est le devoir. Et la multi¬ tude des soucis qui augmente avec Ie vieillisse- ment empeche de satisfaire a tout ce qu’on recon- nait comme devoir et meme comme devoir agreable. Enfin, ma chere mere, avant tout, avant tout, comment te portes-tu ? Si tu pouvais entendre ma pensee a distance, comme tu te dirais souvent : voila mon fils qui pense a moi ! — mais tout ya, c’est des paroles et des suppositions poetiques. Tu aimerais bien mieux que je te prouvasse mon zele. Comme tu as ete dure envers moi dans une de tes dernieres lettres! Ces cruels 500 fr. (1d La seule chose serieuse qui m’a frappe dans ta lettre, c’est la falaise^K Mais je suppose toujours que tu dois deviner beaucoup de choses. Pouvais-je supposer que tant de tuiles allaient me tomber sur la tete au moment oil je projetais mon depart? — par exemple la faillite Malassis, dont tu as sans doute entendu parler, — oil j’ai failh etre compromis, et qui dans tous Ies cas jette un grand bouleverse- M Voyez la lettre 7 1 9. W C’est-a-dire Ies depenses ruineuses auxquelles Mme Aupick se trouvait obligee du fait de I’eboulement de la falaise ou etait construite la Maison-Joujou. 9- CORRESPONDANCE GENERALE I32 ment dans ma vie. Je dois 5.000 fr. Je suis decide a les cacher a la justice, pour pouvoir Ies remettre a Malassis ou a sa mere plus tard. — Et puis Ies Fleurs du mal et Ies Paradis abandonnes aux ha¬ zards du rabais(1) ! — Mais tu n’entends rien a tout cela. J’ai commence etourdiment ma Iettre en pre- nant mon papier a I’envers, ce qui m’oblige a la paginer pour ta commodite. Un superstitieux ver- rait la un mauvais presage. Je t’ai envoje des Iivres pour te distraire. — De bons Iivres. Les Lettres sur les animaux (sauf la preface de ce medecin imbecile (2)) et Ie Neveu de Rameau, que probablement tu connaissais, sont des merveilles. Mais tu n’as pas du tout devine pourquoi je t’avais envoye Ies poetes fran II semble d’apres ceci que Baudelaire s’etait mis d’accord avec Dentu, I’editeur de la feue Europeenne, pour que son volume de poemes en prose parut chez lui. Mais nous n’avons pas retrouve la correspondance qui fut echangee a ce sujet; nous savons seulement qu’elle existe, ou du moins existait encore il y a quelques annees. — Voyez la lettre 751. <3) L’une des deux afflictions, sans doute la faillite de Malas- sis. L’autre, nous ne savons. Peut-etre le sentiment de sa diffi- culte croissante a travailler. Voyez la lettre 766. W Le Nord, journal international, jusqu’alors imprime a Bruxelles, qui venait d’obtenir 1’autorisation de paraitre a Paris, et a la direction Iitteraire duquel Mario Uchard participait. DE CHARLES BAUDELAIRE. I 4 1 vous avez entre Ies mains, et auxquels j’attribue quelque importance , comme vous savez. J’en ajou- terai d’autres quand vous voudrez. J’ajoute a cette Iettre une nouvelle Iiste de ce que j’ai I’intention de vous donner pour que vous puissiez I’annoncer. NOUVELLES DE POE. Le Mystere de Marie Roget. Le Cottage de M. Landor. et le Domaine d’Arnheim. POEMES EN PROSE. (presque faits) VARIETES. Le peintre de la vie moderne (fait). L’esprit et le style de M. Villemain. Le dandysme Iitteraire. r La peinture didactique, Ecoles allemande et Iyonnaise. Tout a vous, un mot de reponse s’il vous plait, — pour Ies poemes en prose, et le peintre de la vie moderne (1) qui me parait fait pour vous. Ch. Baudelaire (2). (i) Aucune suite ne devait etre donnee a ces offres. (>) Au verso de la piece autographe, quelques lignes dune petite ecriture fine : i° a la plume : . . « mystere. .. attrait romanesque. . . abandonnais. . . n etait pas pour elle tout ce qu’elle aimait.i) 2° au crayon : «i Eros 2 Projets 9 Crepuscule 10 Solitude 20 la belle Uoro- thee 20 [tic] Les yeux des pauvres 29 Les vocations 29 [tt'c] Litz», — liste correspondant sans doute aux petits poemes en prose 'qu’Uchard avait en mains ou qu’il se proposait de publier, et qui porteront respectivement dans le recued posthume les numeros xxi, xxiv, xxil, xxm, xxv, xxvi, xxxi et xxxii. CORRESPONDANCE GENERALE I 42 7^0. A POULET-MALASSIS. [A la maison d’arret des Madelonnettes.] 6 janvier 1863. Mon cher Auguste, Je vous ecris de chez notre ami, avec qui j ai dine et dont la jambe va deja mieuxW. II espere pouvoir sortir a la fin de la semaine et demander la permission de vous voir. — Quant a votre fameux cadeau, il pense comme moi et bien plus que moi, que c’est tout-a-fait absurde. — Je ne puis rien recevoir de semblable — Vous desirez toujours des nouvelles® : — On pretend que Gautier va quitter Ie Moniteur et recevoir des fonc- tions dans Ies Beaux-Arts. M. de Niewerkerke [«c] irait au SenatQ et M. Delacroix prendrait la direction des Musees. On disait aussi que Monselet devait heriter de Gautier pour Ies theatres et un M. Chesneau (?) (5) du meme Gautier pour la partie des Beaux-Arts. Enfin, pour comble d’absurdite, F. Desnojers pretendait heriter de d’Aurevilly au Pays. Mais son (1> Charles Asselineau, croyons-nous. Nous ignorons en quoi il consistait. Cf. la lettre 74.3 , § 3. <4) De tous Ies bruits dont Baudelaire se fait ici I’echo, celui- la seul avait quelque fondement : M. de Nieuwerkerke, surin- tendant des Beaux-Arts, deviendra senateur en octobre i86q.. Ernest Chesneau, romancier, critique d’art, etc. (°) Voyez tome I, page 322, note 3. DE CHARLES BAUDELAIRE. j43 ami Ulysse Pic(1), devenu directeur da Pays n’a pas cru pouvoir oser cela. Tout a vous. d 751. A MARIO UCHARD. Mercredi 7 janvier 1863. Cher Monsieur, J’ai vu hier soir M. Dentu qui veut que j’aille sans interruption jusqu’a la fin des poemes. Je ne pourrai vous servir au plus tot que Ie 20, au plus tard que Ie 25. Mais cette fois-ci, c’est bien serieux (2). J’ai trouve hier soir Ie Nord dans un Cafe : je vous remercie d’avoir annonce Marie Roget mais vous avez transforme mon nom d’une maniere extraordinaire. Je n’ai aucun besom d’etre nobi- Iifie; et un baudelaire , substantif barbare dont les latins ont fait baltearis , ne peut pas prendre d’r au commencement, pas plus que baudrier (4). Dites W Journahste bonapartiste qui bientot, avec son ami Theo- phile Siivestre, dirigera Ie Nain jaune, et dont la maniere em- phatique et redondante faisait la joie de la petite presse. W Voyez lettre 749. (3> Le Nord avait annonce, pour paraitre procliainement : «Le Mystere de Marie Roget, par Edgar Poe, traduit par Cb. de Beaudelaire. » (4) Ce texte n’ayant pas ete sans nous causer quelque eton- nement, nous I’avons soumis a M. Mario Roques. Voici la reponse de 1’eminent philologue : ((Baudelaire a bien raison de ne pas vouloir de e a la premiere syllabe de son nom. «Vous avez raison de votre cote de tenir que Ie nom propre Baudelaire est identique au nom commun baldelaire, baudelaire ou badelaire. «Enfin Baudelaire dit mal des cboses justes sur I’origine et 1 44 CORRESPOND ANCE GENERALE cela au correcteur pour qu’il ne recommence plus. Votre bien devoue Ch. Baudelaire. Tournez la page. Si avant ce jour, vous voulez imprimer soit i ou 2 feuilletons des poemes en prose, soit le peintre de la vie modeme , n’oubliez pas de m’envoyer Ies epreuves un jour d’avance, 22 rue d’Amsterdam. Sans cela, il arriverait mille fautes. 75 2. A MONSIEUR RAYMOND MATIGNY. rue de Constantine ite Paris.] 22 janvier 1863. Monsieur, Je m en tiens strictement a ce que je vous ai dit : il se peut que M. Arondel soit paye cette anne'e , et comme vous m’avez parle d’avril comme dernier delai pour M. Arondel , je me propose de faire pour vous un effort en avril. Ies apparences de ce dernier mot. II faut en effet, je crois, rap- procher baldelaire du theme germanique bald qui a forme balde- ricb, d’oii 1’ancien franfais baudre «ceinture, taillew, et , par celui-ci , le derive franfais baudrier, wcourroie de la taille ’ puis support d’epee portee en bandouliere ». ’ 1 «CeIa ne veut pas dire que baldelaire vienne de baldericb , mais seulement d’une forme apparentee. « Baltearis , qui n’existe d’ailleurs pas en latin, n’a rien a voir la-dedans , mais il est vrai que le latin balteus signifie justement « baudrier » , rencontre curieuse, mais naturelle si, comme je le pense, le type germanique bald est un emprunt au latin. ((Baudelaire (le poete) a eu, je ne sais par qui (mais n’y a- t-d pas la-dedans du Nodier?), quelque information sur cette histoire et ce qu il dit est a la lois inexact et probable.)) DE CHARLES BAUDELAIRE. I 4 5 Je ne serai peut-etre pas a Paris; il n’importe; vous irez alors voir M. Ancelle, avenue de la Revolte, n° ii. Vous me parlez d’d-comptes. Je n’aime pas les a- comptes. Le zele qu’on y peut mettre rend toujours Ie creancier plus exigeant, parce qu’il croit que Ie systeme du morcellement est plus doux. VeuiIIez agreer, Monsieur, mes salutations em- pressees. Ch. Baudelaire (1). 753. A MARIO UCHARD. [Monsieur — 24, rue de la Paix Paris .] [Timbre postal : 16 fevrier 1863.] Cher Monsieur, L’affaire d’hier est annulee de ce matin. Vous ne recevrez done aucun transfert, et vous n’aurez aucune delegation a accepter. A I’heure oil je devais signer, Ie sieur Cons¬ tant (2), se pretendant renseigne, a pretendu qu’il ne serait pas rembourse. Sa defiance ne peut pas contrarier mon desir de vous donner cet ouvrage, et je continue mon manuscript. Tout a vous. Ch. Baudelaire. (1) Au verso de la Iettre, d’une autre ecriture : R. 23. — Ecrit le 5 mars. W Un escompteur ou preteur sans doute. (a) Probablement Le Mystere de Marie Roget, puisque le Nord en avait annonce la publication. iv. 10 CORRESPONDANCE GENERALE I 46 754. A CHARLES ASSELINEAU. 18 fevrier 1863. [L. a. signee C. B., 1 p. in-80.] II Iui demande de souscrire a la reproduction d’un cachet, dont Chatillon est I’auteur I1). 755 A MARIO UCHARD. [Monsieur — 24, rue de la Paix Paris] Jeudi 19 fevrier 1863. Mon cher Mario, Pardonnez-moi. Je trouve hier soir votre Iettre, sans date, qui me dit : Demain, j’ai quelcjue chose a vous dire. - — Or, je suis oblige d’aller a Honfleur, et je pars tout a I’heure®. Je reviens apres demain. Quant a votre Marie Roget (3), dormez sur Ies deux oreilles; j’y travaille doucement, il est vrai, mais partout, meme au restaurant. (1) Le catalogue d'e la veute Le Petit (23-24 mai 1919, nu- mero 28) mentionne une epreuve du cachet qui devait accom- pagner ce billet. — Voir la note 1 , sous la Iettre 409. Mais s’agissait-il du meme cachet, c’est ce que nous ignorons. II est conte, dans 1’ Interme'diaire des Clercheurs (20 fevrier 1908), que Chatillon, quand il etait trop gene, orgamsait une loterie a son benefice. C’est ainsi qu’en 1865 on le vit placer quarante billets a m louis dont le gagnant donnait droit a un petit Poucet qu’il avait brosse. (s> On ignore si ce voyage eut lieu. (•’) Voyez le numero 751. DE CHARLES BAUDELAIRE. Je serai a Paris dimanche. Bien a vous. samedi soir, et chez Ch. Baudelaire. i 4 7 vous 756. A CHAMPFLEURY M. [23, rue Neuve-Pigalle] [Environ 4 mars 1863.] Mon cher ami, Je vous aime bien, mais vous etes bien entete! Je savais bien que la Iettre serait montree. Vous M Dans son article necrologique sur Baudelaire ( Paris - Magazine, 15 septembre 1867), Louis Ulbach a conte ceci : « Un jour Champfleury avait voulu presenter Baudelaire a une femme-artiste tres connue. Le traducteur d’Edgar Poe s’etait refuse a la presentation; il disait devant moi : «Si 9a va a Champ- (ifleury d’etre montreur d’ours, c’est son affaire, mais je ne serai « jamais son ours. » C’est a cet incident qui allait avoir pour effet de suspendre pendant une couple d’annees les relations jadis si cordiales du poete et du romancier, qu’ont trait et la Iettre qui nous occupe, et celle qui la suit immediatement, et encore trois autres lettres de Champfleury (27 fevrier, 6 et 8 mars 1863) qu’a reproduites le E.-J. CREPET, pages 340-342. Mais, pour en suivre Ie deve- loppement, il faut remedier a deux Iacunes que presente notre documentation. Precisons. Le 27 fevrier, Champfleury informait Baudelaire qu’une femme «d’une intelligence tres curieuse et tres allemande », Mme Frederique O’ Connell dont il connaissait la pein- ture — on trouve quelques lignes sur ses tableaux, en effet, dans les Salons de 1846 et de 1859 — etait desireuse de « 1’entretenir a fond» taut des Fleurs du Mai que des idees d’Edgar Poe, et lui demandait en consequence de se rendre chez elle Ie lende- main. On ne possede pas la reponse de Baudelaire, ni la premiere replique de Champfleury. Mais a la Iumiere des lettres poste- rieures, il est presumable que 1’une avait consiste dans un refus, 10. 1 48 CORRESPONDANCE GENERALE tenez done bien vivement a compromettre ma dignite dans un monde oil vous avez compromis la votre?(1). Je ferai tout ce que je pourrai pour vous plaire , mais ce que je pourrai ne sera pas grand chose. Quand je vous ai ecrit, j’avais pris mes rensei- gnements(2). Vous savez combien j’aime les filles et combien je hais les femmes philosophantes. Quant au dejeuner, oui mais chez moi dimanebe d midi. Tout a vous. r r et I’autre dans des instances reiterees qu’agrementait une invi¬ tation a dejeuner, probablement avec la dame en cause, et peut- etre chez elle, pour le dimanche suivant. La correspondance reprend avec le billet ci-dessus. <*) Allusion sans doute aux aventures de Champfleury dans le monde des blue stochings (Mme de Balzac, Louise Colet, etc.). Cette phrase en tout cas allait piquer au vif le romancier qui la relevera brutalement : voir la note sous la lettre suivante. (2) II avait pu en recueillir facilement. Car du fait du scandale cause par certains de ses tableaux , notamment par son Eve et Satan et Rachel apres sa mort; en raison aussi de son cosmopolitisme : nee Prussienne, Irlandaise par son mariage, bruxelloise jadis, pari- sienne maintenant; a cause encore de ses engouements qui lui fai- saient rechercher tour a tour les Saint-Simoniens, les mathemati- ciens, les kardecistes, et de ses soirees dont les petits journaux contaient que les invites y assuraient le service, et de sa haute culture que ses detracteurs eux-memes ne pouvaient contester, et de sa turbulence enflammee qui devait lui valoir quinze ans plus tard de finir dans un cabanon , M'“e Frederique O’ Connell etait de cedes dont on parlaitle plus dans le monde des arts. Baudelaire avait d’ailleurs avec elle quelques anus communs, par exemple Astruc et Theophile Gautier — sans compter Champfleury dont Mau¬ rice Dreyfous assure (Ce que je tiens a dire, tome I) que chez elle, malgre son esprit et une conversation tres superieure a ses livres, il avait peu de succes, « n’etant ni jeune, ni beau, ni elegant)). DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 49 757. AU MEME W. 6 mars 1863. Mon cher Ami, Le sphinx et I’homme bizarre, c’est toujours vous et vous etes bizarre bien naturellement , car I art ne trouverait pas cela. Comment! vous m’ecri- vez une lettre que vous tachez de rendre desa- greable, parce que je vous dis que je n’aime pas la mauvaise societe! Mon ami, j’en ai toujours eu horreur; la crapule et la sottise, et le crime, ont un ragout qui peut plaire quelques minutes; mais la mauvaise societe, mais ces especes de remous d’ecume qui se font sur Ies bords de la societe! ^ Cette lettre repond a une seconde rephque de Charnp- fleury de meme date : 6 mars (. E.-J . CREPET, pages 34.0-341) qui ne manque pas de virulence. Se souvenant des termes celebres de la note sur Revolte, I auteur de Cbien-Caillou com- menfait comme suit : «Mon cher Baudelaire, vous jouez toujours admirablement et «en parfait comedienw Ies forts premiers roles de sphinx. » II poursuivait en protestant n’avoir pas compris d’abord «Ie sens cache » du refus de Baudelaire, et avoir agi tout inno- cemment dans cette affaire. II dechnait I’invitation pour le dimanche suivant, et demandait seulement au poete de lui ecrire quelques lignes d’empechement qui lui permissent de se degager vis-a-vis de M“c O’ Connell. Et il concluait — in cauda venenum : «Mais quant a ma digmte compromise, je vous recuse. N’allez pas dans de plus mauvais lieux ; essayez d imiter ma vie de tra¬ vail, soyez aussi independant que moi ; n’ayez jamais besom des autres et alors vous pourrez parler de dignite. ((Toutefois je ne donne pas plus d’importance au mot, le mettant sur le compte de votre bizarrerie factice et naturelle a la fois. — A vous cordialement. » I JO CORRESPOND ANCE CENERALE impossible. — Vous elites que ma Iettre a un sens cache; je vais vous expliquer ce sens, qui, selon moi devait vous sauter aux yeux : Champfleury a un caractere joyeux et mystifi- cateur, duquel je participe un peu. Champfleury a decouvert un monde comique plein de femmes sans maris et de jeunes filles a marier non maria- bles, avec des pedantes qui font semblant d’aimer la philosophic. Champfleury sait comme moi qu’une femme est incapable de comprendre meme deux Iignes du catechisme. Mais il veut que je partage sa joie, et il veut aussi s’amuser de mon choc avec cette sotte. (Et alors je vous ai repondu que j’etais pret a tout pour vous plaire, mais que cela m’ennuyait.) Voila le sens cache. Quant a votre petit preche de vertu, de la fin de votre Iettre, ou vous enfer- mez un si magnifique eloge de vous-meme, je n’ai rien a en dire(1), si ce n’est que quand on pense tant de bien de soi-meme, il n’est pas genereux d’en accabler les autres. II est evident que vous etes un homme heureux, beureux par vous-meme et moi, je ne Ie suis pas, car je suis toujours mecontent de moi. Je veux que vous me permettiez de vous dire qu’il y a aussi dans votre Iettre un ton de taqui- nerie et de rancune, qui, de vous a moi, a notre (>) Et non pas «rien a dire», comme on lit dans les textes anterieurs. (2) Cf. dans Juvenilia, GEuvres posthumes , Reli¬ quiae, tome I, page 226, l’apostrophe de la Lettre a Jules Janin : « Vous etes un homme beureux. Je vous plains, monsieur, d’etre si facilement heureux. Faut-il qu’un homme soit tombe bas pour se croire heureux ! » DE CHARLES BAUDELAIRE. *5» &ge, n’est pas de saison(1). Quoi! Ie mot dignite vous excite a ce point, vis a vis d’un vieil ami ! Venez, je vous en supplie, me voir dimanche a midi, si non [sic], je croirai(21 que vous m’en voulez. Tout a vous. ^ Vous aimez Ie comique. Lisez Ie dernier entre- tien de Lamartine (a propos des Miserables )(3). C’est une lecture amusante que je vous suggere. Comme vous etes trop porte a la finesse, je vous prie de ne voir aucun rapport entre ceci et ma lettre. Repondez-moi tout de suite. — Je vous trans- mets la fausse declaration que vous me deman- dez(4l (I_2) C’est a tort que nos predecesseurs ont Iu ici : «de rai¬ son » , et la : « croirau ». — Champfleury devait rester sourd a cet appel. Dans la derniere de ses lettres qui ont trait a cet incident (8 mars, E.-J . CREPET, pages 341-34.2) on ie voit, tout en se di- sant sans rancune, declarer qu’un dejeuner en vdle derangerait le regime necessaire a son travail, et, apres avoir proteste une nouvelle fois contre les intentions de mystification qui lui ont ete imputees, conclure : «j’ai d’autres comedies plus importantes a voir jouer». (3> Cet entretien avait pour titre d’omvre ou Le danger du genie, W La declaration destinee a mcnager la susceptibilite Mm* O’ Connell. Elle ne nous est pas parvenue. Considerations sur tin cbef- de CORRESPONDANCE GENERALE I52 758. A AUGUSTE DE CHATILLON. [rue des Dames, 1 ou 3. Au coin tournant de la rue de I’Empereur, a Montmartre.] 14 mars 1863. Mon cher Chatillon, Je vous remercie de tout mon cceur. Venez done dejeuner, demain matin, dimanche, a I’Hotel. J’attends Manet, vous ferez sa connais- sance. A 11 h. Soyez exact, et dites en bas que je vous attends pour dejeuner. Je voudrais savoir ce que je vous redois(1). Mais il faut que vous confesse, a ma honte, que je vais traverser un Saharah de debine de quinze jours. Bien a vous. C. B. 759. A HETZEL. 20 mars 1863. Mon cher ami, Je re^ois ce soir, 20, votre Iettre datee du 9. Je suis incapable de faire une charge a un excellent ami, et d’ailleurs j’attribue une grande importance (l) Sans doute pour le cachet, voyez Iettre 734,. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 53 au Spleen de Parish. La verite est que je ne suis pas content du Iivre, que je Ie remanie et que je le repetris, et de plus que j’avais l’intention de vous prier d’en oft'rir vous-meme des fragments a Buloz® ( pourvu que nous puissions composer en meme temps et reimprimer tout de suite), ■ — enfin d’en faire une lecture chez un de nos amis, chez qui natu- rellement vous etes invite. Je crois que grace a mes nerfs, je ne serai pas pret avant le 10 ou le 15 avril. Mais je puis vous garantir un Iivre singulier et facile a vendre. Je relis votre Iettre et j’j trouve une obscurite. Suis-je invite a aller vous voir Ie 20 (il est trop tard) parce que vous partez ou parce que vous serez alors de retour? En attendant que j’aie Ie plaisir de vous voir, je vous affirme de nouveau que vous aurez une bonne chose, et je solhcite votre indulgence pour mon inexactitude. Ch. Baudelaire. A tout hazard, j’irai chez vous demain samedi, et si je ne vous trouve pas, je retournerai mardi. 22, rue d’ Amsterdam, a Paris. (!) Le 13 janvier precedent, Baudelaire avait cede a Hetzel Ie droit exclusif de publication, pour cinq ans, des Poemes en prose et des Fleurs du Mai, et touche de ce chef, pour Ie pre- 5 mier tirage, une avance de douze cents francs. II est vraisem- blable que, par sa Iettre du 9, Hetzel Iui avait reclame Ies ma- nuscrits de ces deux ouvrages. (*) II n’est pas a notre connaissance qu’Hetzel ait retenu cette suggestion. Aussi bien Ie traite mentionne dans la note prece- dente ne devait jamais etre execute. 1 54 CORRESPONDANCE GENERALE 760. A POULET-MALASSIS. [Monsieur — Maison d’arret des Madelonnettes rue des Fontaines du Temple', 12] Paris. 26 mars 1863. Mon cher ami, Vous etes injuste comme tous Ies exiles. Enfin je vais vous voir! Je sors de chez M. Guerton(1); mais la permission qu’il m’a donnee ne me permet pas d’aller vous voir demain, vendredi, jour de famille. J’ai essaye de me faire expliquer comment je pouvais faire valoir cette permission pour Ie vendredi; mais je n’ai pas compris I’explication. Done j’irai vous voir mardi, jeudi et dimanche, jours qui sont les miens selon Ies dires d’un huis- sier du palais. Est-ce bien cela? de n a 3 beures? Mettez-moi Ies points sur Ies i, et voyez si vous pouvez m’aider a transformer ma permission. Dites un mot au directeur de la prison. Decidement, ou en est votre affaire? Devant quel tribunal? Peut-on prejuger I’acquittement total ® ? Poupart a « le coeur navre de votre affaire )d3f J’ai R) Juge d’instruction auquel Sainte-Beuve, a la priere de Champtleury, avait recommande Poulet-Malassis. R-3) Dans une lettre inedite a Charles Asselineau (6 mars 1 863) , Poulet-Malassis repondait pour partie aux questions que pose ici Baudelaire : «En sept ans, j’ai perdu en operations de librairie 130.000 fr. , e’est-a-dire mon rouleau et au dela. Le jour de ma suspension de j>aiements, j’offrais a mes creanciers le moyen d’etre payes integralement en une annee, soit qu’ils consentissent a me laisser continuer les affaires, soit qu’il leur convint mieux de DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 55 eu affaire a fimprimerie pour Ies cliches (1). Je crois bien que je ne m’en servirai pas. Dans Ie cas oil j’aurais a m’en servir, ne serais-je pas oblige de demander la permission a votre syndic? — Mais ce sont la de vulgaires bagatelles. Parlez-moi de vous, et de rien que vous. Je vous embrasse. C.B. Reponse vite. 761. A MADAME MANET. 28 mars 1863. Madame, Je vous suis bien reconnaissant de votre gra- cieuse invitation. Quant aux sentiments que je puis avoir pour votre fils, vous savez que je n’y ai faire exploiter mon actif par un tiers. Mes creanciers moins un, ont accepte cet etat de choses assez rare dans Ie commerce, et je sortais de la hbrairie I’esprit aussi leger que Ies poches retour¬ nees, sans l’opposition de M. Poupart-Davyl I’imprimeur (je voue cet imprimeur a la mauvaise typographic) qui a porte contre moi une plainte en detournement d’actif, par esprit d’animosite, comme il n’a pas fait de difficulte de 1’avouer, bien convaincu de I’absurdite de sa plainte, mais certain aussi qu’elle aurait pour consequences, d’abord une incarceration plus ou moins longue, ensuite une condamnation en banqueroute simple.)) Poupart-Davyl ne s’etait pas trompe dans ses previsions. Apres plus de cinq mois d’un regime preventif presque aussi severe qu’une mise au secret, Poulet-Malassis allait s’entendre condamner par la huitieme Chambre , Ie 22 avril 1863. Mais a quoi ? on ne Ie sait au juste, Ies archives judiciaires de cette annee-Ia ayant ete brulees pendant la Commune. W Les cliches des ornements executes pour I’edition de luxe des Fleurs du Mai, voyez Ie numero 670. 1*6 CORRESPOND ANCE GENERALE pas grand merite; et ce que vous dites a ce sujet est beaucoup trop gracieux; car il me parait bien difficile de ne pas aimer son caractere autant que ses talents W. Je vous prie, madame, d’agreer 1’assurance de mes sentiments bien distingues. O Charles Baudelaire. 762. A NESTOR ROQUEPLAN Lundi 1 1 mai 63. Mon cher Roqueplan, Je serais bien heureux si vous pouviez, dans votre feuilleton, dire quelques mots agreables sur les debuts de Madame Deschamps, a 1’Odeon (role d’Andromaque) mercredi 13. Quand meme ces debuts seraient defectueux, je suis convaincu , . ' L annee precedente, dans ses deux articles : L’eau- forte est a la mode et Peintres et Acjuaf artistes , Baudelaire avait fait un vif e'oge de Manet dont le talent etait alors bafoue par la quasi- universalite des critiques. n (2' On ne salt que bien peu de chose des relations qu’cut notre auteur avec Roqueplan. D’apres Asselineau dans ses Bau- delainana, il lui serait souvent arrive d’aller flaner dans son cabinet directorial sous le pretexte de I’entretenir de cet opera *J,U ’... UI destinait et ou il voulait que don Juan rencontrat Gatilina (voir : JUVEN ILIA , GlUVRES POST HU MES, R.ELI- QU/sE, page 460). — Roqueplan, dans le Constitutionnel du‘ morns, n allait point parler de Mme Deschamps. DE CHARLES BAUDELAIRE. i 57 que Madame Deschamps deviendra quelque chose W. M ^ J aurai a aller vous voir prochainement pour vous demander de me dormer une consultation et de mettre a mon service tous Ies fruits de votre experience . Je vous dirai cela, soyez egalement indulgent pour moi. Charles Baudelaire. Notre ami Sainte-Beuve se joint a moi pour vous recommander cette dame. ^ Les espoirs de Baudelaire allaient se trouver degus; ce fut le 1 6 mai et non le 13 — un debut sans lendemain (rensei- • fourni Par 9e?ty). 11 faut meme croire que M"' Louise Deschamps s’etait montree bien mauvaise, car dans son feuilleton dramatique du 18 mai ( Moniteur universel ), Theophile Gautier, a qui Baudelaire l’avait aussi tres certaine- ment recommandee, I’invitait a quitter le peplum tout en tres- sant a sa beaute quelques couronnes. «M Deschamps, qui n a paru sur aucune scene encore que nous sachions, est une jeune femme blonde et blanche, avec de beaux bras et des mains charmantes, un peu petite pour repre¬ senter les princesses de tragedie, mais portant sans embarras la draperie antique. Elle n’a pas cette voix rauque et virile que se font les aspirantes tragediennes Iorsqu’elles ne la possedent pas naturellement , mais un organe tendre et sympathique qui va bien aux lamentations de I’inconsolable veuve d’Hector. Mi,e Deschamps s’est fait applaudir par des accents d’amour maternel assez bien sentis. Elle sait pleurer et nous semble, si elle ne s obstine pas dans sa vocation, devoir faire une bonne actrice de drame. Sans avoir obtenu un de ces succes qui de- cident d’une carriere, elle a fait veritablement plaisir. » Ajoutons que cette actrice n’est pas meme nommee dans le Dictionnaire des Comediens de Henri Lyonnet, et que nous igno- rons absolument les raisons et la nature de 1’interet que Bau¬ delaire et Sainte-Beuve pouvaient Iui porter. Voyez page 134, note 3. MS CORRESPONDANCE GENERALE 763. A PAUL DE SAINT-VICTOR (1). [Au fond du passage Sainte-Marie rue du Bac Paris URGENT.] Lundi 11 mai 1863. Mon cher Saint Victor, Je suis destine, a ce qu’il parait, a vous deman- der des services. Pouvez-vous trouver Ie courage d’assister aux debuts de Madame Deschamps, a I’Odeon, mercredi 13 , role d’Andromaque ? Je serais tres heureux si vous pouviez mention- ner ses debuts d’une fagon encourageante (2!. Votre bien devoue Ch. Baudelaire. 764. A FIORENTINO. 11 mai 1863. [L. a. s., 1 p. in-8.] II Ie prie de s’interesser aux debuts de Madame Des¬ champs, qui se font au theatre de I’Odeon. (1) Le papier est frappe aux initiales L. D. Nous n’avons rien trouve dans Ie feuilleton dramatique de Saint -Victor a la Presse, Ie 1 3 ou Ie 21 mai, qui ait trait a la reprise d 'Andromaque a 1’Odeon. — Voir la note 1 sous la Iettre precedente : nous avons reuni la tout ce que nous savons sur la courte carriere de Mme Louise Deschamps. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 J9 763. A CHARLES MONSELET. 1 1 mai 1863. II recommande une dame de ses amies, qui doit debuter dans Ie role d’Andromaque f1). 766. A MADAME AUPICK. 3 juin 1863. Ma chere Mere, Je suis bien enchante que ce joujou t’ait fait plaisir. II a ete fait avec soin C’etait tes etrennes, et pour tes etrennes, comme pour bien d’autres choses, j’etais afifreusement en retard. — Ne perds pas Particle du Spectator Ie journal anglais. — Ton boudoir est refait; cela m’a d’abord afflige, parce que j’avais, de vieille date, I’intention d’ache- ter quelque chose de magnifique; mais cela vaut mieux ainsi; toutes Ies etoffes qui entreront dans cette piece sont destinees a etre mangees par Ie soleil. - — Aussitotque tu en auras Ie temps, envoie- moi par le chemin de fer, en un seul paquet, Ies trois autres volumes d’Edgar Poe, reliure zebree, dos de maroquin vert; tu dois savoira quel endroit de (*) On devine qu’il s’agissait encore de Mm* Descliamps. .. dont Monselet se garda de soufHer mot. (*) Nous ignprons ce qu’etait ce « joujou ». (’) L’article enthousiaste de Swinburne, voir page 197, note 3. 160 CORRESPONDANCE GENERALE ma bibliotheque ils sont places, puisque tu m’en as deja envoy e un. Tu sais Ie prix enorme que me coute cet exemplaire; arrange done le paquet de telle fa^on qu’aucun frottement ne puisse abimer Ies reliures(1). — Affranchis ou n’affranchis pas; cela est peu important. D’ailleurs quand tu affran¬ chis, il t’arrive souvent de confondre Ies timbres verts (i sol) avec Ies bleus (4 sols). — Tu me feras bien plaisir de me dire si des remue-menages ont ete faits dans mes deux cham- bres, si papiers et cartons sont restes en place, et si 1’humidite a fait des degats. Tu as du te bien creuser la cervelle pour com- prendre pourquoi je ne t’ecrivais plus; la vraie, I’unique raison etait Ie mecontentement que j’eprouvais contre moi-meme. Tu fas un peu devine. Je m’etais promis de ne t’ecrire que quand j’aurais secoue Ie poids de Iethargie qui m’a acca- ble pendant de si longs mois. Comment suisqe tombe si bas, a ce point que j’ai cru que je ne saurais plus me relever, comment me suis-je releve, et ai-je su cauteriser tout d’un coup ma maladie par un travail furibond, sans repit, sans fatigue, je n’en sais absolument rien. Je sais que je suis completement gueri , et que je suis une miserable creature faite de paresse et de violence, et que I’habitude seule peut servir de contrepoids a tous Ies vices de mon temperament. L’oisivete est devenue une si violente douleur, I’idee folle de mon impuissance Iitteraire m’a tellement effraye que je me suis precipite dans le travail; alors, j’ai reconnu que je n’avais perdu aucune faculte; mais L’edition americaine donnee par Griswold. DE CHARLES BAUDELAIRE. 161 c est un grand danger de s’endormir. II y a des gens qui me font plus de mal qu’ils ne croient, en disant : Quand faites-vous paraitre un livre ?Ou bien : Vous ne faites done plus rien ? Voici ou j’en suis : — il est d’autant plus neces- saire que tu me comprennes bien, que je suis absolument contraint de demander (avec ton appui) une somme de 1.000 fr. a Ancelle, comme soulagement momentane, pour atteindre paisible- ment Ie terme ou je changerai completement de vie; car je ne puis pas retourner a Honfleur, sans avoir acquitte mes dettes Iitteraires, ou au moins reconquis I’habitude permanente du travail. Je puis etre faineant la-bas, comme je I’ai ete ici, et la peur de I’ennui ne me poussera pas plus a Hon¬ fleur qua Paris, ou je m’ennuie depuis plusieurs mois, comme jamais personne au monde ne s’est ennuye. Voici done Ietat de mes affaires Iitteraires. D assez bonnes choses faites depuis Iongtemps n ont pas paru, grace a la stupidite des directeurs de journaux et de revues; mais enfin elles sont faites, et e’est fimportant. Je n’ai pu vendre a personne la collection de mes articles critiques ( peinture et litte'rature )W. II faut attendre I’effet que produiront mes prochains volumes. Les uns entraineront Ies autres. Si tout ce qui est en tram avait ete fini au mois d’oetobre, j’aurais [pu] tout faire paraitre cet hiver; mainte- nant, il faut tout finir tout de suite, pour paraitre en septembre ou en octobre, epoque habituelle des publications. M C’est-a-dire Ies matieres qui constitueront, dans Pedition posthume, Curiosites estbe'tiques et V Art romantique. I 62 CORRESPONDANCE GENERALE J’ai vendu a la maison Hetzel Ies Fleurs du mal pour 5 ans, 3s edition augmentee. Le Spleen de Paris pour 5 ans, 600 fr. par volume, et par tirage de 2.000 exemp. II y aura bien cinq editions de cha- cun en cinq ans^f Le Spleen de Paris est inacheve, et n’a pas ete Iivre a temps. II ne faut, pour le finir, qu’une quinzaine de jours de travail, mais de travail vigou- reux. J’ai eu le tort de laisser tomber I’activite qui m’avait soutenu. Mais je suis tres content de toute la partie qui est faite. Ce sera un Iivre singulier. J’ai vendu a la maison Levy 2 nouveaux volu¬ mes pour augmenter la collection Edgar Poe. Le 4e est presque fini; il ne manque que quelques pages, deux ou trois jours de courage. Le 5° demande une dizaine de jours, pas davantage (2). Je n’ai pas encore revendu Les Paradis Artijx- ciels (3). II y a deja plusieurs mois, je me suis dit : je ne veux plus entendre parler de tous ces petits droits d’auteur, qui ne viennent qu a des intervalles de plusieurs mois, — et 1’idee m’est venue de deman- der a n’importe qui une somme de plusieurs mil- Iiers de francs, en echange d’une automation de toucher tous mes droits, jusqu’a parfait rembour- sement. J’avais fait part de mon idee a Ancelle, pour le consulter sur cette maniere d’emprunt hypothecate. Je n’ai pas besoin de te dire qu’il a trouve mon idee abominable. II Iui semble sincm- O P) On sait que le traite avec Hetzel devait rester inefficace, Baudelaire n’ayant jamaTS Iivre ses manuscrits. Eureka et Histoires grotesques et se'rieuses. Helas ! [’achievement de ces ouvrages allait encore demander beaucoup de temps et de travail. (5) [|s ne trouveront pas acquereur. DE CHARLES BAUDELAIRE. 163 Iier que je n’attende pas paisiblement Ies eche- ances, et que je eonsente a payer un interet d avance pour arracher plusieurs milliers de francs d un coup. — Ce brave liomme aurait raison, s’il s’agissait d’un auteur riche, et pouvant attendre. Deux ou trois personnes se sont offertes. II y a toujours tant de gens disposes a gagner de I’argent sur un litterateur! Enfin, un vrai banquier, qui connait un peu Ies affaires de Iibrairie, M. Nams- IauerW, m’a dit : «Je vous preterai ce que vous voudrez; mais j’exige que vous me montriez tous vos traites ( il y en a a Honfleur; il faudra que j’aille Ies chercher), — que vos hbraires me montrent le compte de ce qu’ils vous out donne depuis plusieurs annees , afin que je sache ce que vos hvres rappor- tent — et enfin qu’ils me certifient que tous Ies volumes sont finis et livres. » — C’est la Ie hie , pour Ie moment. — - Quant a moi, j’ai besoin d’un sou- Iagement immediat. — II m’a offert, quant a I ’Edgar Poe , non pas seulement un pret, mais une alienation absolue, a tout jamais, de tous mes droits, moyennant une somme determinee. II est evident que cet homme connait Ies valeurs Iitte- raires. J’avoue que j’incline vers la cession abso¬ lue, — mais pas pour mes ouvrages personnels. Une fois cette operation faite, voici ma con- duite : — Quelque [sic] soit la somme, 10.000 ou 20.000, en Iaisser la moitie a Ancelle, qui prendra sa fameuse soulte (2), si bon lui semble, mais qui voudra bien apaiser quelques individus que je lui indiquerai. Partager I’autre moitie entre quelques R) Baudelaire devait bientot changer d’opinion sur son compte , voir page 186. (’) C’est-a-dire : qui se remboursera de ses avances. I (54 CORRESPOND ANCE GENERALE amis (dont tu es a trop juste titre). Enfin retourner a Honfleur, y rester 6 mois, y essajer quelques nouvelles qui m’obsedent, y faire totalement Mon coeur mis a nu, qui est devenu la vraie passion de mon cerveau, et qui sera autre chose que Ies fameuses Confessions de Jean-Jacques. Enfin ne retourner a Paris que pour y conclure une grande affaire dont je ne t’ai parle que Iegerement, il y a quelques annees. J’ai une telle horreurdu theatre, que j’aime mieux commander des pieces que Ies faire. II y a a Paris un theatre, le seul ou on ne puisse pas faire faillite , et ou Ton peut faire en 4 ans un benefice de 400.000 fr. Je veux ce theatre. Si M. Fould, dans Ie train train politique, revient au ministere d’Etat, comme c’est probable, j’aurai ce theatre, grace a mes amis, grace a Pelletier, a Sainte-Beuve et a Merimee. Avant de quitter Paris, j’aurai une note exacte des depenses, des recettes, et de I’epoque ou expire Ie privilege du directeur actuel. Je veux cela et je I’aurai. Les annees s’ecoulent, et je veux etre riche. Ce serait si peu de chose, ce que j’appelle richesse! Tu devines que dans ce cas, malgre tous mes projets d’economies, il faudrait que je fisse meubler une maisonnette a Paris, et que tu passasses quelques mois de I’annee aupres de moi. Ilya d’ailleurs, dans ce theatre, trois mois de vacances. Je crois que Ie directeur a vu son privilege proroge de deux ou trois ans; mais en Iui donnant 100 ou 150.000 frs, on pourrait Ie decider a s’en aller(1). Voila un bien enorme reve; je Ie suivrai avec soin, (*> Il semble qu’il s’agissait du Theatre de 1’Odeon, — le seul entre les theatres subventionnes qui Fermat trois mois (juin- aout). Le directeur en etait alors Rouvenat de la Rounat. DE CHARLES BAUDELAIRE. i6y j’en ferai peut-etre un fait, et j’ai meme la preten¬ tion, au milieu de tous Ies tracas d’une adminis¬ tration, de ne pas abandonner Ie culte de mon propre esprit. II y a deja une offre pour Mon coeur mis a nu (1), qui n’existe qu’a I’etat de notes. Mais c’est toujours la meme chose, tant par tirage, payable au fur et a mesure des demandes du public. Je ne veux plus entendre parler de cela. Je veux vendre desormais toute la valeur problematique d’un Iivre, d’un seul coup. Je demande done, avec ton appui 1.000 fr. a Ancelle, que je Iui remettrai aussitot ma cession faite. Je Iui en remettrai peut-etre 2.000, peut-etre 3.000, je n’en sais rien. Ancelle montrera de la mauvaise humeur; d’ailleurs avec Iui, tout est tres long, toujours; ensuite il doit etre tres fatigue des affaires electo- rales, oil son devoir I’a contraint a voter contre Ies gens qu’il aime(2); enfin, il n’a peut-etre pas d’ar- gent chez Iui; je te supphe done de me mettre ce que tu pourras dans une Iettre chargee (500, si tu Ies as) que je te renverrai deux ou trois jours apres. Je te supplie de ne pas m’adresser de sermons h propos de la negociation en tram; ce ne serait une imprudence que si je n’avais pas autre chose dans la tete que ce que j’ai deja produit. Ma deci¬ sion est prise; et meme je recommencerai la meme (■) Par le traite du 13 janvier 1863 que nous avons resume page 133, note 1, Hetzel s’etait engage a publier aussi Mon Cceur mis a nu et un volume de nouvelJes. (5) Effet de la ((question romainew. Ancelle etait tout a la fois catholique et IiberaL I 66 CORRESPONDANCE GENERALE operation sur d’autres ouvrages, si je ne peux pas faire autrement. Je t’en supplie, pense a me repondre avant tout, et renvoie I’affaire du paquet de iivres a apres demain. Je suis suffisamment occupe par Ie 4® volume. Je ne me mettrai au 5® que dans quatre ou 5 jours W. Si je peux continuer un travail joumalier, 20 jours ou un mois , je suis sauve, j’aurai meme plus d’ar- gent qu’il n’en faut pour obtenir un repos de plu- sieurs mois. Voila pour toi la belle saison, la saison du jardin. En juillet, j’irai voir cela; si j’y vais ce mois-ci, ce ne sera malheureusement que pour prendre quelques papiers. — Tu as bien voulu te souvenir de mes cauchemars; tu penses a tout, et tu n’oublies rien. II est vrai que tu vis dans la soli¬ tude, ce qui augmente la Iucidite de 1’esprit et de caractere. Eh bien ! Cette insupportable infirmite a disparu. A force de I’etudier, j’ai cru m’aperce- voir qu’elle tenait a deux causes, I’une, une effroyable irritation de festomac, I’autre, une cause morale, une espece de maladie mentale, une peur perpetuelle, augmentee par I’imagina- tion, pour avoir renvoye et neglige Ies choses importantes. C’est bien obscur, n’est-ce pas? Je t’embrasse, et je te demande mille pardons de te fatiguer, de t’inquieter et de t’irriter, toi a qui je voudrais donner Ie plaisir et Ie repos. C.B. J’en ai encore long a te dire; mais je n’ai plus Le p volume, Eureha; le Histoires grotesques et serieuses. DE CHARLES BAUDELAIRE. I 67 Ie temps. — J’ai fait passer a ce Namslauer Ie resume qu’il me demandait®. Je te tiendrai au courant. 767. A LA MEME. 3 juin 1863. Ma chere Mere, J’ai re?u Ies 500 fr. , Ies 3 volumes®, et les Iettres de mon pere; ces vieux papiers ont quelque chose de magique. Tu ne pouvais pas choisir une maniere plus sure de me toucher. Mais qu’elles etaient imprudemment placees! Elies ont failli etre jetees au rebut avec Ies enveloppes du paquet. Tu es bonne, toujours bonne! Que j’aie ete un peu desappointe, quant a I’affaire Ancelle, c’est vrai; mais qu’il soit fait selon ta volonte®. II est bon que je souffre un peu. Le reste de ta Iettre a ete amer. Impraticable ! Cela sera, et je m’en occuperai sans cesse^l Et puis, tu n’as rien compris a toutes mes (*) 2 pages in-f° portant pour titre : Note pour M. Namslauer. On Ies trouve mentionnees au catalogue de la vente Georges- Emmanuel Lang, n° 238. Mais il y a toute apparence, nous dit¬ on, qu’elles aient ete detruites au cours d’un pillage pendant la derniere guerre. Voyez la Iettre precedente. II est probable que, fidele a sa Iigne de conduite, Mm' Au- pick avait envoye a son fils 300 francs pris sur ses propres economies, mais lui avait refuse de I’appuyer aupres d’Ancelle pour aliener une fraction de son capital. (4) II s’agit de cette direction de theatre que, dans sa Iettre precedente, Baudelaire s’etait dit resolu a obtenir. II y reviendra aussi bien dans son premier post-scriptum . 1 68 CORRESPONDANCE GENERALE affaires de Iibrairie. ( Edgar Poe ne m’appartient pas). Je recommencerai toutes mes explications demain. Je viens de recevoir des epreuves du Spleen de P arts W ; raon Dieu ! que ce sera done long a finir ! Ne vends pas ta voiture® avant six semaines. Je t’embrasse mille fois. Charles. Ce que tu me dis de Mon coeur mis d nu m’est aussi desagreable que ta repugnance a me voir maitre d’une grande administration. Eh bien ! oui, ce Iivre tant reve sera un Iivre de rancunes. A coup sur ma mere et meme mon beau-pere j seront respectes. Mais tout en racon- tant mon education, la mamere dont se sont faqonnes mes idees et mes sentiments, je veux faire sentir sans cesse que je me sens comme etran- ger au monde et a ses cultes. Je tournerai contre la France entiere mon reel talent d’impertinence. J’ai un besom de vengeance comme un homme fatigue a besoin d’un bain. Et puis ton admiration pour Edgar Poe te fait oublier un peu mes propres travaux, qui parai- (1) Plusieurs «petits poemes en prose » allaient paraitre dans deux periodiques, au cours de la huitaine : Les Tentations et La belle Dorotbee dans la Revue nationale et e'trangere (io juin), — Les Bienfaits de la Lune et Laquelle est la vraie? dans le Boulevard (H juin). On lit, dans Ie Journal des Goncourt (tome IX, page 343), ce temoignage d’une dame amie (Mme Sichei) : «L’ecurie [de la Maison-Joujou] renfermait deux carrosses d’apparat dont la proprietaire avait ete obligee de vendre les chevaux, quand elle avait ete reduite a vivre de sa pension de veuve ; carrosses que les bonnes sortaient et promenaient une heure tous les samedis, sur les paves de la cour. » DE CHARLES BAUDELAIRE. 169 traient bien plus considerables si je pouvais tout reimprimer. Je ne te Iaisserai plus jamais voir Ies blessures que tu m’infliges. Mais il est bien vrai que Ies families, Ies parents, Ies meres connaissent fort peu I art de la flatterie. C’est une vieille obser¬ vation (1). Quant au theatre, avant un mois, avant 6 se- maines, j’aurai tous mes renseignements, j’aurai verifie Ies protections, et je passerai dans 3 ans, dans un an peut-etre, a travers ton conseil judi- ciaire (dusse-je I’avouer au mimstre Iui-meme) comme un saltimbanque a travers un rond de papier. Je ne publierai, certes, Mon coeur mis a nu , que quand j’aurai une fortune assez convenable pour me mettre a I’abri, hors de France, s’il est neces- saire. C. B. Pourquoi done depenser 42 sols a la poste, quand tu sais que Ie chemin de fer pouvait appor- ter cela pour 10 ou 20 sols? 768. A THEOPHILE GAUTIER FILS. [Env. 18 juin 1863.] Cher ami, Imitez dans vos deux hgnes la transformation que j’ai faite en haut, et expediez ceci a Lecrivain sous enveloppe. (*) Cf. Fusees : «Les nations n’ont de grands hommes que mal- gre elles, — comme Ies families)). CORRESPONDANCE GENERALE 170 Lecrivain, maison Lecrivain et Toubon, rue du Pont de Lodi (1). II I’attendait hier. Envoyez-moi mes placards, et ecrivez-moi un mot pour me dire jusqu’a quel delai mon copiste vous attendra(2l Car je veux absolument paraitre Ie 10. Tout a vous. c R Ci-joint un timbre pour Lecrivain. M A ce billet etait jointe une delegation libellee et approuvee comme suit : « 18 juin 1863. «Je cede a M. Lecrivain [nom substitue a celui de Namslauer, biffe] a qui je dois la somme de six cent vingt-cinq fr. , le droit de toucher cette meme somme sur le prix de deux nou- velles intitulees : Le Mystere de Marie Roget et Le Domaine d’Arnbeim et le Cottage de M. Landor, faisant ensemble au morns cinq feuilles, dont la premiere partie doit paraitre Ie 10 aout dans la Revue nationale. ((Charles Baudelaire. «22, rue d’ Amsterdam. «Je reconnais bonne la Baudelaire et ai dispense M a la Revue nationale. « Le 18 juin 1863. «Le secretaire de la redaction «Theophile Gautier fils <<28, quai de I’Ecole.» II faut ajouter que ces nouvelles, apres une longue attente dans bien des tiroirs de bureaux de redaction, ne devaient paraitre qu’en 1865, rigoureusement inedites , dans les Histoires grotesques et se'rieuses. W Lapsus calami probable : Baudelaire entendait vraisembla- blement s’enquerir du delai dans lequel il devait Iivrer sa copie pour paraitre le 10. delegation faite par M. Charles . [Namslauer, biffe] de la signifier DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 7 1 769. A GERVAIS CHARPENTIER (1). 20 juin [ 18J63 M. Monsieur, Je viens de lire Ies deux extraits ( Les Tentations et Dorotbee ) inseres dans la Revue nationale. J’y trouve d’extraordinaires changements introduits apres mon bon a tirer. Cela, Monsieur, est la raison pour Iaquelle j’ai fui de tant de journaux et de revues. Je vous avais dit : supprimez tout un morceau , si une virgule vous deplait dans Ie morceau, mais ne supprimez pas la virgule; elle a sa raison d’etre. J’ai passe ma vie entiere a apprendre a con- struire des phrases, et je dis, sans crainte de faire rire, que ce que je Iivre a une imprimerie est par- faitemenl Jini. Croyez-vous reellement que les formes de son corps, ce soit la une expression equivalente a son dos creux et sa gorge pointue (3)? — Surtout quand il est question de la race noire des cotes orientates. Et croyez-vous qu’il soit immoral de dire qu’une (') Editeur de la Revue nationale ou avaient paru, Ie 10 juin , les deux petits poemes en prose ici nommes dans les premieres Iignes. (2) C’est par erreur que , dans les PETITS POEMES, page 233, nous avons donne cette Iettre sous la date du 10 juin. O') A : « moule exactement sa taille longue , son dos creux et sa aorge pointue)) , la Revue nationale avait substitue : « moule exacte¬ ment les formes de son corps)), et a : «pour racheter sa petite sceur qui a bien onze ans , et qui est deja mure, et si belle!)), «pour racheter sa petite soeur qui est deja si belle ». 172. CORRESPONDANCE GENERALE fille est mure a onze ans , quand on sait qu’A'ischa (qui n’etait pas une negresse nee sous Ie Tro- pique) etait plus jeune encore alors que Mahomet I’epousa(1)? Monsieur, je desire sincerement vous remercier du bon accueil que vous m’avez fait; mais je sais ce que j’ecris , et je ne raconte que ce quej’ai vu. Si encore j’avais ete prevenu a temps, j’aurais pu supprimer tout Ie morceau. Veuillez agreer, Monsieur, [’assurance de mes parfaits sentiments. Ch. Baudelaire. 77O. A MONSIEUR RAYMOND MATIGNY. Monsieur, [6 juillet 63 (s)] Je n’ai meme pas Ie temps de vous ecrire ce que je fais, en partie pour vous, ni pourquoi il y a Ceci nous rappelle quelques Iignes de deux auteurs que Baudelaire connaissait bien : un passage des Peregrinations en Orient d’Eusebe de Salles, oil il est note qu’Aisha, la fiancee de Mahomet, avait sept ans ct qu’a cet age, cbez Ies Egyptiens touchant au type negre, Ies membres sont deja «gracieusement arrondisa; et une phrase de Paul de Molenes dans ses Chroniques contemporaines (1859) : «A'issha qui avait alors onze ans, age oil Ies femmes orientales sont deja fruits dores par Ies plus beaux rayons de la jeunesse. . .». (2) La date est apportee par un billet a Arondel ( 7 juillet 1863) oil on lit : «Voici copie de la Iettre que j’ai re?ue ce matin de Baude¬ laire... — Patience et avec une nouvelle Iettre, j’en viendrai a bout, comptez sur moi. — V/Sr Raymond Matigny. » II semble toutefois qu’impressionne par la reponse de Bau¬ delaire, I’agent d’affaires ait tarde a le relancer, car on lit de sa main, sur celle-ci : Ecrit 16 8br‘. DE CHARLES BAUDELAIRE. 173 tant de retards. - — Je tacherai d’aller vous voir, cela me coute moms que d’ecrire. Si vous me tour- mentez ainsi, je m’en irai fort Ioird1*, et vous m’au- rez empeche d’accomplir ma volonte. Veuillez agreer mes salutations. Ch. Baudelaire. M. Arondel a du vous raconter quelle espece de speculation je faisais, et pourquoi il y avait tant de lenteurs. 77 1. A MICHEL LEVY. 7 juillet 1863. Tres interessante 1. a. s., dans Iaquelle Baudelaire annonce a son editeur la fin d’Eureha et le prochain envoi des derniers chapitres des Histoires grotesques et serieuses. II proteste ensuite energiquement contre une grosse erreur d’impression de la preface du 2e volume de Poe, et dit : . , . moi qui ai fait de Poe une affaire de gloire et qui y ai donne tant de soins. Puis il demande un releve de son compte, ayant besoin d’argent pour un voyage a I’etranger. Je suis tres las de la France et je desire I’oublier pendant quelque temps. W Premiere allusion, croyons-nous , dans la correspondance de Baudelaire, a son projet de depart pour la Belgique. I 74 CORRESPOND ANCE GENERALE J’irai prochainement vous voir. Mais comme il y a deux Michel, celui de son bureau qui croit devoir etre herisse comme un sauvage, et celui du domicile personnel, qui est un parfait homme du monde, vous me permettrez de choisir le second. Tout a vous. Charles Baudelaire. 772. A THEOPHILE GAUTIER. [Juillet 1863 ? (’) J [...] Cette annee, Paris est rissole; Phebus- ApoIIon verse tous Ies jours plusieurs casserolees de plomb fondu sur Ies malheureux qui se pro¬ minent le long des boulevards. Si j’etais au ciel, j’appellerais ceux de 1’endroit a faire des barri¬ cades contre ce Dieu sans-gene. II a ete deja exile, une fois, sur la terre, oil Admete le forfait a garder des moutons. Pour moi je le forcerais, vu sa recidive, a garder des poetes moderes, a I’Academie frangaise [. . .] (1) Dans YEvenernent oil il fut publie pour la premiere fois , ce fragment etait suivi de la mention : Annee 1866. Millesime’ in¬ admissible puisque des avril 1866 le pauvre Baudelaire n’etait plus capable meme de former sa signature. — Dans Ies Lettres comme dans la Correspondance, ces lignes ont ete rapportees a 1 annee 1862. Pour notre part nous les croirions plutot de la suivante, a cause de la temperature torride qu’il fit alors, te- moin Ies plaintes qu’elle arracbait a Flaubert : «Sacre nom d’un chien, quelle chaleur ! [...] Elle m’obstrue I’entendement, je ne .is due souffler et dormir etendu « comme ung veauw sur mon lit». ( Correspondance , ed. Conard, juillet 1863.) DE CHARLES BAUDELAIRE. '75 773. AU MARECHAL VAILLANT ^ 3 aout 1863. Monsieur Ie Ministre, II y a de nombreuses annees, je me suis adresse a M. Fould pour obtenir une indemnite litteraire, en ma qualite d’homme de Iettres ayant pubhe un ouvrage dans le Moniteur (M. Fould reunissait alors sousya direction Ies deux ministeres, Ie Mi¬ nister d’Etat et celui de la Maison de l’Empe- reur). Deux fois il m’a repondu avec sa bienveil- Iance connue®. Depuis Iongtemps deja, malgre mon rang et ma valeur, je souffre materiellement de mon im- popularite®. La Revue Europeenne , a laquelle j’etais attache, a ete, comme vous Ie savez, cedee par (!) Alors ministre de la Maison de 1’Empereur et des Beaux- Arts , et membre Iibre de l’Academie des Sciences. (») Les precisions qu’apporte ici Baudelaire ne permettent guere de presumer une erreur de memoire, d autant que nous Pavons deja vu , en juillet i837(numero 298), remercier M. Fould «de tous les bons offices)) qu’il a refus de lui. Cependant on doit constater : i° que dans la lettre suivante ce n’est plus de la bienveillance de M. Fould qu’il excipera, mais de celle de M. Rouland ; 20 que dans Ie dossier des « indemnites a titre even- tuel» qui figure a son nom aux Archives Rationales ( F17 3 1 1 5) , on ne trouve trace d aucune qui lui ait ete allouee par Ie Minis- tere d’Etat avant avril 1861. . , A remarquer que Baudelaire a grand soin de speciher . materiellement. II a en effet mamte fois, et ici nieme, insiste sur ce postulat : impopularite vaut consecration (voyez notamment la lettre a Soulary, 23 fevrier i860). 176 CORRESPONDANCE GENERALE M. Dentu a M. de Calonne, duquel je m’etais eloigne sur I’invitation de M. Rouland Je m’adresse aujourd’hur a vous, M. le Mare- chal, dans Ie meme but qui me faisait ecrire a M. Fould. Si vos larges occupations, comme mi- nistre et comme savant, n’ont pas permis a mon nom d arriver jusqu’a vous, vous pouvez consulter a mon sujet M. Gautier, qui, j’ai lieu de Ie croire, voudra bien m’appuyer aupres de vous®. Je suis I auteur des Fleurs du Mai , des Paradis artificiels, etc., etc., et Ie traducteur des oeuvres d. Edgar Poe. Je suis Ie petit-neveu du voyageur Levaillant® et Ie beau-fils du general Aupick, qui a eu, si ma memoire ne me trompe, I’honneur de vous connaitre®. Je suis au moment de quitter la France pour quelque temps, et c est de votre bienveillance que j’attends Ies moyens de m’en aller. VeuiIIez agreer, Monsieur Ie Mmistre, I’assu- r (>> 9*? n’est PasTt0Ut a fait exact: Ia verite (qui resulte dune lettre a M. Koutand venue a notre connaissance trop tard pour 1 mserer a sa date, mars qu’on trouvera a VAppendice) c’est que Baudelaire, quand Ie patronage officiel avait ete retire a la Revue ccmtemporaine pour passer a I ’ Europe'enne , avait refuse au ministre de quitter M. de Calonne et ne s’y 6tait decide, Leau- coup plus tard, qu’en raison de ses dissentiments personnels avec ce dernier. r ( ) Non Theophile Gautier, comme on Ie supoose d’abord tout naturellement, mais un de ses nombreux homonymes, qui etait alors secretaire general du ministere de Ia Maison de I’Em- pereur et des Beaux-Arts. Son nom figure dans Ie Carnet, suivi de la mention : . ( ministere ) , parmi ceux de gens ad voirn, et au- dessous de celui de De Saux. (43) Voyez tome III, pa^e 179, note 1. « On est un peu gene de voir notre auteur 6voquer, dans un but mteresse Ie souvenir de son beau-pere qu’il haissait. Le marechal Vaillant avait eu Ie general Aupick pour colleo-ue a la commission chargee de reunir Ia Correspondance de NapoFon I". DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 77 ranee de ma gratitude (1) et de mon profond res¬ pect. Charles Baudelaire. 22, rue d’ Amsterdam. 774. AU meme. 7 aout 1863^) Monsieur Ie Ministre, Je me propose de faire en Belgique une excur¬ sion de deux ou trois mois dans ie but de visiter surtout Ies riches galeries particulieres du pays (3), et de faire un bon Iivre avec mes impressions per- sonnelles. Je pars avec une personne que sa pro¬ fession et ses relations (4) mettent a meme de faire voir ce que peu de personnes voient. Mais je suis sans argent, et j’ai espere que votre Excellence, me continuant ia bienveillance de M. Roul- (1) Pour Ies suites de cette requete, voyez Ia Iettre suivante et Ie numero 779. (2) II est probable qu’a Ia suite de sa Iettre du 3, le ministere de la Maison de 1’Empereur et des Beaux-Arts avait demande a notre poete quelques precisions complementaires. Aux Archives nationales la presente Iettre, Ia precedente et cede qui est repro- duite sous notre numero 779, torment, avec Ies reponses dont elles furent l’objet, un sous-dossier sur la chemise duquel on lit : Demande de mission. Pour I’inter£t de cette precision, voyez page 182 , note 3. (3) D’apres les notes de son Iivre sur Ia Belgique, il ne semble guere que Baudelaire ait poursuivi particulierement ce but-la ; cedes qui ont trait a des collections particulieres sont fort peu nombreuses. Cependant voyez page 185. <4) Probablement Alfred ou Arthur Stevens. 12 IV. 178 CORRESPOND ANCE GENERALE land [sic] (1) 2, me fournirait Ies moyens de partir et de voyager. Je suppose que, meme dans Ie cas ou je ne saurais pas gagner quelque argent en Belgique, une somme de 600 ou 700 francs me suffira. Je vous prie, Monsieur Ie Ministre, de vouloir bien agreer I’assurance de ma gratitude® et de mon respect. Charles Baudelaire. 22, rue d’ Amsterdam. (1) Voyez pages 175, note 2, et 176, note 1. Rappelons ici par quelles «indemnites» s’etait traduite la bienveillance de M. Rouland : 16 juin 1857, 200 fr. (au titre des Histoires extra- ordinaires ); 18 janvier 1858, 100 fr., et 22 janvier 1859, 300 ( Nouve lies Histoires extraordinaires ); 7 fevrier i860, 300 (articles d’art) ; meme annee , 3 1 mars , 300 ( Methode de critique) , et 1 3 no- vembre, 500 [Les Fleurs du Mai). (2) En haut de l’original dont un cachet d’enregistrement en date du 14 aout atteste que le Ministere de la Maison de l’Em- pereur et des Beaux-Arts 1’avait transmis a celui de 1’Instruction pubhque, on lit : M. Dumesnil et, en surcharge, M. Bellaguet, puis, au-dessous : Je suis contraire a priori. Mais quel etait l’oppo- sant, Dumesnil, Bellaguet ou quelque tiers, 1’examen des ecri- tures non plus que I’etat de la documentation ne semblent per- mettre de I’etabhr. Une chose est certaine toutefois, c’est que la minute du refus dont Baudelaire s’indignera bientot, fut redigee sur un papier a 1’en-tete du departement de M. Rouland au fils et secretaire duquel notre auteur passait pour avoir re- pondu, un jour ou celui-ci 1’interrogeait sur Ies raisons qui le faisaient se plaire si souvent dans I’etrange : « Monsieur, c’est pour etonner Ies sots!» Mais y a-t-il lieu de rapprocher ceci de cela ? Rien ne le prouve en somme, voyez la note 3 sous Ie nu- mero 779, page 182. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 79 775. A POULET-MALASSIS. Vendredi, 8 aout 1863. Mon cher ami, Ce que vous me demandez est impossible. Je n’ai plus qu’un jour , pour mes preparatifs de de¬ part (1), courses, visites, emballages, etc... Pourquoi, vous qui savez si bien etre persuasif, et sans aucune peine, n’allez-vous pas directement demander la voix de Lemercier et de Tenre®? Vous comprenez bien que je suis desole de vous refuser. Je vous ecrirai, dans quelques jours, de Bruxelles. Je logerai, sans doute, a I ’Hotel du Grand-Miroir. J’ai un remords, je relis votre lettre pour la troisieme fois, desirant sincerement trouver le moyen d’executer ce que vous me demandez, mais votre lettre est inintelligible pour moi : quels pouvoirs Tenre et Lemercier ont-ils a me transmettre ? C. B. t1) Le depart pour Bruxelles. Comme celui pour Honfleur, il sera si souvent remis, que Poulet-Malassis, en arrivant dans cette ville le 15 septembre, y precedera encore son ami de sept mois pleins. (2) 11 devait s’agir de questions ayant trait a la faillite de Poulet-Malassis, car les noms de Lemercier et de Tenre sont ceux d’escompteurs que nous n’avons rencontres ici que trop souvent. 12. CORRESPONDANCE GENERALE i 8o 776. A MADAME AUPICK. Lundi 10 aout [1863]. Ma chere mere, je suis plein de tourments et de courses. II ne faut pas me faire de reproches si je te reponds aussi brievement. La grosse affaire est manquee, ou plutot ren- voyee(1). J’etais dans Ies mains de coquins, et coquin pour coquin, j’aime mieux avoir affaire a Michel Levy, et traiter directement avec lui. II revient Ie 25. L’affaire des conferences publiques(2) est ren- voyee a novembre. J’ai re^u une lettre de M. Ver- voort, Ie president de la Chambre des deputes, et president du Club artistique^, qui prend acte de mon offre pour novembre. Cependant, je crois que je pars pour la Bel¬ gique vendredi ou samedi, pour ecrire des articles dans I’lndependance beige W et surtout pour finir mes Iivres interrompus; j’ai pris Paris et la France en horreur. Si ce n’etait a cause de toi, je voudrais n’y jamais revenir. Si je pars vendredi, je reviendrai a Paris apres avoir noue des affaires en Belgique, je traiterai M L’affaire avec M. Namslauer. (2) Selon Asselineau, 1’idee lui en etait venue de 1’exemple fourni par Thackeray, Dickens, Longfellow et Edgar Poe, qui avaient fait des tournees fructueuses en Angleterre ou en Ame- rique. (3) Plus exactement : du Cercle artistique et litter aire. <4> Pendant son sejour en Belgique, il ne donnera a I’lndepen¬ dance que Les bons cbiens. — Voyez page 185, in fine. DE CHARLES BAUDELAIRE. I 8 I I’ affaire Poe avec Michel^, et j’lrai a Honfleur attendre I’epoque de novembre. Pas de reproches, je t’en supplie. II parait que ma pauvre belle-soeur a Ie caractere faible. Mais qui ne I’a pas, ce caractere faible, d’une fa£on ou d’une autre ? II va sans dire que si je suis a Bruxelles samedi, je commencerai par t’ecrire. Je t’embrasse de loin en attendant. Charles. 777 • x? 1 6 aout 1863. [L. a. s. C. B 1 p. in-8.] Baudelaire annonce son brusque depart pour Bruxelles ou il est oblige de se rendre pour aller s’entendre avec M. Berardi, direeteur de Y Independance beige , sur une question d’un interet litteraire impor¬ tant. 778. A THEOPHILE GAUTIER. 21 aout 1863. Oui, certes, assurement. J’ajouterai meme que ce Monsieur Rodolfo ^ me tourmente, et que je ne suis pas exempt de 0) Voir la Iettre du 25 novembre. (2) Voyez Ies Iettres 775 (note 1) et 781. C3) Surnom amical que Gautier avait donne a Adolphe Bazin dont il se servait parfois comme de secretaire et de «negre» quand les commandes depassaient ses possibilites personnelles. (Voir Adolphe Boschot, Tbe'opbile Gautier, Desclee de Brouwer, s. d., pages 210 et 264.) CORRESPONDANCE GENERALE I 82 jalousie a son egard. II me semble que, dans une circonstance aussi solennelle^, tu aurais pu penser a utiliser Ies talents de ton devoue Baldelario. 77 9. AU MARECHAL VAILLANtH 26 aout 1863. Monsieur Ie Ministre, Je regois aujourd’hui 26 la lettre par Iaquelle vous m’informez que la situation des credits ne permet pas de donner suite a une demande de moi, relative a une subvention pour une excur¬ sion d’un but purement artistique. Si Ie refus de Votre Excellence m’etait parvenu, il y a une quinzaine de jours, j’aurais pu Ie consi- derer meme comme un bienfait; car il m’eut epar- gne bien des soucis. Je desirerais que la plainte que j’exprime ici attirat vos jeux sur Ies lenteurs barbares et le sans-gene de I’administration(3), surtout M Vraisemblablement la mort d’Eugene Delacroix auquel , dans Ie Moniteur du 14, aout, Gautier avait consacre un long article. M Voir Ies Iettres au meme, 3 et 7 du meme mois. (3) Les mots reproduits ici en italique sont, sur la piece auto- graphe, soulignes au crayon rouge. « II est peu probable, faisait observer plaisamment M. Andre Ferran en publiant cette lettre, ?ue ce soit Baudelaire qui ait souligne cette phrase vengeresseo. )n lit aussi cette question : De quel jour e'tait la lettre ? ^puis , de la meme ecriture : Du 7 aout, la re'ponse du 2q, II semble d’adleurs que Baudelaire, n’eut-il pris la mouche, etait en passe d’obtenir satisfaction, car, en marge de la minute de la reponse emanant du ministere de I’lnstruction publique figure encore ceci : Objet. Impossibilite d’accorder une allocation sous la forme de mission scientifque et litteraire. — Fera une demande de subvention. DE CHARLES BAUDELAIRE. I 83 vis-a-vis d un ecrivain de mon rang. Je suis meme convaincu que plus d’un qui vaut beaucoup plus que moi, a eu deja a faire mainte observation penible de ce genre. Je vous prie, Monsieur Ie Ministre, de vouloir bien agreer [’assurance de mon profond respect. Charles Baudelaire. 780. A POULET-MALASSIS. [Fin aout 1863.] Mon cher ami, Vous m’avez tant tracasse aujourd’hui par vos voltiges (inutiles) que vous m’avez fait oublier deux choses importantes : I’une, le fameux pro¬ gramme du plafond d’ Apollon, perdu par moi(1); I’autre, la liste (autant que vous vous souvenez) des travaux Iitteraires de Delacroix, dans la Revue des Deux Mondes, et de ceux, publies precedem- ment, sans doute dans L’ Artiste- Ricourt®. Ajoutez-j quelques reflexions de vous. Rapides et substantielles. Je Ies interpreterai et je Ies inco- U) C’est evidemment par erreur qae Feli Gautier avait place cette lettre au debut de 1864 puisque la teneur en temoigne qu’elle est anterieure a la publication du grand article necrolo- gique ou Baudelaire allait celebrer Eugene Delacroix ( Opinion nationale, 2 septembre et 14-22 novembre 1863). — On sait que dans cet article (voir L’Art ROM ANTIQUE.) Ie critique a repro- duit, en exemple du style «charmant, aussi spirituel que colore » du grand artiste, Ie programme de son Apollon vainqueur du ser¬ pent Python et qu’il y a parle aussi des divers ecrits de Delacroix. ^ W C’est-a-dire pendant la periode oil Acbille Ricourt avait preside aux destinees de I Artiste ( 1831-1839). I 84 CORRESPOND ANCE GENERALE Ierai [?] dans mes epreuves, si vous arrivez trop tard; vite, je vous prie. Pour reprendre notre theme d’aujourd’hui, je verrai Michel avant le 15, je Ie taterai, et je verrai s’il j a inconvenient pour moi (c’est a dire : pour nous) a ce que vous vous chargiez de mon affaire; si ses ojjres sont trop off reuses, je repousse l’ affaire Iff S il y a quelque avantage immediat, vous ferez votre part, mais il faudra penser a Lecrivaiffff Car il me serait dur d hypothequer cette dette, renouvelee, sur les lemons de Novembre. (Relativement a ceci, c est vous qui ferez Ie traite avec M. Vervoordff) Vers la fin d’Octobre, cela suffira. Tout a vous. C. B. 781. A MADAME AUPICK. 31 aout 1863. Ma chere mere, je te demande pardon de ne pas t’avoir repondu hier. Cela metait impossible; aussi impossible que de me rendre a I’invitation de ma belle-sceur. J’etais contraint de passer la journee dans un bureau de journal^, d’ou je t’ecris aujourd’hui. Tu t’ennuies done bien, chere mere, et tu souf- (1) II s’agissait de la cession eventuelle a Michel Levy des ouvrages de notre auteur qu’avait publics Poulet-Malassis ou dont la publication par ses soins avait ete envisagee. O Nous avons vu (Iettre y68j que Lecrivain avait consenti une avance a Baudelaire. Voyez la Iettre y8q.. (4) Probablement celui de YOpinion nationale , voyez Ie nu- mero 780, note 1. DE CHARLES BAUDELAIRE. 185 fres done beaucoup dans cette solitude que je considere comme un lieu de bonheur, pour avoir tant d’envie de venir dans ce Paris qui m’est, a moi, si insupportable? Fais ce que tu voudras. Je trouve dans ce pro jet la perspective d’un grand plaisir, e’est de te voir. Et cependant, cela me chiffonne un peu. Je ne pourrai gueres [sic] etre a ta disposition. Tu me verras toujours triste, inquiet, et grognon. J’aurais voulu que ce voyage se fit dans des conditions qui me permissent d’etre tout entier a toi, de te consa- crer tout mon temps, et de m’appliquer a te pro- mener et a t’amuser. Ensuite il y a une humiliation pour moi. Tu dois etre excessivement genee. Or, comme depuis plusieurs mois tous mes projets, meme Ies mieux fondes, croulent Ies uns sur Ies autres, je n’ai pas 1. 000 fr. a t’offrir, pas meme 500, pas meme moins. Indubitablement, cela finira, mais quand? Avec Bruxelles, il n’y a qu’une chose resolue et conclue; encore le traite n’est-il pas signe. C’est mes Conferences publiques a partir du commence¬ ment de novembre. J’en donnerai, je crois, une dixaine [sic], 200 fr. par lecture, et peut-etre serai- je invite par d’autres villes(1). Quant au voyage que je projetais recemment, il avait pour but de visiter des galeries de peintures, et d’ecrire des articles dans I’Independance Beige. Mais je n’ai pas pu m’entendre avec ce journal , et je ne suis pas parti (2). R) Espoir trompeur, on Ie verra bientot. (2) Ce projet de collaboration donna-t-il lieu a un echange de Iettres ? Nous n’en connaissons aucune qui y ait trait, ce qui nous porterait a croire que Baudelaire avait plutot engage des pourparlers avec Berardi par I’entremise d’Arthur Stevens. CORRESPONDANCE GENERALE I 8(5 Quant a mon retour definitif a Honfleur, il est baseuniquementsurmon ententeavec Michel Levy (encore absent), etsurla somme qu’il voudrabien m’offrir, en echange de tous mes droits d’auteur a venir. J’ai vu que j’allais me mettre entre Ies mains d’affreux coquins, et tout considere, je prefere etre vole par lui que par d’autres. J’espere qu’il ne manquera pas une si facile occasion d’exploiter ma pauvrete. II revient Ie 5, et une autre personne que j’attends pour une autre affaire, revient le 8. Je crois que toutes ces negociations peuvent me retenir jusqu’a la fin de septembre. J’ai quelque esperance de passer tout octobre a Honfleur, et novembre et la moifie de decembre, je Ies passe- rai fructueuse ment en Belgique. Te voila bien renseignee. Decide. Quand nous serons ensemble, je t’instruirai minutieusement de mes affaires. Je ne suis pas mort (ce qui est fort surprenant), et je me suis apergu avec etonnement ces jours derniers que j’etais encore capable de travailler. Je t’embrasse. „ Charles. Tu as appris la mort d’Eugene Delacroix. 782. A LA MEME. 6 septembre 1863. Ma chere mere, j’attendais de toi une Iettre Mercredi ou Mardi, une Iettre contenant ta deci- DE CHARLES BAUDELAIRE. 187 sion relativement a ton voyage. Est-ce que tu es malade , ou n’as-tu pas re$u ma Iettre ? Je t’embrasse, et je te prie vivement de m’ecrire. Charles. Je re?ois ta Iettre; elle est bien triste. 783. A LA MEME. [11 septembre 1863?] Ma chere mere, Ne pas plus nous voir que si nous etions separes par une grande distance, c’est bien dur^I Je te jure que ce n’est pas ma faute. Hier soir, ce soir meme, vendredi, je voulais passer ma soiree au- pres de toi. Ton extraordinaire bonte et ton indul¬ gence me rendent souvent honteux, et je voudrais compenser par une foule de tendresses et de soins Ies moments ou je me suis montre si injuste envers toi. Mais comment faire, quand on est accable d’affaires et de soucis? deux ou trois heures dero- bees pour Ie travail, c’est beaucoup, a cause des interminables courses, visites, etc... Aime-moi bien, sans te lasser, car j’en ai un fameux besom. Ce monstre de Michel me dit tous Ies jours : «Nous traiterons cette affaire cesjours-ci. » Mais Ies journees s’envolent. Un journal vient de me proposer un travail tres (1) Aupick etait venue passer quelques jours a Paris, comme Ie faisait prevoir Ie billet precedent. i 88 CORRESPONDANCE GENE RALE beau, tres amusant et tres dangereux, une espece de besogne a la Swift ou a la Voltaire11). Mais outre que je ne veux pas dire que je voudrais 2 ou 3.000 fr. d’avance, cette besogne retarderait mon retour a Honfleur et retarderait aussi i’accomplis- sement de mes Iivres en train, ce qui me tient tant au coeur. — — Si demain Samedi je ne suis pas chez toi a 6\ j ’y serai a 8. Ne t’occupe jamais du diner : Je dine avec un morceau de pain et un peu de vin. Charles. 784. A POULET-MALASSIS. [Environ 10-15 septembre 1863.] Je crois, mon cher, qu’une communication aussi precieuse a Ie droit de ne pas etre afifranciiie. Toutes les citations sont tirees du meme article. Je vous fais partager Ie fruit de mes lectures. Quant a I’auteur vous Ie devinez(2). Venez done au Cafe de Bade Je crois a la solution Levy pour la fin de cette semaine. (1) Nous ignorons de quoi il s’agissait. Le premier nom qui vient a l’esprit, e’est celui de Champ- fleury dont ia Revue anecdodque (2° quinzaine de janvier 1857) pouvait ecrire qu’il n’est personne qui n’ait tenu a lui reprocher une petite faute de franfais. Pourtant celles qui s’etalent ici sont de si gross; taille que nous n’oserions les imputer sans preuve a I’auteur des Bourgeois de Molincbart Iequel d’ailieurs, au temoi- gnage de Jules Troubat, son ancien secretaire, corrigeait et recorrigeait vingt fois ses moindres ecrits. Boulevard des Itahens, 32. DE CHARLES BAUDELAIRE. 189 Avant tout la part de Lecrivain et la votre P'. II faut absolument que je sache Ie jour de votre depart, et si je n’avais pas Ie temps de rediger la note pour M. Vervoort, il faudrait que vous me fissiez parvenir votre adresse de Bruxelles. Tout a vous. C. B. — L’ Amateur enthousiaste qui , a peine a-t-il vu une curiosite nouvelle , ses yeux etincellent , sa physionomie s’epanouit, son pouls bat fortement. — Cette perpetuelle plus belle galerie de Paris. — La femme a plus d'emprise sur elle-meme que I’bomme. Ayant le sens de I’art tres developpe et la bosse de la propriete non moins developpee, il lui serait facile d’acquerir des connaissances en curiosites qu’elle aime et qu’elle voudrait posseder. — - Combien de femmes du monde sont raleurs [?], sans le savoir, dans les magasins de nouveautes qu’elles mettent a I’envers , faisant fretiller devant leurs yeux toutes les etoffes, et devant toujours repasser demain! — Une sorte de gros fl noir que le temps rendait blanchatre en s’ehmant. — Deux grandes pieces carries Yetalaient ( s’ eta - laient ?) dans la direction des omoplates, qui ne sont pas d’ordinaire le theatre de I’usure des habits. — De ces attaches et de ces raccommodages , on pou- vait assurer qu’ils avaient ete executes par l homme lui- meme , car I’ouvrier le plus maladroit met plus de mys- tere dans ses rapiecements. _ Sa figure, soigneusement rasee , plantee sur un 0) Les pourparlers avec Levy allaient durer jusqu’a la fin d’octobre. Pour la part de Lecrivain, voir la Iettre 768, note 1. I Comme I’a fait remarquer M. Andre Ferran (L’ Archer, novembre 1931), cette lettre ne peut etre de I’annee 1864 ou on la vojt placee dans les Lettres, car le 26 octobre 1863, Poulet-Malassis ecrivait de Bruxelles a Charles Asselineau : «J’ai quitte Paris il y a deja un mois». DE CHARLES BAUDELAIRE. ipi veux un traite, 200 fr. par lecture, et je ne partirai, fin Octobre, que quand j’aurai Ie traite. J’ai cause avec Michel. II demande huit jours pour reflechir a ce qu’il peut m’offrir apres avoir verifie nos comptes. Or, dois-je, assassine par tant de besoins, Etcher de conclure avec Iui deux nouveaux traites (Para¬ dis , Contemporains (1) *, 3 volumes)? ou dois-je patien- ter jusqu’a novembre, dans I’esperance que Ies lectures en question pourront exciter un desir chez MM. Lacroix et Verboekkoven [sic]®? Je crois, d’ailleurs, que Michel n’aime pas en¬ tendre parler de trente-six choses a la fois, et qu’il ne faut pas laisser voir ma gene. En tout cas, chez n’importe qui, je ne veux trai- ter que pour 3 ans(3), soit pour une serie de paye- ments au fur et a mesure des tirages, soit pour une seule somme representant la totalite possible des tirages. Reponse, s’iI vous plait. Tout a vous. C. B. (i) En 1863, Ies matieres dont sont composees Curiosite's estbe'tiques et L’ Art romantique devaient former deux volumes sous le titre collectif de Reflexions sur mes ou sur quelques-uns de mes contemporains. (*) Les lihraires de Bruxelles qui venaient de publier Les Mise'rables, accordent a Hugo des conditions dont la generosite defrayait la chronique. II est probable que Malassis fut d’avis que Baudelaire d’abord tentat sa chance aupres de Lacroix- Verboeckboven, puisque nous alions bientot voir celui-ci (Iettre 788) ajourner la poursuite de ses pourparlers avec Levy quant a ses oeuvres personnelles. (3) Sans doute afin que 1’expiration de ces traites coi'ncidat avec celle du contrat passe avec Hetzel pour les Fleurs du Mai et les Pomes en prose, de telle sorte qu’il put ensuite reunir tous ses ouvrages chez Ie meme editeur. CORRESPONDANCE GENERALE I 92 786. A BABINEtB). 6 octobre 1863. Cher Monsieur, Je vous serais tres reconnaissant, si vous pen- siez a moi. J’ai une grosse affaire a conclure avec Michel, et il ne veut pas conclure, avant d’avoir la preface d’ Eureka, d’un cote, et, de I’autre, quelques pages de moi qui Iui manquent pour son cinquieme volume (2). Je suis affreusement affaire. Croyez que sans cela j’irais vous voir frequemment. Pourriez-vous m’ecrire un petit mot pour m’ex- primer ce que vous pensez de 1’ouvrage, — si vous ferez la preface, — quelle etendue elle au- rait, — • et quel prix vous en demanderez W Crojez, Monsieur, que j’apprecie toute la valeur du service que je vous demande, et que j’en gar- derai toujours Ie souvenir. Ch. Baudelaire. (1* Dam les recueils anterieurs de la correspondance, c’est A lame qu on lit. Mais nous I’avons montre (Eureka c’est ^ Babinet que cette Iettre etait adressee’ n erst'a'd,re Pour ,es Histoires grotesques et seneuses. U 11 cr?'re. que finalement Babinet avail decline les avances de Baudelaire puisque c’est precede dun simple extrait de la biographie d Edgar Poe par llufus Griswold, que parut DE CHARLES BAUDELAIRE. r93 787. A ETIENNE CARJAT(I). 6 octobre 1863. Mon cher Carjat, Manet vient de me montrer la photographic qu’il portait chez Bracquemond (2); je vous felicite et je vous remercie. Cela n’est pas parfait, parce que cette perfection est impossible (3); mais j’ai rarement vu quelque chose d’aussi bien. Je suis honteux de vous demander tant de choses, et j’ignore comment je pourrai vous remer- cier; mais si vous n’avez pas detruit Ie cliche, faites-m’en quelques epreuves. Quelque s , cela veut dire ce que vous pourrez ! Et je tiens, si je vous parais indiscret, a ce que vous me Ie disiez, — pas trop durement, cependant. W Dessinateur, photographe , et successivement directeur da Diogbie et du Boulevard. 0) A la vente de la collection Le Petit, cette Iettre etait accompagnee de deux portraits-cartes dont 1’un portait la signa¬ ture de Baudelaire. II semble qu’il s’agisse ici de I’admirable photographic en buste oil Ie poete a un front demesure et une expression si amere, — cede qui fut reproduite dans la Galerie contemporaine. Mais pourquoi Manet la portait-il chez Bracque- mond, nous I’ignorons. Peut-etre Poulet-Malassis poursuivait-il , bien que ruine, Ie reve de son edition de luxe des Fleurs du Mai oil un portrait de Baudelaire — et par Bracquemond precise- ment (Iettre du 10 juillet 1861) avait ete prevu? Quoi qu’il en soit, il n’est pas a notre connaissance que Bracquemond ait jamais grave ce portrait-la. (3) On sait que Baudelaire, a 1’heure oil la photographic tuait Ie portrait, Iui refusait Ie droit de rivaliser avec la peinture et la rappelait a « son veritable devoir, qui est d’etre la servante des sciences et des arts» (Saion de 18 5 9). IV. !3 194 CORRESPONDANCE GENERALE Manet vient de m’annoncer la nouvelle la plus inattendue. II part ce soir pour la HoIIande, d’ou d ramenera sa femme1'1'1. II a cependant quelques excuses; car il paraitrart que sa femme est belle, tres bonne, et tres grande artiste. Tant de tresors en une seule personne femelle, n’est-ce pas mons- trueux ? Reponse, si on vous trouve. Bien a vous. Charles Baudelaire. 788. A MICHEL LEVY. [6 octobre 1 863 (3).] Mon cher Michel, Pensez a moi, je vous en prie(3). Je viens d ecrire a M. Babinet pour Ie preparer un peu (4). Je renvoie a janvier, comme je vous I’ai dit, Ie moment de vous offrir un Iivre de moi. Car c’est decidement trop ennuyeux de vendre Ies choses non faites^. Souvenez-vous que vous avez Ie compte de (1) Suzanne Leenhoff, fille d’un maitre de chapelle a Zalt- Bommel, elle-meme tres bonne pianiste. f Cette date figure sur I’autographe, mais d’une main etran- gere. Elle parait d’ailleurs exacte. Pour en terminer avec Ies pourparlers en cours. Voir la lettre 786. ^4 -Adroit pretexte sans doute pour gagner du temps — celui de tater Lacroix -Verboeckhoven , voir la lettre 785, page 19 1, note 2. p DE CHARLES BAUDELAIRE. l91 vente des trois premiers volumes^, avec une Iettre explicative de moi. Je tacherai d’aller vous voir a 5 heures. Bien a vous. Ch. Baudelaire. 789. A HETZEL. 8 octobre 1863. Mon cher Hetzel, Je vous ai apergu il y a deux jours, et je veux aller au-devant de tout reproche. Je vous dois 1.200 fr., et je crois que vos deux vol. ne pourront vous etre Iivres que 10 mois apres I’epoque conve- nue. Ma seule maniere de vous faire des excuses sera de vous Iivrer quelque chose d’excellent. Les Fleurs du Mai sont completement pretes, et les morceaux inedits sont classes a Ieur place (2). Dans Le Spleen de Paris, il y aura 100 morceaux — il en manque encore 30 ^3). Je me suis mis M Les trois premiers volumes des traductions : les Histoires et les Nouvelles Histoires extraordinaires et les Aventures d’ Arthur Gordon Pym. (2) C’est la premiere fois que se trouve mentionne dans la Correspondance cet exemplaire des Fleurs du Mai, 2e edition, avec pieces intercalaires , dont la realite fait encore question. (3) II y aurait done eu soixante-dix poemes en prose de faits en octobre 1863. Mais, dans sa Iettre a Sainte-Beuve du 4, mai 1865, Baudelaire, tout en repetant qu’il en veut faire cent, ecrira : «Je n’en suis qua soixante, et je ne peux plus aller. )> Comment concilier des assertions aussi contradictoires ? Il paraft evident qu’ici notre poete, une fois de plus, confondait son desir avec la realite. I 96 CORRESPOND ANCE GENERALE etourdiment tant de besognes variees sur Ies bras et j’ai tant- d’ennuis a Paris que j’ai pris le parti d’aller faire vos 30 morceaux a Honfleur. Je par- tirai Ie 16, j’irai vous dire adieu. Le 30, je revien- drai; vous pourrez imprimer en novembre, et comme je pars Ie ier pour Bruxelles ou je vais donner une quinzaine de lectures publiques, je vous prierai de me donner une foule de conseils pour me conduire dans une ville ou je ne connais personne. Tout i vous. Ch. Baudelaire. 7 90. A NADAR. 10 octobre 1863. Je presume, mon cher ami, que ces Iettres te satisferont(1). Observe bien que celle adressee a M. Charles Algernon Swinburne doit Iui [etre] expediee soit par la poste ou autrement, aussitot que tu seras arrive a Londres, quand meme tu ne voudrais pas en user, puisqu’elles contiennent [sic] des matieres differentes de celles qui t’interessent actuellement(2). Je te souhaite toutes Ies prosperites necessaires et te prie de presenter mes amities a ta femme. Charles Baudelaire. (1> Les deux Iettres qui suivent celle-ci. <5) Voyez la note 3, page suivante. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 97 791. A CHARLES A. SWINBURNE. [Monsieur — 16, Cheyne Walk Chelsea London.] 10 octobre 1863. Monsieur, Un de mes amis, un de mes plus vieux amis va a Londres, — M. Nadar, que vous aurez sans doute quelque plaisir a connaitre. Je vous prie de vouloir bien faire pour Iui tout ce que vous auriez fait sans doute pour moi, si j’etais alle m adresser au public de votre patne. Indications, conseils, reclames, il a besoin de beaucoup de choses®. Je sais mfiniment de gre a Nadar de m avoir demande des Iettres pour mes tres rares acquain¬ tances® de Londres; car il ma, ainsi, force de m’acquitter vis-a-vis de vous d une grosse dette depuis Iongtemps non payee. Je veux parler du merveilleux article (sur les Fleurs du mal) que vous avez produit en septembre 1862 dans Ie Spectator (1) Voyez la Iettre suivante, premier paragraphe. (2) Orthographe anglaise du mot. (5) Nous avons signale cet article (paru anonyme) dans LES Fleurs du Mal, pages 388-389 et 44.9. On en trouvera une analyse et des extraits dans une excelfente etude de G.-Jean Aubrv : Baudelaire et Swinburne qua publiee le Mercure de France le 16 septembre 1917; elle contient aussi une relation circonstan- ciee des vains efforts que firent les deux poetes pour se ren- contrer. Baudelaire avait d’autant plus lieu de tenir a racheter son silence, que Swinburne, en lui envoyant son article, r avait accompagne d’un billet. — Voyez la note 3 sous la Iettre sui¬ vante, page 200. I 98 CORRESPOND ANCE GENERALE Un jour, M. R. Wagner m’a saute au cou pour me remercier d’une brochure que j’avais faite sur Tannbaiiser [sic], et m’a dit : aJe n’aurais jarnais cru cju’un litterateur fran^ais put comprendre si facile- ment tant de cboses.)) N’etant pas exclusivement patriote, j’ai pris de son compliment tout ce qu’il avait de gracieux. Permettez-moi, a mon tour, de vous dire : « Je n’aurais jamais cru qu’un litterateur anglais put si bien penetrer la beaute frangiise , les intentions francaises et la prosodie fran^aise » . Mais apres la lecture des vers imprimes dans Ie meme numero ( August ) et pene- tres d’un sentiment a la fois si reel et si subtil, je n’ai pas ete etonne du tout : il n’y a que les poetes pour bien comprendre les poetes. Permettez-moi cependant de vous dire que vous avez pousse un peu loin ma defense. Je ne suis pas si moraliste que vous feignez obligeamment de Ie croire. Je crois simplement (comme vous, sans doute) que tout poeme, tout objet dart bien fait suggere naturellement et forcement une morale. C est I’affaire du Iecteur. J’ai meme une haine tres decidee contre toute intention morale exclusive dans un poeme (1). Ayez la bonte de m’envoyer ce que vous publiez »: j’y prendrai un grand plaisir. — - J’ai plusieurs Iivres a publier : je vous les expedierai successivement(2). (1) Assertions frequentes chez Baudelaire : cf. L’Akt ROM AN¬ TIQUE, page 401, Nouvelles Histoires extraordi- N AIRES , pages xix-xx, etc. f] II [ill avait deja envoye son Richard Wagner avec cette dedicace : A M. Algernon C. Swinburne, Bon souvenir et mille remer dements. DE CHARLES BAUDELAIRE. 1 99 Veuillez agreer, Monsieur, I’expression bien vive de ma gratitude et de ma sympathie. Charles Baudelaire. A Paris, 22, rue d’ Amsterdam. A Honjleur, rue de Neubourg. Je suis a Paris jusqu’a la fin de ce mois, et je passerai tout decembre a Bruxelles. 792. A JAMES MC NEILL WHISTLER (1). Chelsea London.] 10 octobre 1863. Cher Monsieur, Un de mes meilleurs et de mes plus vieux amis, M. Felix Nadar, va a Londres, dans le but, je crois, de raconter au public Ies aventures qu’il a cou- rues avec son grand ballon et aussi , je presume , pour faire partager au public anglais ses convictions (D Dans ses articles : Peintres et Aqua f artistes et L’Eau-forte est a la mode ( L’Art ROM ANTIQUE, pages 115 et 466), Baude¬ laire l’annee precedente, avait dedie au jeune talent de Whistler quelques Iignes chaleureuses. Mais on ne salt nen a notre connaissance du moins, des rapports personnels qu il avait pu avoir avec I’artiste. , . , . (s) La premiere ascension du Geant avait eu lieu le 9 octobre. Elle s’etait terminee par une chute, a Meaux, dont 1 opinion pubhque s’etait tort eniue. 200 CORRESPOND ANCE GENERALE relativement a un nouveau mecanisme qui doit etre sub- stitue au ballon (1). Vous savez que nous avions un peu cause de lectures et des chances que j’aurais pu trouver d’etre ecoute a Londres. Je vous en prie, gratifiez Nadar de tous Ies conseils et de toutes Ies indications dont vous m aunez fait cadeau a moi-meme; en deux mots, tout ce que vous ferez pour M. Nadar, j’en mettrai Ie souvenir dans mon coeur. D’ailleurs vous Ie verrez et vous saurez I’apprecier vous- meme. Presentez mes amities a Legros®, et n’oubliez pas de montrer a Nadar vos merveilleuses eaux- fortes. Je devine tout Ie plaisir qu’il en ressentira. VeuiIIez agreer, cher Monsieur, I’assurance de mes meilleurs sentiments. Charles Baudelaire. Voulant aussi Iui donner une Iettre pour M. A. Swinburne , j ai profite de I occasion pour exprimer a ce dernier tout mon repentir de mon oubli et de mon apparente ingratitude (3). C. B. A Paris, 22, rue d’Amsterdam. (1> On sait qu au domaine de 1’aeronautique, Nadar fut un veri¬ table precurseur, et qu’il preconisait deja le plus Iourd que I’air. INous 1 avons vu, a quatre-vingt-buit ans, suivre avec un interet passmnne les essais de Santos-Dumont et de Wilbur Wright Alphonse Legros venait de se fixer en Angleterre. Cette derniere phrase donne a croire que Swinburne s’etait etonne aupres de Whistler du silence garde par Baudelaire a son endroit (voir la note 3 sous la Iettre 791, page 197), — que DE CHARLES BAUDELAIRE. 20 I A Honjleur , rue de Neubourg. \ A Bruxelles. Je ne sais pas encore a quelle adresse. 793. A ANCELLE, [Environ 13 octobre 1863.] Je reviendrai quand je pourrai. J’ai vraiment besoin de causer avec vous de differentes cboses. Je voulais aussi, malgre Ies 1.300 fr. dont vous avez parle a ma mere, vous demander un service d’ar- gent, probablement le dernier, car si je ne pars pas avec ma mere, je vais partir pour Bruxelles, — dans quinze jours, pour Honfleur ou pour Bruxelles. Bien a vous. r n Whistler en avait touche un mot a Baudelaire, et que celui-ci avait promis de reparer son tort. Mais ses intentions devaient etre trahies par son habituel guignon. Nadar oubha dans son portefeuille les plis dont il etait porteur, et ne Ies retrouva que... quarante ans plus tard, — soit trois ans apres la mort de Swinburne!.. Toutefois et contrairement a ce qu’on a ecrit a ce sujet, il ny a guere de doute que Swinburne n’ait ete instruit et du contretemps qui 1’avait frustre de la Iettre de Baudelaire et de la gratitude que celui-ci Iui gardait : voir plus loin Ie billet a Fantiniatour, 22 mars 1864. 202 CORRESPONDANCE GENERALE 794. A MADAME vAUPICK. Mercredi [28 octobre 1863.] Ma chere mere, J’esperais une Iettre de toi ce matin. Ce voyage s’est-il effectue sans ennuis et sans accident, et sur- tout comment te portes-tu? Oui, I’affaire Levy est videe. J’abandonne demain tous mes droits a venir pour une somme de 2.000 fr. payables dans une dizaine de jours. Ce n’est meme pas la moitie de ce qu’il me faut. II faut done que la Belgique paie Ie reste. Je vais ecrire en Belgique pour obtenir un traite (car je me defie des Beiges), un traite disant Ie prix de chaque Iegon, combien de Iefons en tout, et com- bien de lemons par semaine. Le Poe donnait (a moi) un revenu de 500 par an. Michel a done traite la question comme on traiterait de la vente d’un fonds d’epicerie. II paie simplement quatre annees du produit{1). Je t’em- brasse. Ecris-moi. Charles. (P Ce traite, qui fut signe Ie 1" novembre 1863 et dont recemment nous avons enfin pu avoir connaissance , etait beau- coup plus desastreux que Baudelaire ne Ie mentionne ici, car ce ne sont pas seulement Ies trois premiers volumes de ses traduc¬ tions qu’il cedait a Levy pour 2.000 francs, mais aussi Ies qua- trieme et cinquieme (Eureka et Histoires grotesques et se'rieuses), qui etaient encore a paraitre. De plus il abandonnait toute pretention a la propriete de ses notices sur Poe : elles devenaient celle de Michel Levy ! On comprend son amertume et qu’il se soit repenti bien souvent d’avoir accepte de telles conditions. DE CHARLES BAUDELAIRE. 203 795. au directeur du Pays. 3 novembre 1863. [L. a. s.] Baudelaire reclame son manuscrit : Peintres de maeurs. M. Constantin Guys. Ce sont des placards d’imprimerie colles sur du vehn bleu qui est ...depuis deux ans, peut-etre plus, dans les tiroirs du journal parce qu’il part pour Bruxelles dans 2 ou 3 jours, ou cet ouvrage doit faire I’objet d’une lecture publiqueB). 796. A GUSTAVE BOURDIN(2). 12 novembre 1863. Cher Monsieur, j’ai rencontre avant-hier M. de Villemessant, qui m’a dit qu’il faisait composer Ie Peintre de la Modemite^K (>) Voyez les Iettres 741 et 801. (2) Le meme dont un article violent avait, en 1857, dechafne les foudres du parquet (voyez a son sujet Les Fleuks DU MaL, pages 316-318). II n’est pas sans sel devoir Baudelaire I’assurer ici de ses «parfaits sentiments)). M Ce titre cedera la place, dans Ie Figaro, a celui de : Le Peintre de la Vie moderne, mais il ressuscitera dans les Iistes que Baudelaire fera de ses oeuvres quand il en cherchera Ie pla¬ cement. 204 correspondance generale Je tiens a recevoir Ie plus de matiere composee qu’il est possible, et Ie plus tot possible, pour bien relire cela a mon aise. En second lieu, vous vous souvenez que nous avons juge bon de mettre des titres a chaque cha- pitre. Or, la chemise qui enveloppait la copie peut m’etre utile pour ce but. Enfin, je m’adresse a votre obhgeance pour vouloir bien faire une petite annonce dans Ie numero qui precedera celui de la publication (1f N’oubliez pas ceci : c’est que quand meme vous pourriez croire qu’on peut jouer a M. Guys de Sainte-Helene une farce innocente en revelant son nom, Ie moment serait tres mal choisi pour violer sa manie; M. Guys est tout accable par un acci¬ dent de famille(2). — II ne manquera pas de reve- Iateurs, croyez-Ie bien, et Guys m’attribuera l’in- discretion. Veuillez agreer, cher Monsieur, I’assurance de mes parfaits sentiments. Ch. Baudelaire. 22, rue d’ Amsterdam. Je ne suis pas encore delivre de I’infame Levy (3). (l) Ce desir allait etre exauce, mais la note ne devait pas se trouver du gout de l’auteur. Nous 1’avons d’ailleurs reproduite dans L’ Art ROM ANTIQUE , page ^.^3. W Gu^s, en effet, tuyait la puBlicite avec autant d’ardeur que la plupart des artistes la recherchent. <3) Baudelaire n’en avait pas encore termine avec I’etafclisse- ment du texte des Histoires grotesques et se'rieuses. DE CHARLES BAUDELAIRE. 20J 797. A MICHEL LEVY. [Novembre 1863.] Mon cher Michel, je suis bien malhabile pour la chose que vous me demandez. Cependant, voici une note faite tellement quellement. Peut-etre la trouverez-vous longue. Arrangez-Ia comme vous voudrez. Je joins a cette note-reclame une Iiste de distri¬ bution que je juge moi-meme incomplete (1). Je vous fournirai Ies autres noms mercredi, apres que j’aurai vu M. Babinet; je ne connais pas la redaction scientifique des journaux. — Je ne me rends pas aujourd’hui a votre invitation, parce que je suis possede du desir de finir mon qe volume (2). Tout a vous. C. B. La librairie de MM. Michel Levy freres vient de mettre en vente Eureka, par Edgar Poe , traduit par M. Charles Baudelaire. Les nombreux lecteurs des His- toires Extraordinaires et des Aventures d’Arthur Gordon Pym savent avec quelle subtilite le genie d’ Edgar Poe se joue avec les matures les plus abstraites , et mele la plus ardente imagination aux ressources four- nies par la science. Dans Eureka, Edgar Poe a voulu enfermer, de la maniere la plus breve , Phistoire de la creation et de la destruction de I’Univers. C’etait, sinon son livre prefere, au moins un de ceux auxquels il M Cette Iiste ne nous a pas ete conservee. (*) Histoires grotesques et serieuses. 20(5 CORRESPONDANCE GENERALE attachait le plus d’ importance , ainsi que le temoigne une curieuse lettre de lui , servant de preface a la presente edi¬ tion fran$aise. Gare aux fautes d’orthographe dans Ies noms de I’auteur et du traducteur : Edgar Poe. Ch. Baudelaire. 798. A MADAME AUPICK. 23 novembre 1863. Ma chere mere, je voulais reserver depuis long- temps deux ou trois heures pour t’ecrire longue- ment et convenablement. Mais Ies journees sont si breves; je souffre tellement apres mon dejeuner, apres le diner, j’eprouve un tel ennui dans ma chambre non eclairee, je soufFre tellement du manque d’ amide et de luxe ; je suis si ecrase de ma solitude et de ma paresse, que je remets sans cesse au Iendemain I’accomplissement de mes devoirs, meme de ceux que j’ai Ie plus a coeur de remplir. De temps en temps, plusieurs fois par jour, le matin, Ie soir, je me dis : comment se porte-t-elle? Elle sennuie, et elle croit peut-etre que je m’amuse. Le grand et I unique objet de ma vie mamte- nant est de faire du travail, la chose la plus dure et la plus ennujeuse du monde, la chose agreable DE CHARLES BAUDELAIRE. 207 par habitude(1>. Je me considere comme un grand coupable ayant abuse de la vie, de mes facultes, de ma sante, comme ayant perdu vingt ans dans la reverie, ce qui me met au-dessous d’une foule de brutes, qui travaillent tous Ies jours. Non ; tu n’as pas de reproches a me faire relati- vement aux 2.000 fr. de M. Levy. Je n’en touche- rai pas meme 20 fr. Levy s’est engage a partager cet argent entre quelques-uns de mes creanciers, quand il aurait la dermere page de son cinquieme vol. (2) et je suis en train de Ie fimr. Le 4e a paru , je crois <3) ; mais je n’ai pas Ie temps de sortir, pour m’occuper de la distribution. Je fenverrai un exemplaire, - — pour te prouver simplement que ce terrible Iivre est fini; car je doute que tu puisses en lire deux pages sans dor- mir. Je doute meme qu’il y ait en France dix per- sonnes qui sachent I’apprecier. M. Aymon(4) s’est trompe; j’espere bien que je ne resterai pas a Bruxelles plus de six semaines (c’est meme beaucoup). Je partirai dans Ie com¬ mencement de decembre. Une caisse que je t en- verrai sera Ie signal de ma fuite. Car il est inutile que je paye Ie Ioyer d’une chambre que je n’occu- perai plus, et je veux demeubler ma chambre J’augure tres mal de mon voyage. Que je sois bien paye de mes lemons, je Ie crois. Mais tu sais (i) Pensee qui se trouve plusieurs fois repetee dans Ies Jonr- naux intimes. • . (2*3) Eureha fut annonce dans Ie Journal de la Librairie Ie ^ de- cembre 1863. Mais I’etablissement du texte des Histoires grotesques allait trainer Iongtemps. (4) Lire : Emon. (s) La chambre qu’il occupait a I’HoteQe Dieppe, rue d’Am sterdam , depuis Ie mois d aout de l annee 1839* 208 CORRESPONDANCE GENERALE que mon voyage a un autre but : c’est-a-dire de vendre trois volumes de critique a la maison qui a achete Ies Miserables (1); or, tout le monde me dit que ce sont des gens sans intelligence et tres-avares. — II se pourrait que je fusse oblige de Ies vendre a Paris a mon retour, et assez piteusement. Mais I’argent des lemons n’est pas a negliger. II parait que Ies journaux (ou la conversation) ont annonce mon arrivee et que je suis attendu. Les fragments que je t envoie feront partie des trois volumes en question. Le Delacroix ® a souleve beaucoup de coleres et d approbations. Je suis accoutume a cela. J’attache une certaine importance au travail dont je t’envoie le premier numero. Je suis assez mecon- tent de I annonce (signee G. B.) qui I’accompagne (notre feuilletonyv. Et maintenant, souviens-toi que la grande chose pour moi, celle toujours importante, c’est ta sante. Parle-m’en. Je t embrasse de tout mon coeur. Charles. (l) Les editeurs Lacroix et Verboeckhoven. — Pour Ies trois volumes, voir la note 2 , sous la Iettre k Mma Aupick du qi de- cembre prochain. 0 particle necrologique : L’CEuvre et la Vie d’Eugene Delacroix. ( ' Voyez numero 796, page 204. DE CHARLES BAUDELAIRE. 209 799. A PAUL CHENAVARD W. [Monsieur Monsieur — ’ rue des Beauts-Arts 3 (maison des Bains) Paris.] 23 novembre 1863. Mon cher Chenavard, Je vo us remercie vivement de votre petit mot. Vous avez devine que je vous tenais pour un de ceux par qui j’aime etre Iu. Votre Iettre m’a ete d’autant plus [desagreable, rature] agreable que Ies articles en question (2) ont beaucoup fait gueuler; mais Ies personnes gueulantes appartiennent, il est vrai, a la classe de cedes qui n’aiment pas entendre I’eloge de l’ elegance. Votre Iettre aura peut-etre un resultat fatigant pour vous. EHe m’encourage a vous envojer beau- coup de paquets. Je ne sais pas si vous avez voulu dans Ie mot : niche , enfermer un calembourg. En tout cas, la niche etait bien innocente, et d’ailleurs sachez que depuis tres Iongtemps je vous prepare une beau- coup plus vaste niche (une a statue) (3). Bien a vous. Charles Baudelaire. (1) Sur Ies relations de Baudelaire avec Chenavard, voyez Ies Index des CURIOSITES ESTHETIQUES et de L’ Art ROM AN¬ TIQUE. M Les articles sur Eugene Delacroix, qui contenaient un vit eloge de Chenavard en tant que « conversationnisteu ( L’Art ROMANTIQUE, pages 34-35). (3) N’ayant pas la Iettre de Chenavard il est bien difficile de 14 IV. 2, I O CORRESPONDANCE GENERALE 800. A MADAME AUPICK. [Fin novembre 1863.] Ma chere Mere, Je t’ecris deux mots pour te remercier de cette infatigable affection. Merci aussi pour Ie paquet de conseils d’hy- giene. Je suis desole de t’arracher tes illusions sur Ie passage oil tu as cru voir I’eloge de ce fameux sexe. Tu fas compris tout de travers. Je crois qu’il n’a jamais ete rien dit de si dur que ce que j’ai dit dans Ie Delacroix et dans I’article du Figaro Mais cela ne concerne pas la femme- mere. Je t’embrasse. ^ Charles. J’ai beaucoup d’affaires tourmentantes. presumer a quelles intentions y correspondait le mot niche. Pour la «niche a statue » que Baudelaire promettait a 1’auteur de YHistoire de I’Humanite, il est clair en revanche que c’est dans L'Art pbilosopbique qu’elle devait etre creusee. (Voyez L'Art ROM ANTIQUE , pages 1 1 9-1 27 et 47 1-4.72.) (1) C’est-a-dire dans Le Peintre de la Vie moderne. DE CHARLES BAUDELAIRE. 2 I I 8oi. A MONSIEUR LE DIRECTEUR DU JOURNAL le « Pays». Monsieur, 2 decembre 1863. Je suis contraint de repondre minutieusement a I’espece de reproche imphque (quoique non exprime) dans votre Iettre du 30 novembre(1), que je re^ois aujourd’hui 2 decembre. J’ignore a qui ma Iettre actuelle parviendra, si ce n’est a la personne abstraite dite le directeur du Pa} \ S . Si j’ ecrivais a Monsieur Grandguillot per- sonnellement, j’ecrirais plus simplement, Mon¬ sieur Granguillot sachant mieux que personne comment Ies choses se sont passees, et etant d’ail- Ieurs, je le crois, au nombre de mes amis. Quand un journal se permetde garder deuxans , et peut-etre beaucoup plus Iongtemps, un manu- scrit sans le publier, il n’a pas le droit d’exprimer de reproche quelconque, s’il voit paraitre ce ma- nuscrit ailleurs. Monsieur Granguillot, a qui cet ouvrage plai- sait, me dit : a Nous allons imprinter cela a telle epoque.)) L’epoque venue, Monsieur Bodoz(2) me dit : La parole de Monsieur Granguillot ne vaut abso- lument rien; il faut voir Monsieur D’Anchald. » Je vis Monsieur D’Anchald, qui, a son tour, marqua une epoque plus reculee. L’epoque venue, je retournai au Pays, oil je vis un Monsieur dont j’ai oublie le nom, et qui me dit : a Nous sommes ici W Nous n’avons pas cette Iettre. W Alors directeur du journal. 14. 2 I 2 CORRESPOND ANCE GENERALE dans I’anarchie et le chaos. II faut voir Monsieur Che¬ valier^. » Je vis ce Chevalier, qui me regut un peu plus mal qu’un chien, et qui, entrant en grande fureur quand je parlai des engagements antece¬ dents, me dit que : a La parole de Messieurs Gran- guillot, Bodoz et D’Anchald ne signijiait absolument rien. » Dans 1’intervaIIe, j’avais prie Monsieur Baudoz de m’avancer au morns Ie prix de 1’article, ce qu’il fit en defalquant une avance antecedente, remontant a quelques annees. Voici 1’histoire de cette avance. 11 j a quelques annees, je me trouvai si deplorablement paye de quarante ou soixante feuilletons faits pour le Pays (2) , que j’en exprimai mon mecontentemenl a Monsieur Mires, qui, tres gracieusement, me fit dire qu’une indem¬ nity ou un surcroit de deux ou trois cents francs m’attendait a la caisse du Pays, Cependant, je veux bien reconnaitre cette dette. J’arrive maintenant a la publication recente du Peintre de la Vie modeme. II y a un mois a peu pres, j’apprends que quelques personnes de Bruxelles temoignent Ie desir d’entendre plusieurs lectures de moi relatives aux Beaux-Arts. Je ramasse imme- diatement le plus de materiaux qu’il m’est pos¬ sible, et je reclame de vous Ie malheureux manu- scrit, qui n’aurait peut-etre jamais paru <3>. Un jour¬ nal ( le Figaro ) me demande, quelques jours plus tard, un manuscrit ayant trait surtout aux moeurs parisiennes. Fallait-il, par respect pour un journal ou (1) Voir la Iettre a Marie Escudier, 4 decembre 1862. Les Histoires et Nouvelles Histoires extraordinaires (parues de judlet 1854 a avril 1855). Voir le numero 795. DE CHARLES BAUDELAIRE. 213 I’anarcbie etait telle qu’on ymarujuait de parole aux gens pendant plus de deux ans , que je refusasse de le Iaisser imprimer, desirant surtout Ie remanier encore? J’ai fini. Je me reconnais de nouveau votre debiteur, ainsi que je I ai fait deja au bas dun ecrit que vous m’avez envoye, et par iequel je me dis engage a remplacer I’ancien manuscrit par un nouveau, soit pour Ie : Varietes, soit pour le : Feuilleton, dans Ie delai de trois ou de six mois. J’avais determine dans ma pensee de vous offrir : les Raffines et les Dandies (Chateaubriand, de Custine, Liszt, Paul de Molenes, Barbey d’Au- revilly, etc.)(1) ou bien la Peinture didactique (Che- navard, Janmot, Kaulbach , Alfred Rethel(2)), peut- etre tous les deux. Mais si ce genre de travail vous parait d’une nature trop bizarre, je m’arrangerai pour vous trouver une matiere imprimable en feuilletons. J’espere , Monsieur, que je vous ai convaincu qu’il y avait dans votre lettre de quoi blesser la susceptibilite d’un homme qui n’oublie jamais rien. Veuillez agreer fassurance de ma parfaite con¬ sideration, et presenter mes amities a Mon¬ sieur Grandguillot (3). Charles Baudelaire. A Paris, 22, rue d’ Amsterdam, a Honfleur, rue de Neubourg. (1) Cet article devait rester en projet, on I’a dit. (2) Voir L’Art philosophise ( Art ROM ANTIQUE). _ _ (3) En tete du manuscrit de cette iettre on lit d une ecriture etrangere : Re'pondu 14. dectmhre 1863, Nous ne possedons pas cette reponse de 1’ Administration du Pays. CORRESPONDANCE GENERALE 2 I 4 802. A VICTOR HUGO. 17 decembre 1863. Monsieur, Malgre que j hesite toujours a demander quoi que ce soit aux personnes pour Iesquelfes j’ai le plus d’affection et d’estime, je viens aujourd’hui vous demander un gros service, un enorme service. Mecontent des editeurs parisiens, et pensant, non sans raison, qu’on ne me rend pas absolument justice W ; j’avais resolu d’aller chercher un editeur a I etranger, pour ies trois volumes dont I’un est : lesf Paradis artificiels , et les deux autres sont : les Reflexions sur mes contemporains (Beaux- Arts et Theatre (2)). J avais decide, pour attirer violemment les yeux sur ces ouvrages, de faire a Bruxelles des lectures publiques avec des extraits bien choisis, les meil- Ieurs cela va sans dire, par exemple : De I’essence du rire; Eugene Delacroix, son oeuvre, ses idees et ses mceurs ; Le Peintre de la Vie modeme ; Edgar Poe, sa vie et ses oeuvres; Victor Hugo; Tbeopbile Gautier; (l) Ce « non sans raison » n’est pas sans saveur et rappelle un pro(3os qua rapporte Asselmeau dans ses Baudelairiana ( E.-J . LREPET page 289) : «Je vous ai dit cela [c’est Baudelaire qui parlej. Vous m avez repondu cela. Et je vous ai replique... avec beaucoup de justesse. , . » . (”> ^ Seirl^f CIU’1', y ait ICI u'} lapsus, car de matieres ressor- tissant au theatre, il n’y en avait guere dans les deux volumes des Ketiexions sur mes contemporains qui verront le jour apres la mort de notre auteur, sous les litres de Curiosite's esthetiques et de L Art romantique. Aussi bien les sommaires que 1’on en pos- sede presentent generalement deux divisions : Litterature-Beaux- DE CHARLES BAUDELAIRE. 215 Tb. de Banville et Leconte de Lisle; Richard Wagner , et m£me d’appuyer mes appreciations par des citations tirees des auteurs en question; car je me defie un peu de I’erudition des Beiges. Or, j’apprends que M. Lacroix ® va vous faire une visite. Le gros service serait de Iui dire ce que vous pouvez penser d’agreable de mes Iivres et de moi et de Iui faire part de mon intention relative- ment aux lectures. Ce sera, je Ie repete, un tres gros service, car M. Lacroix doit avoir une con- fiance absolue dans votre jugement, et j’espere que Ies lectures acheveront la persuasion. Je demande frequemment des nouvelles de vous ; on me dit que vous vous portez admirable- ment bien. Le genie servi par la sante! Que vous etes heureux, Monsieur! Je me propose de vous envoyer prochainement Ies Fleurs du Mai (encore augmentees) avec le Spleen de Paris , destine a Ieur servir de pendant. J’ai essaye d’enfermer la-dedans toute I’amertume et toute la mauvaise humeur dont je suis plein. J’aurais du, il y a quelques jours, vous envoyer Eureba (quatrieme volume de ma traduction de Poe), un etrange livre qui pretend reveler Ies modes de creation et de destruction des univers, mais Michel Levy a juge bon de rayer de ma Iiste de distribution les noms des personnes qui ne pouvaient pas lui etre directement utiles®. Je d) Albert Lacroix, de la firme A. Lacroix, Verboeckhoven et O', editeurs, rue Royale 3, impasse du Parc, a Bruxelles. Meme maison a Paris , Librairie internationale , boulevard Mont¬ martre, 15, au coin de la rue Vivienne. Memes maisons a Livourne et a Leipzig. ,. (2) Nous avons dit (note 1 sous la lettre 797/ cIue ce^*-e bste de distribution ne nous etait pas parvenue. 2. 1 6 CORRESPOND ANCE GENERALE reparerai un autre jour mes torts, ou plutot ses torts, vis-a-vis de nous. Je partirai pour Bruxelles peu de jours avant la fin du mois (1). Si vous pouvez prendre dix minutes de votre temps pour m’ecrire, vous me rendrez heureux, et cela me donnera confiance pour mon expedition. Mais je devine ce que souvent Ies Betties vous peuvent causer d ennui, et pour nen au jnonde je ne voudrais vous gener. A Paris, je demeure 22 , me d’ Amsterdam. A Bruxelles, je ne sais pas encore ou je demeurerai. Adieu, Monsieur; crojez toujours a mon affec¬ tion et a mon admiration. Vous etes un puissant seigneur, mais vous avez, comme vous Ie voyez, tous les inconvements de la souverainete. Chacun a quelque chose a vous demander®. Charles Baudelaire. 803. A LECRIVAIN^. [ De la maison Lecrivain et Toubon, libraire rue du Pont-de-Lodi.] Lundi 28 dec[embre] 1863. Monsieur, Je vous crojais paje^4) depuis mercredi dernier. Je viens d’apprendre a mon grand etonnement par W Ce depart allait etre remis jusqu’en avril 1864 ! P0ur Ia, r6Ponse ^ Hugo, voyez la Iettre 804, page 220. Cette Iettre PSt rlnnnee - - - :T r • ^ - _ ^apres une copie qui appartint successivement a deux collectionneurs baudelairiens M de Ra- renton et M. Mouravit. (4> On se rappelle que Baudelaire devait a Lecrivain une sonime de 625 francs (Iettre 768). DE CHARLES BAUDELAIRE. 21? M. Levy Iui-meme que ce n’etait pas fait. II m’a dit qu’avant de vous payer il exigeait de moi I engagement de ne pas fan e de preface et I’enga- gement de laisser corriger Ies epreuves par un autre que moi en cas d’absence ou de maladie W. J’ai consenti a tout*2). Mais il a encore vu un em- pechement quand je Iui ai redemande le 3" mor- ceau pour i’ Opinion W. — II faut absolument qu’un copiste recopie eela. Et je renverrai Ie primitif manuscrit Ie premier janvier. Vous pourrez done reclamer Ie 2. En bonne conscience, il m’etait impossible de prevoir tant de rigueur. Veuillez agreer, Monsieur, I’assurance de mes sentiments tres distingues. Ch. Baudelaire. 804. A MADAME AUPICK. 31 decembre 1863. Ma bonne chere mere, il n’y a rien de plus desagreable que d’ecrire a sa mere, fceil fixe sur (') Cette double precaution montre que Michel Levy ne se mefiait pas moins de la sante de Baudelaire que de sa facheuse tendance a la procrastination. (2) Il se le reprochera amerement quand les Histoires grotesques et se'rieuses seront a l'impression. (3) Le mystere de Marie Roget qui sans doute, dans Ie manu¬ scrit, venait en troisieme morceau, mais qui finalement ouvrira Ie recueil. Baudelaire avait-il deja conclu avec l’ Opinion nationale pour ce Iragment de ses traductions d’abord promis a la Revue nationale et puis au Nord, comme on I’a vu ? Le certain, e'est qu’il dira bientot Ie lui avoir vendu et meme en avoir touche Ie prix. 2 I 8 CORRESPONDANCE GENERALE la pendule; mais je veux que tu regoives demain quelques mots d’affection et quelques bonnes pro¬ messes, dont tu croiras ce que tu voudras. J’ai la detestable habitude de renvoyer au Iendemain tous mes devoirs, meme les plus agreables. C’est ainsi que j’ai renvoye au Iendemain I’accomplissement de tant de choses importantes pendant tant d’an- nees, et que je me trouve aujourd’hui dans une si ridicule position, aussi douloureuse que ridicule, malgre mon age et mon nom. Jamais la solennite d’une fin d’annee ne m’a frappe comme cette fois. Aussi, malgre les enormes abbreviations (1) de pen- see que je fais, tu me comprendras parfaitement quand je te dirai : — que je te supplie de te bien porter , de te bien soigner, de vivre le plus longtemps que tu pourras , et de m’accorder encore quelque temps ton indulgence. Tout ce que je vais faire, ou tout ce que j’espere faire cette annee (1864), j’aurais du et j’aurais pu le faire dans celle qui vient de s’ecouler. Mais je suis attaque d’une effroyable maladie, qui ne m’a jamais tant ravage que cette annee, je veux dire la reverie, le marasme , le decouragement et l’ indecision. Decidement, je consiclere I’homme qui parvient a se guerir d’un vice comme infmiment plus brave que le soldat ou I’homme qui va se battre en duel. Mais comment guerir? Comment avec la deses- perance faire de I’espoir, avec la Iachete faire de la volonte? Cette maladie, est-elle imaginaire ou reelle? Est-elle devenue reelle apres avoir ete ima¬ ginaire? Serait-elle le resultat d’un affaiblissement physique, d’une melancolie incurable a la suite (1) Orthographe des auteurs anciens. DE CHARLES BAUDELAIRE. 219 de tant d’annees pleines de secousses, passees sans consolations dans la solitude et Ie mal-etre? Je n’en sais rien ; ce que je sais, c’est que j’eprouve un degout complet de toutes choses, et surtout de tout plaisir (ce n’est pas un mal), et que Ie seul sentiment par Iequel je me sente encore vivre, est un vague desir de celebrite, de vengeance et de fortune. Mais, meme pour Ie peu que j’ai fait, on m’a si peu rendu justice! J’ai trouve quelques personnes qui ont eu Ie courage de lire Eureka. Le Iivre ira mal, mais je devais m’y attendre ; c’est trop abstrait pour des Franfais. Je vais decidement partir. Je me donne cinq jours, huit au plus, pour ramasser de I’argent dans trois journaux, payer quelques personnes, et faire des emballages. O , Pourvu que Ie degout de I’expedition beige ne me prenne pas aussitot que je serai a Bruxelles! Cependant c’est une affaire grave. Les lemons qui ne peuvent me donner qu’une tres petite somme (1.000, 1.500 ou 2.000 fr.), en supposant que j’aie la patience de les faire, et I’esprit de plaire a des Iourdauds, ne sont que Ie but secondaire de mon voyage. Le vrai, tu Ie connais; il s’agit de vendre et de bien vendre a M. Lacroix, editeur beige, trois vol. de Varietes (1) . J’ai Ie frisson en pensant a ma vie, Ia-bas. Les lemons, des epreuves a corriger venant de Paris, epreuves de journaux , et epreuves de Micbel Levy, (1) Les Paradis artificiels et Reflexions sur quelques-uns de mes contemporains . 220 CORRESPONDANCE GENERALE et enfin, a travers tout cela, finir Ies Poemes en prose. J’ai cependant I’idee vague que la nouveaute du sejour me fera du bien et me donnera quelque activite. J’ai trop parle de moi ; mais je sais que tu aimes cela. Parle-moi de tor, de ton esprit et de ta sante. J’avais voulu prendre Hugo pour complice de mon entreprise. Je savais que M. Lacroix serait a Guernesey tel jour. J’avais prie Hugo d’mtervenir. Je viens de recevoir une Iettre d’HugoW. Les tem- petes de la Manche ont derange ma combinaison, et ma Iettre est arrivee quatre jours apres le depart de Vediteur. Hugo dit qu’il repare ra cela par une Iettre, mais rien ne vaut la parole. Je t’embrasse de tout mon cceur. C. B. Avant de partir, je t’enverrai des etrennes de deux sols, probablement un livre a ton gout. II est deja choisi. (I> On ne I’a pas retrouvee. Mais on lit dans la Correspondan.ee entre Victor Hum et Paul Meurice a la date du 22 decembre 1863 : «Je refois de M. Ch. Baudelaire une Iettre egalement en retard. II me demande de 1’introduire pres de Lacroix et des Bekes. II va faire des lectures litteraires et des publications a Bruxelles. On dit qu’il m’est a peu pres ennemi. Cependant je lui rendrai Ie service^ qu il me demande. Je pense que vous serez de mon avis. Voici d’ailleurs ma reponse. Lisez-la, et soyez assez bon pour la cacbeter et la transmettre a M. Baudelairew (Commu¬ nication de Mme C. Daubray). DE CHARLES BAUDELAIRE. 22 I 1864 805. A (1) 2? [1864, (*).] [L- a,l Je suis tres desole de ne m’etre pas trouve chez moi quand vous etes venu. AHez bravement chez Gautier. Vous n’aurez meme pas besom de la Iettre de presentation. Vous trouverez 1’homme le plus aimable de la terre. Souvenez-vous que Ie dimanche on ne trouve Gautier quau Monileur. 806. A MONSIEUR RAYMOND MATIGNY. 12 fev. 64.. Monsieur, Je m’j attendais. Faites(3). Cependant, puisque vous m’ecrivez une f'ois encore, c est sans doute (1) Peut-etre Jose Perez, officier carliste et compositeur.de valeur, que Barbey d’Aurevilly avait recommande a Baudelaire , et en’faveur duquel celui-ci avait deja ecrit a Gautier, voyez Bulletin du Bibliophile , 20 decembre 1939, page 450. (2) Millesime auquel ces lignes ont ete rapportees dans Ie Cata¬ logue d’autographes d’ou nous les tirons. _ . A (3) Voyez les Iettres 752 et 770. — Matigny qui se croyait sur de reussir, — Ie 7 janvier on Ie voit assurer Arondel qu ll a decouvert’un moyen de pression «immanquable» et qu’il va «mettre les fers au feu» — venait de faire protester les billets de Baudelaire, et avait sans doute menace celui-ci de prendre un jugement contre Iui. 222 CORRESPONDANCE GENERALE pour savoir mes intentions. Mon intention est tou- jours la meme(1). Si je peux m’absenter deux mois de France, je reviendrai avec un fort a-compte. Vous devriez comprendre que ma situation entre vous et M. Ancelle me cause un vif embarras(2). Venez me voir, si vous voulez; il est presu¬ mable, je vous en previens, que je pars Ie 20, Ie 25 au plus tard, mais plus surement Ie 20 — Mais une fois pour toutes, je vous affirme que Ie plus sur moyen d’obtenir quelque chose de moi est de me Iaisser Ie temps necessaire et surtout le repos pour agir a ma guise. Quant a la phrase de blame que vous jugez a propos de glisser a la fin de votre Iettre, je crois que mon nom me permet de ne pas en tenir compte. J’expedie votre Iettre a M. Ancelle; mais, a cause de certains renseignements a moi connus, je crains qu il ne veuille s’occuper activement de cette creance que dans deux ans, un an peut-etre. J ai I honneur, Monsieur, de vous saluer. Charles Baudelaire. Baudelaire, soucieux avant toute chose d’eviter un eclat avait certainement I’mtention de composer en cette affaire et’ chose cuneuse, semble hvc toujours reste en hons termes avec Arondel bien que mieux place que personne pour savoir que celu.-ci I avait «rou!e» en 1843-1844, dans cette affaire de tableaux qui avait ete a I origme de sa dette. — Ancelle au contraire , se tenant sur Ie terrain legal , refusait categoriquement de reconnaitre des engagements souscrits sans son autorisation, et n avait consenti a recevoir Arondel, une fois ou deux, qua la demande de son pupille, et pour I’amener k temporiser. ’ Ce dePart alIai* etre retarde de pres de deux mois DE CHARLES BAUDELAIRE. 223 807. A ALBERT COLLIGNON (1). [Rue de Fleurus, Paris.] Lundi, 22 fevrier 1864. Monsieur, En attendant que je puisse vous envoyer quel- ques poemes en prose (2) (je ne puis pas m’en occuper avant dix jours), je vais vous faire remettre trois sonnets, qui malheureusement ne sont pas chez moi, 1. Sur le Tasse en prison, d’Eugene Delacroix (1842), 2. Bien loin d’ici , 3. Le Goujfre (3). Un de mes amis pretend qu’il a vu le Goujfre dans V Artiste Cela m’etonne, mais je vous dois de vous en prevenir. J’ai une soixantaine de poemes appartenant au Spleen de Paris to; mais outre que M. Marcelin et (!) Directeur-redacteur en chef de la Revue nouvelle, organe mensuel dont I’abonnement ne coutait que cinq francs par an et qui comptait parmi ses collaborateurs de nombreux amis de Baudelaire, notamment Mendes, Glatigny, Villiers de I Isle- Adam , BanviIIe , Leconte de Lisle, Jamn, Bataille, Babou, Champfleury, etc. La Revue nouvelle, par la plume d Amedee Guillemin, venait de consacrer un important article 4 Eureka. On peut croire que c’est a cette occasion que Baudelaire etait entre en rapports avec son directeur. (2-3) Aucun poeme en prose ne paraitra a la Revue nouvelle qui, en revanche, allait publier, dans sa livraison du 1 mars, les trois sonnets ici mentionnes et Les Yeux de Berthe. Pour la date qui accompagne ici Sur le Tasse en prison, voyez la note 3 sous la lettre 570. . , . . , (») L’ami disait juste : Le Goujfre avait paru dans l Artiste le ier mars 1862. (s) le Spleen de Paris ne contenant que cinquante poemes en prose, on aurait lieu de s’etonner de cette soixantaine que Bau¬ delaire, ici, pretendait en avoir en portefeuille, si l’on ne savait qu’il avait reve d’en faire cent , comme nous I’avons deja rappele page 195, note 3. 224 CORRESPONDANCE GENERALE M. de Calonne m’en ont demande W, je crois qu’ils ont besoin d’etre encore tres remanies et transfor- mes. J aurai sans doute I honneur de vous ecrire de nouveau demain. Veuillez agreer, Monsieur, I’assurance de mes parfaits sentiments. Charles Baudelaire. 807 bis. A ALPHONSE DE CALONNE W. Mardi 23 fev. 64.. Cher Monsieur, Avez-vous publie trois sonnets de moi, Le Tasse en prison , Le Gouffre , Bien loin d’ici , que je vous ai remis, il y a quelque temps W? Si cela n a pas ete pub ie, vous me rendrez tres heureux en Ies retrouvant et en Ies remettant au porteur. II j en a un particulierement (Le Tasse ) que je cherche en vain dans ma memoire. J’aurai PROCHAIN EMENT [a vous remettrel trois feuilles au moins a vous [remettre] donner, un 0) Marcelin reproduira Les Projets dans sa Vie parisienne Ie 13 aout. Mais la Revue contemporaine de Calonne ne publiera aucun petit poeme en prose. ^ (2) Voyez la lettre precedente. <3) Que faut-il entendre par ce « quelque temps »? Si on Ie prend dans son acception la plus courante qui est auelaues semaines ou quelques mow au maximum, il s’imposerait que nous nous sommes trompe en pla?ant sous notre numero^yo I’envoi A Calonne du Tasse en prison. Notre excuse a cette erreur est que quand nous avons classe ee billet-IA, celui qui nous oecupe en ce moment ne nous avait pas encore ete communique. ^ DE CHARLES BAUDELAIRE. 225 lourd travail, je vous assure, mais dont je suis assez content Veuillez agreer, cher Monsieur, I’assurance de mes parfaits sentiments. Charles Baudelaire. 808. A MADAME AUPICK. 3 mars 1864. Ma chere maman, il faut decidement que je t’ecrive. Sans cela tu croirais a quelque mystere. Ton imagination est absurde. L’explication est bien plus simple. C’est tout simplement parce que mes poemes ennuyaient tout Ie monde (m’a dit le directeur du journal121) qu’on les a interrompus. Je suis tombe dans une hideuse lethargie. Non seulement j’ai des Iivres, des articles de toute sorte en retard (promis et payes), mais je suis accable d’affaires urgentes, dont trois en Belgique. D’un autre cote, je souffre trop de ne jamais te voir. Je vais tacher de me remonter Ie caractere, d’aviser au plus presse, de pecher un peu d’argent en deux ou trois endroits, afin d’aller passer quelques jour- nees pres de toi, puis enfin de me diriger sur Bruxelles, ou peut-etre de nouveaux deboires m’at- (i) II ne semble pas qu’il ait pu s’agir, a cette date, d autre chose que de petits poemes en prose, et nous avons deja dit au’il n’en parut pas a la Revue contemjioraine. 4 (2) Villemessant. Le 7 fevrier avaient paru au Figaro quatre « petits poemes»>: La Corde, Le CrepusculeduSoir, Le Joueur gene- raix Enivrez-vous , et deux Ie 14 : Us Vocations et Un Cbeval de race! Ce dernier etait suivi de la mention : «Sera continue.., qui allait rester Iettre morte. IV. '5 226 CORRESPONDANCE GENERALE tendent, mais peut-etre aussi beaucoup d’argent. Je t’embrasse, et te supplie de ne pas te forger de sottes imaginations. II y a deja bien assez de motifs de tristesse legitime dans ma vie. Si je pouvais seulement rester a Honfleur depuis Ie io jusqu’au 15 , cela me ferait grand bien. Charles. 809. A FANTIN-LATOUR (1). [Monsieur Fantin (fils) Rue Saint-Lazare Ancien hotel du cardinal Fesch premiere maison au com de la Chaussee d’Antin. Paris.] Cher Monsieur, Mardi 22 mars 1864. M. Swinburne a depose un Iivre et sa carte chez moi; mais, comme I’annee derniere, il a oublie de Iaisser son adresse, de sorte que je ne sais ou lui ecrire pour Ie remercier. Voila une imprevoyance peu anglaise. Ayez I’obligeance de lui dire que je serais heu- reux d’avoir son adresse a Paris et d’aller Ie remer- (1) Fantin-Latour a compte parmi Ies artistes auxquels Baude¬ laire s’interessa le plus au cours de ses dernieres annees, et Iui- meme professait a 1’egard de notre poete une admiration dont temoignent encore un portrait au crayon (collection Ronald Davis) et son Hommage a Delacroix (voyez la note 3). Fantin avait d’ailleurs reve d’exprimer plus nettement encore le culte qu’d gardait a la memoire de (’auteur des Fleurs du Mai ; en 1871 on le verra nourrir I idee d’un Anniversaire groupant autour de Baudelaire ses amis et ses fideles. Ce fut la fameuse querelle du diner des «vilains bonshommes» et Ies brouilles qu’elle entraina, qui Pemp&cherent de realiser son projet. DE CHARLES BAUDELAIRE. 227 cier moi-meme. Avertissez-Ie en meme temps que depuis Iongtemps j’avais charge M. Nadar de Iui remettre une Iettre qui n’a pas ete deposee chez Iui et qui est revenue a Paris (1). Je ne verrais pas d’inconvenients a ce que M. Charles Swinburne ecrivit un mot a Nadar pour la reclamer. Cepen- dant si cela peut blesser ce grand enfant gate, que M. Swinburne s’abstienne. Je ferai transmettre a Nadar son adresse. J’ai , sans vous consulter, ecrit une Iettre a Chen- nevieresC2) pour Ieprierde bien placer vos tableaux ainsi que ceux de Manet. Je crois que j’ai bien fait; car, quand les porteurs de Manet sont arrives, Chennevieres a demande tout de suite a voir les tableaux. Bien a vous. Charles Baudelaire. [Note jointe ?(3). ] e . Rubens. 0) Voyez la Iettre 790 page 200, note 3. (5) Le marquis Philippe de Chennevieres-Pointel, commissaire adjoint au Musee du Louvre oil avaient alors lieu les Salons. — L’envoi de Fantin-Latour, son Hommage a Delacroix, reunissant, devant un portrait du maitre disparu I’annee precedente : au premier rang Baudelaire, Duranty et Whistler; au second Champfleury, Manet, l’auteur, Balleroy, Bracquemond, Legros, Cordier. — L’envoi de Manet : Episode d'un combat de taureaux et Anges au tombeau du Christ. (3) Quand elle nous fut communiquee, cette note etait jointe a la Iettre sous Iaquelle nous la donnons. Mais rien ne prouve en somme que les deux pieces soient parvenues de compagnie a Fantin, ni meme qu’elles soient absolument contemporaines. En tout cas , la note semble bien avoir eu trait au Delacroix regu 15. Raphael Michel-. 228 CORRESPONDANCE GENERALE Veronese. Rembrandt. Velasquez. Goethe. Byron. Shakespeare. Arioste. Dante. Beethoven. Mozart. Weber. Virgile Haydn 8lO. A JUDITH GAUTIER (1). 9 avril 1864. Mademoiselle, J’ai trouve recemment chez un de mes amis votre article, dans Ie Moniteur du 29 mars, dont votrepere m’avaitquelque temps auparavant, com¬ munique Ies epreuves (2). II vous a sans doute raconte aux Champs Elyse'es dont Fantin avait congu Ie projet un peu apres son Hommage au maitre, et il y a toute apparence que Ies noms qu’on y voit soient ceux des grands peintres, poetes ou compositeurs qui, aux yeux de Baudelaire, avaient qualite pour accuedlir Delacroix au royaume des Ombres, ayant inspire men souvent son geme. A (1845-1917), fille ainee de Theophile Gautier et d’Ernesta Grisi, delicat ecrivain a qui Ton doit des poemes en prose, des romans et des souvenirs (notamment Le Livre de jade, Le Drawn imperial, L’Usurpateur et Le Collier des Jours d’ou cette Iettre est extraite). (s) Cet article qui etait signe Judith Walter, nous I’avons reproduit dans EUREKA, pages 255-260. DE CHARLES BAUDELAIRE. 229 I’etonnement que j’eprouvai en Ies lisant. Si je ne vous ai pas ecrit tout de suite pour vous remer- cier, c’est uniquement par timidite. Un homme, peu timide par nature, peut etre mal a I’aise devant une belle jeune fille, meme quand il l’a connue toute petite, — surtout quand il re^oit d’elle un service, — et il peut craindre, soit d’etre trop res- pectueux et trop froid, soit de la remercier avec trop de chaleur(1). Ma premiere impression, comme je I’ai dit, a ete I’etonnement, — une impression toujours agreable d’ailleurs. — Ensuite, quand il ne m’a plus ete permis de douter, j’ai eprouve un senti¬ ment difficile a exprimer, compose moitie de plai- sir d’avoir ete si bien compris, moitie de joie de voir qu’un de mes plus vieux et de mesplus chers amis avait une fille vraiment digne de lui. Dans votre analyse, si correcte d ’Eureka, vous avez fait ce qu’a votre age je n’aurais peut-etre pas su faire , et ce qu’une foule d’hommes tres murs , et se disant Iettres, sont incapables de faire. Emm, vous m’avez prouve ce que j’aurais volontiers juge impossible, c’est qu’une jeune fille peut trouver dans Ies Iivres des amusements serieux, tout a fait differents de ceux, si betes et si vulgaires, qui rem- plissent la vie de toutes Ies femmes. Si je ne craignais pas encore de vous offenser en medisant de votre sexe, je vous dirais que vous (i) II est curieux de constater que Baudelaire, Iorsqu’il se comporte en conformiste, eprouve le besom de s’en justifier et de formuler expressement des motifs que Ies conformistes ont generalement a pudeur de laisser sous-entendus. Cf. sa lettre a M. Autard de Bragard (n° 7) oil on Ie voit expliquer au mari Ies raisons qui Ie font lui adresser Ie sonnet destine a sa femme. 230 CORRESPONDANCE GENERALE m’avez contraint a douter moi-meme des vilaines opinions que je me suis forgees a I’egard des femmes en general (1f Ne vous scandalisez pas de ces compliments si bizarrement meles de malhonnetetes ; je suis arrive a un age ou I’on ne sait plus se corriger meme pour la meilleure et la plus charmante personne. Croyez, Mademoiselle, que je garderai toujours Ie souvenir du plaisir que vous m’avez dcnne. Charles Baudelaire. 811. A LECONTE DE LISLE. [Avril 1 864 (*).] t Ecrivez-moi un mot pour me dire si vous croyez convenable que je demande a la Revue nouvelle Ie prix de mes vers, et combien, en ce cas, il faut demander. Presentez mes respectueuses amities a madame Leconte de Lisle. [ Sans signature .] 22, rue d’ Amsterdam. (l) II aurait pu ajouter : et des jeunes filles en particulier, voyez Mon Caur mis a nu, 33” feuillet. W La date approximative de ce billet qui est redige sur une carte de visite simili-autographe, se trouve fournie tant par la Iivraison de la Revue nouvelle du 1" mars 1 864 (voyez la lettre 807, note 2-3), que par la lettre suivante. DE CHARLES BAUDELAIRE. 23I 8l2. A ALBERT COLLIGNON. Vendredi 13 avril 1864.. Monsieur, Je vous serais infiniment oblige de vouloir bien m’envoyer Ie prix des vers de moi que vous [avez] inseres dans votre numero du ier mars. J’ignore ce que cela vaut pour vous; Ie prix que vous adop- terez sera Ie prix convenable. Je ne sais pas si vous etes toujours dans I’mten- tion d’imprimer des poemes en prosed. Je finirai I’ouvrage a Bruxelles, et de la j’en enverrai des fragments aux personnes qui m’ont fait I’honneur de m’en demander. Veuillez agreer, Monsieur, I’assurance de mes sentiments bien distingues. Charles Baudelaire. 22, rue d’Amsterdam. Votre caissier remplira Iui-meme Ie blanc dans Ie re?u ci-joint. J’oubliais de vous dire que je quitte Paris Ie 19 (2). t1) Voyez la note 2-3 sous la Iettre 807. (1) Cette fois Baudelaire predisait juste : il debarquera a Bruxelles Ie dimauche 24. avril. 232 CORRESPONDANCE GENERALE 813. A ARTHUR STEVENS 21 avril 1863.. Mon cher Arthur, Je vous remercie de tout mon coeur pour votre excellente Iettre. J e n’ai jamais doute de votre coeur, pas plus que de votre esprit ; pas plus que du mien. Mes plaisanteries sur votre exactitude prouvent sim- plement que ce que je hais chez Ies autres, c’est surtout mes propres vices; en quoi je ressemble a tous Ies hommes(2). Cette petite affaire devient interminable. M. De Mot(3) qui m’a deja ecrit plusieurs fois me cause par cette derniere Iettre un embarras de pudeur insurmontable. Vous, votre frere (et d’autres per- sonnes) vous m’aviez dit que Ie chiffre des lec¬ tures etait de 200 fr. D’autres me disent que ce n’est que 100, que 60 meme. Tirez-moi de la. Je me soumets d’avance a votre decision prise en commun avec M. De Mot. Pour me soustraire a 1’ennui de deliberer, je pars sans attendre votre reponse. Je suis malade de corps et de volonte. J’ai besoin de changer de place. Je veux travailler a Bruxelles (I'2) Le marchand de tableaux, frere du portraitiste (Alfred) et de I’animalier (Joseph), qui, au cours du sejour en Belgique, devait temoigner envers Baudelaire du plus grand devouement, et qui s’employait alors aupres de D. Vervoort et d’Emile de Mot, celui-la president, celui-ci secretaire du Cercle artistique et Iitteraire de Bruxelles, a organiser les conferences que son ami donnera dans cet institut. (3) On pense deviner que notre poete , plus enclin que personne a la procrastination , avait reproche a Arthur Stevens de ne pas pousser assez activement ses negociations avec Ie Cercle. DE CHARLES BAUDELAIRE. 2 3 3 comme un Demon. J’y veux fimr mon Spleen de Paris et mes Contemporains^ . S’il est trop tard pour donner mes dix ou douze lectures a Bruxelles, j’irai plus tard a Anvers ou, me dit-on, la saison des lectures dure plus longtemps. Inutile de parler de cela. Et puis il faut que je voie M. Lacroix a, qui peut- elre (!) Victor Hugo a ecrit un mot pour mod2). Tout a vous et merci. Votre bien affectionne. Charles Baudelaire. Voyez tout de suite ce monsieur qui doit etre tres etonne de mon silence. Inutile de me repondre. Je pars Dimanche a 5h. Je serai done a Bruxelles a nh du soir. Inutile de dire que je n’attends pas votre reponse; ces messieurs, ignorant que plusieurs raisons m’ap- pellent a Bruxelles, doivent croire que je n’y vais que pour eux (3). 814. A MONSIEUR RAYMOND MATIGNY. [1, rue Leonie Montmartre.] 23 avril 1864. Je crois, Monsieur, que nous ne nous compren- drons jamais. Je voulais terminer cette affaire a I’amiable , pacifiquement et directement avec vous, t1) On sait que ces deux ouvrages ne devaient jamais etre absolument acheves. (s) Voyez page 220, note 1. (3) Dans la piece autographe, Ie P. S. figure sur Ie premier feuillet. 234 CORRESPOND ANCE GENERALE — Ientement, ou d’un seul coup, suivant les circonstances. Vous, vous avez la passion des lettres inutiles, des visites inutiles, des conversations inutiles. Vous vous dites : ii ne faut pas Iaisser de repos au debiteur. Je reponds a vos menaces : ma mere, de son cote, part pour un voyage (1). Quant au Tribunal, ce serait peut-etre un grand bonheur pour moi que la question s’y trouvat portee, parce que je serais alors contraint de reveler beaucoup de choses sur I’origine de cette creance, choses que vous ignorez, je veux Ie croire(2). II parait, selon vous, que je n’ai pas la Iibre dis¬ position de mon temps, et que je vous dois compte de toutes mes actions. II y a des gens que cela ferait rire; mais moi, cela m’irrite les nerfs. Je vous previens que si je re^ois encore de vous une Iettre [de ce genre, raturf\ soit a Gand, soit a Mons, soit a Bruxelles, etc..., je la renvoie imme- diatement, sans la decacheter, a M. Ancelle, en lui transmettant votre adresse. Vous pouvez d'ailleurs parfaitement me faire surveiller par vos corres- pondants ; mais je doute que vos correspondants appartiennent au monde que j’ai a voir. Prenez bien cette Iettre au serieux, et souvenez- vous de ceci : si vous etes poli avec moi, patient et complaisant, vous obtiendrez beaucoup. Si vous m’irntez avec de la rethorique [sic] d’homme W Mme Aupick, on Ie verra par la Iettre 818, pensait venir bientot a Paris. (2) On doit croire que ce paragraphe n’avait pas Iaisse de faire impression au destinataire , car ii est, dans I’autographe , marque d’un trait vertical. DE CHARLES BAUDELAIRE. 235 d’affaires, je Iacherai tout, et je remettrai votre affaire entre Ies mains de M. Ancelle avec un memoire explicatif. Vous pouvez, Monsieur, si cela vous interesse, vous assurez de mon depart; je pars ce soir ou demain soir a 5 heures. Je crois que le 15 juin au plus tard je serai de retour. Charles Baudelaire. Ne me forcez plus a barbouiller du papier inu- tilement, cela me vole mon temps. 815. A GUSTAVE FREDERIX(ff CERCLE ARTISTIQUE ET LITTERAIRE Monsieur, Bruxelles, Ie 30 avril 1864. Je vous serais infimment oblige de vouloir bien assister a ma lecture de Iundi, 2 mai, sur Eugene Delacroix. M Critique Iitteraire de I ’ Inde'pendance beige. Dans une Iettre encore inedite, Poulet-Malassis ecrivait de lui : «L’homme est un des empales du pedantisme, mais il est consciencieux, et salt dire de toutes sortes de manieres : « Belle marquise, d’ amour, me font «mourir vos beaux yeux. » Dans ce temps-ci, c’est quelque chose». Q,uoi qu’il en soit, il est certain que Frederix se montra fort obligeant envers Baudelaire, et que, meme apres que I’exis- tence de Pauvre Belgique lui eut ete revelee, il sut garder une parfaite mesure dans ses propos sur notre auteur. C’est ainsi qu’il ecrit a propos du sejour a Bruxelles : «Ces deux annees [1863-1866] furent tristes et diffictles. Les soucis d’argent, Ies amertumes des journees solitaires, en un pays ignorant quel poete il abritait, Ies projets de travail restant a I’etat de projets, premier signe du mai qui allait Ie paralyser completement, tout cela entretenait I’auteur des Fleurs du Mai en un pessimisme voulu, ne lui laissant qu’irritation et mepris des choses de Bel¬ gique. m CORRESPONDANCE GENERALE 2.36 VeuiIIez agreer, Monsieur, I’assurance de mes sentiments bien distingues. Charles Baudelaire. 816. AU MEME. Vendredi [Mercredi] 4 mai R). Monsieur, J’ai trouve, hier soir, dans L’Independance beige, une note charmante, et plus que bienveillante1 (2) 3, sur ma premiere conference. Je me suis informe, et j’ai su que la signature G. F. etait la votre. VeuiIIez agreer, Monsieur, mes remerciements bien sinceres, aussi vifs que Ie plaisir que ces Iignes m’ont cause. Charles Baudelaire. (1). Date rectifiee par M. Maurice Kunel dans son Baudelaire en Belgique. (Collection Carrefour, Soladi , Liege, s. d. [1944].) (3) Voyez a ce sujet, de M. Gustave Charlier, PASSAGES , essais (La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1947). On trouvera dans cet ouvrage une copieuse revue des articles qui furent consacres a Baudelaire dans la presse Beige , et notamment des extraits de celui de Frederix dont ll est ici question, et ou les «qua!ites aristocratiquesa du conferencier ainsi que son « esprit vigoureux et fin» etaient particulierement mis en relief. DE CHARLES BAUDELAIRE. 237 817. A MADAME AUPICK. Mercredi [Vendredi] 6 mai 1864. Bruxelles, hotel du Grand miroir, rue de la Montagne. Ma chere mere, j’ai ete oblige d’aller deux jours a la campagne chez des dames W. J’ai trouve hier soir ton excellente Iettre qui etait arrivee Ie 3 au soir. Ainsi tu auras celle-ci (qui va partir ce soir) demain soir. Une nuit et un jour. Voici une note qui a paru sur ma premiere confe¬ rence On dit ici que c’est un succes enorme. Mais, entre nous tout va fort mai. Je suis arrive trop tard. II y a ici une grande avarice, une len- teur infime en toutes choses, une masse immense de cervelles vides; pour tout dire, tous ces gens sont plus betes que Ies Fran^ais. Pas de credit; aucun credit; ce qui est peut-etre tres heureux pour moi. Je donne une nouvelle lecture mercredi pro- chain (3). Les fonds de I’hiver du Cercle etaient epuises , m’a-t-on dit, et comme Ie vrai but de mon voyage etait de seduire Ie Iibraire Lacroix pour lui vendre trois volumes, j’ai accepte Ie prix de 30 fr. par lecture (au lieu de 200 ou de 100). Malheu- W Selon M. Maurice Kunel (op. cit., p. 65), il s’agissait ici de Mme Joseph Stevens et de sa fille Amelie qui avaient une villa a Uccle, simple hourg suhurbain a cette epoque-la. W Sans doute celle dont Baudelaire avait remercie Frederix dans le billet precedent. Celle sur Theophile Gautier. 238 CORRESPOND ANCE GENERALE reusement ce Lacroix etait a Paris. Je viens de solli- citer le droit d’en donner trois autres gratuitement pour I’epoque ou il reviendra, mais je ne dis mon but ci personne J’ai fait ecrire aux Cercles d’Anvers, de Bruges, de Liege et de Gand, pour Ies avertir de ma pre¬ sence ici. Les reponses ne sont pas venues encore. Mon proces n’aura pas lieu. Ouf ! c’etait une des choses qui me tourmentaient Ie plus®. Dans Ies provinces, Ies lectures seront a 80 et a 100 fr. Tous mes buts seront remplis, ou du moins je ferai tout ce que je dois faire. Je veux n’avoir rien a me reprocher. Mes buts sont : Tirer de I’argent (Ie plus possible) par Ies lec¬ tures, et traiter pour trois volumes avec la maison Lacroix. Etpuis, avant tout, finir Ies ouvrages commen¬ ces (le Spleen de Pans , les Contemporainsy 1 u vois que je serai tres occupe. Si je donne des lectures dans Ies provinces, cela peut, naturelle- ment, prolonger mon sejour jusqu’a la fin de juin. Vas [sic] done a Paris, et, je t’en supplie en grace , PRENDS BIEN GARDE AUX VOITURES. J’accepte ton offre de 50 fr., car il j a ici une defiance qui ne permet pas de vivre autrement qu’en payant tout comptant. Ne t’inquiete pas trop de 1 affaire Ancelle. Si je vends mes trois volumes, et si je Ies vends bien, je Iui rendrai de I’argent, et je detruirai cet arriere d’un seul coup. (1> Cf. Ies Iettres 826 et 833. (,) Voyez la lettre a Hetzel, numero 819. DE CHARLES BAUDELAIRE. 239 Tu ne me dis pas si tu as re?u cette caisse, dont voici Ie re'cepisse. Je crois qu’un billet de 50 fr. dans une Iettre chargee vaut mieux (comme economic) qu’un mandat de 50 fr. Les frais de mandat sont assez forts. Du reste, Ie mandat de poste fran^ais est payable dans les bureaux de poste beige, et reci- proquement. (II y a maintenant des billets de banque de 50 francs.) Je t aime de tout mon coeur, d’autant plus que je sens combien je te fais souffrir. Je te promets de t’ecrire souvent.* Charles. 818. A ANCELLE. Samedi, 7 mai 1864. Mon cher Ancelle, Je presume que, bien que la maison Taconnet(1> ait garde Ie bon de 50 fr. que je Iui avais donne pourvous, on ne s’est pas presente chez vous. Car j’ai paye, sur I’insistance effroyable que ces gens ont montree. Je vous serais inflniment oblige de m’envoyer par la poste ce billet de 50 fr. que vous vous attendiez a payer. Je suis parti presque sans Ie sol, et ici le credit est chose inconnue. a) Bien probablement le «marchand de Nouveautes en tous genres», place du Havre, 14, et galerie, 37 et 39. (Bottin, 1863.) 2ZJ.O CORRESPONDANCE GENERALE Faites en sorte que votre Iettre parte de Paris par Ie courrier de dimanche soir (aujourd’hui) et que j’aie la Iettre Iundi matin. Je suppose que ma mere n’est pas encore a Paris. II parait que j’ai eu ici un succes inconnu jus- qu’alors. Je n’ai donne qu’une seule conference. La saison etant tres avancee, ma speculation de lectures est presque manquee. Ici tout va tres Ien- tement, et je n’ai pas encore de reponse d’ An vers, de Bruges, de Liege m de Gand. Mais vous savez que le vrai but de mon voyage est de vendre, aussi cher que possible, la collection de mes articles cri¬ tiques a la maison Lacroix. Si je reussis, je ne vous prendrai plus d’argent cette annee. Mais reussirai-je? J’y suis si peu accoutume. Bien a vous. Ne m’oubliez pas. C. B. Hotel du Grand-Miroir. Rue de la Montague. Bruxelles. La premiere etait sur Delacroix. La seconde sera sur Th. Gautier. 819. A HETZEL. [Environ 8 mai 1864.] Mon cher Hetzel, II J a 35 jours que j’aurais du repondre a la Iettre de M. Goudchaux(1), me demandant des M Commis d’Hetzel. DE CHARLES BAUDELAIRE. ^4l eclaircissements sur la singuliere signification de Malassis. J’avais en meme temps a subir un inter- rogatoire de Michel W qui etait furieux pour la meme cause. Je n’ai pas repondu a M. Goudchaux , parce que tout ce que j’aurais pu Iui dire aurait eu pour resultat de vous irriter contre Malassis. Je croyais chaque jour que j’allais partir pour Bruxelles, je voulais voir Malassis, et ne vous ecrire qu’apres I’eclaircissement de la question. Maintenant c’est fait. La signification de Malassis ne signifie rien. D’ailleurs, le titre qu’il a (et qui sera aboli avant mon retour a Paris) implique seulement une dette que je dois amortir progres- sivement, et ne Iui confere aucun droit relati- vement a la publication d’ouvrages de moi. Ce titre a ete signifie a Michel, et je n’en ai jamais (1) Le ie' juillet 1862, nous I’avons dit, Baudelaire, en paie- ment des cinq mille francs qu’il restait devoir a Poulet-Maiassis, lui avait abandonne et cede «Ie droit exclusif [. ..] de repro¬ duction sous toutes les formes de ses travaux litteraires parus et a paraitre [...], quelle que soit leur nature [...]», etant entendu seulement qu’il rentrerait dans tous ses droits au cas ou Poulet- Maiassis se trouverait rembourse dans un delai de quatre annees. Ce qui ne 1’avait malheureusement pas retenu, six mois plus tard (13 janvier 1863), on l’a vu aussi par la lettre 739, de ceder a Hetzel, pour cinq annees, tant les Petits Poemes en prose que les Fleurs du Mai, ni meme de toucher de lui, a cette occa¬ sion, un «a valoir» de 1.200 francs. Or Poulet-Maiassis ayant appris I’existence de ce contrat, ne I’avait naturellement pas trouve de son gout, et, le 29 mars 1864., sous 1’elfet d’un res- sentiment qui ne saurait etonner, d avait, par ministere d’huis- sier, signifie tant a Hetzel qu’a Levy, 1’acte de 1862 , leur faisant, a peine de depens, dommages et interets, «la defense la plus expresse de reproduire ou editer sous aucune forme les travaux de Iitteratureo de Baudelaire. Voila ce qui resuite en toute net- tete des pieces qui ont passe sous nos yeux, grace a 1’obligeance tant de M“e Bonnier de la Chapelle que de M. Maurice Ancelle. Le Iecteur les trouvera d’ailleurs reproduites dans notre Appen- dice. Voyez aussi notre numero 921. IV. 16 242 CORRESPONDANCE GENERALE eu Ie double. Malassis a deja re$u des a-comptes ; et comme j’ignorais qu’il eut obtenu de ses cre- anciers le droit de garder pour Iui cette creance, je tremblais pour luHl\ et pour mes a-comptes, un proces devant inevitablement faire restituer la creance au Syndic, et m’attirer des reproches pour Iui avoir remis I’argent a lui. Est-ce bien clair? Malassis a d’abord emphatiquement refuse de me voir(2). J’etais deja passablement irrite pour avoir vu mon nom prostitue dans des Iivres pour Iesquels je n’ai aucun gout(3). Tout d’un coup nous nous sommes rencontres : je Iui ai demande s’il pouvait m’expliquer ses pretentions; il m’a dit que tout ce papier timbre n’avait pas eu d’autre but que de me tourmenter, et par un revirement subit, il m’a offert de detruire immediatement facte constatant Ies prets qu’il m’avait faits. J’ai refuse, n’aimant pas Ies extremes; mais j’exigerai (1) II avait en realite tremble pour Iui-meme, voyez Ies Iettres 817 (page 238) et 849 (page 289). W Malassis avait encore une autre raison d’en vouloir a Bau¬ delaire, une Iettre de Iui a Ch. Asselineau, en date du 26 octobre 1863, cBl’a publiee Jules Marsan («L’editeur des Fleurs du Mai en Belgique)), L’ Archer, septembre-octobre 1936) en temoigne : «NulIe nouvelle [...] de M. Baudelaire qui m’a fait une nouvelle farce. II m’a fait Iui faire escompter un billet de 600 francs que j’ai du rembourser. Ce (trait de noirceur dans les extremites ou je me trouve m’a fort degrise a son endroit, comme vous pou- vez penser.)) Mais I’amitie qu’il conservait a notre auteur en depit de ces traverses , etait trop forte pour ne pas triompher de sa rancune. «J’ai revu Baudelaire, ecrira-t-il au meme le 9 juin 1864, comme vous avez bien pu penser, non sans plaisir. II a suffi que nous nous rencontrions pour que tout fut oublie!)) (3> Allusion au Parnasse satyrique du xi xe SIECLE, recueil de vers piqaants et g aillards de MM. de Beranger, V. Hugo, E. Des- champs, A. Barbier, A. de Musset, Barthelemy, Protat, G. Na- daud, de Banville, Baudelaire, Monselet, etc., etc., Rome [Bruxelles], a I’enseigne des Sept peches capitaux, 2 vol. in-18, s. d. [1864]. DE CHARLES BAUDELAIRE. 243 des refus quand je Iui donnerai de I’argent, et je ne quitterai pas Bruxelles sans avoir fait remanier cet acte, de telle fa$on que je sois desormais a I abri de ses crises de mauvaise humeur. Vous saurez que j’ai un grand faible pour Malas- sis(1); done vous ne m’en voudrez pas pour mon trop long silence; vous avez sans doute 1’esprit qui permet de comprendre toutes Ies faiblesses. Je ne retournerai pas non plus a Paris sans avoir fait Ie dernier fragment du Spleen de Paris. J’avais besoin de changer de place ; j’etais devenu malade et enrage; de quoi? je n’en sais rien. Vous vojagez sans doute pour vous amuser, car on vous a rencontre avec Mme Hetzel et votre fils. Vous prenez des vacances, et je viens vous ennujer avec des affaires. Si vous etes ici mercredi, est-ce que vous ne me ferez pas le plaisir d’assister a ma deuxieme confe¬ rence ( Tbeophile Gautier )? Avez-vous vos entrees, ou dois-je vous envoyer une carte? Bien a vous. Charles Baudelaire. Rue de la Montagne, Hotel du Grand Miroir. W Que Baudelaire fut sincere dans cette assertion-la, aucun doute. On aimerait seulement avoir la certitude qu’il 1’etait au meme degre dans son systeme de defense. — Pour Ie rebondisse- ment de cette affaire, voyez nos numeros 9 17-921. 16. 244 CORRESPONDANCE GENERALE 820. A MICHEL LEVY. [Environ 10 mai 1864,.] [Entierement relative a la correction des epreuves du Mystere de Marie Roget..., aux difficultes et contre¬ temps de I’envoi et du retour des epreuves a distance.] 821. A ANCELLE. [Environ 10 mai 1864,.] Mon cher Ancelle, je tacherai de trouver Ie temps de vous ecrire cette semaine. Mais je vous supplie d’envoyer 50 fr. a Jeanne, sous enveloppe. (Jeanne Prosper, 17, rue Soffroi, BatignoIIes ®). Je Iaisse dormir Ie prix de mes lectures, et je Ie reserve pour mon maitre d’hotel, a Paris®. J’ai beaucoup de choses a vous dire. Impossible aujourd’hui. II a paru un autre article dans I’lnde- pendance, mais je ne I’ai pas sous la main®. Je crois que cette malheureuse Jeanne devient aveugle®. Je vous ecrirai plus convenablement dans deux ou trois jours. Je suis affreusement occupe. Je vous envoie ce re$u fait d’avance, pour evi- ter tout contact entre elle et vous. Charles. M Lire : Sauffroy (xvile). (i) C’est-a-dire pour Jousset, qui tenait I’Hotel de Dieppe, 22, rue d’ Amsterdam. (3) Nous ne i’avons pas retrouve. Mais on possede une relation de cette conterence-Ia, par Camille Lemonnier, qui montre Jaien qu’elle ne fut pas un succes. Voyez E.-J. Crepet, pages 250-253. (4) II ne semble pas qu’elle le soit jamais devenue DE CHARLES BAUDELAIRE. 245 822. A EUGENE VERBCECKHOVEN HOTEL DU GRAND MIROIR Bruxelles [ 1 1 mai 1864.] Monsieur, Je vous serai tres oblige de vouloir bien assister aujourd’hui, 11, a ma conference sur Theophile Gautier, au Cercle artistique. Veuillez agreer, Monsieur, 1’assurance de mes sentiments bien distingues. Charles Baudelaire. 823. A MADAME LEOPOLD COLLART Madame, [11 mai 1864.] Je vous serai tres oblige de vouloir bien assister, aujourd’hui, mercredi, 11, a ma conference sur Theophile Gautier au Cercle artistique. Veuillez agreer, Madame, 1’assurance de mes sentiments bien distingues. Charles Baudelaire. W Le peintre beige , pere de I’editeur associe a Lacroix. — Une autre invitation, confue dans les memes termes, et dont Ie destinataire reste inconnu, figure dans la collection de Mm‘ Ro¬ nald Davis. W La mere de Marie CoIIart, chez qui Baudelaire etait re?u A Uccle. On sait que cette derniere, eleve de Verwee et de Stevens, avait, par ses debuts pleins de promesses, eveille chez Iui un vif interet; voyez Pauvre Belgique ( JUVENILIA , CEUVRES posthumes , Reliquiae , tome II). 2 46 CORRESPONDANCE GENERALE 824. A MICHEL LEVY. [18 mai 1 86^. Mon cher Michel, Voici votre premiere feuille bien corrigee ; c etait hornblement compose, comme vous pour- rez le verifier. Maintenant qu’il me soit permis de dire que vous etes dur, et meme plus que dur. Je vous ecris (2) pour vous prier de renvoyer, pour plus de surete, 1’impression de ce Iivre au moment ou je rentrerai en France (6 semaines F3)). Je vous demande en meme temps Ie ier voI[ume] des His- toires Extraordinaires pour Ie cas des conferences sur Poe(j), et au bout de quelques jours voila votre unique reponse : des epreuves. — Et comment faire maintenant pour aller a Anvers, Gand et Bruges? Faut-il me priver de 1’ argent que j’y puis trou- ver pour vous obeir? Me voila cloue a Bruxelles par les epreuves. Une fois encore je vous prie de ren¬ voyer cela a la fin de juin. La feuille composee peut bien rester en forme jusque-Ia. Voici un nouvel article-reclame dont vous ferez ce que vous voudrez®. (1) Date fournie par la lettre au m^me en date du ier juin. (3) Nous n’avons de cette Iettre-Ia que Panalyse donnee ci- dessus sous la date approximative du io mai. <3) Malgre les intentions qu’il marque ici, Baudelaire, on le sait, allait rester en Belgique plus de deux annees W Le cas ne se presenta pas. (o) On n a pas cet article-la, deja mentionne dans Eureka page 247. DE CHARLES BAUDELAIRE. 247 Tout a vous; mais je vous en prie, repondez- Ch. Baudelaire. Hotel du Grand Miroir, rue de la Montagne. 825. A CAMILLE PICQUE®. [Environ 20 mai 1864.] Monsieur, Je vous serai tres oblige de vouloir bien assister a ma derniere conference® sur Ies Excitants , au Cercle artistique , Iundi 23 mai. Charles Baudelaire. Vous pouvez amener avec vous vos amis et vos parents®. ^ R 826. A ANCELLE. 27 mai 1864. Mon cher ami, Je n’ai pas encore attaque la grande affaire {4); mais je doute de tout. Jugez vous-meme si je n’en 0) Homme de lettres beige qui etait membre du Cercle artis¬ tique. W C’est-a-dire la troisieme sur Ies Excitants, voyez la note 1 a la page suivante. (’) Ce P. S. temoigne que Baudelaire n’avait guere confiance dans I’afHuence des auditeurs. (4) C’est-a-dire Ies negociations avec Lacroix -Verboeckhoven pour la vente de ses oeuvres. CORRESPONDANCE GENERALE 248 ai pas le droit. Apres 5 conferences (grand suc- ces)W, j’ai desire regler. Au lieu de^oo fr. , on m’a apporte 100 fr., avec une Iettre d’excuses, alle- guant que, Ies fonds etant epuises, on avait compte deux seances seulement a 5 o fr., — et que, pour Ies 3 dernieres, comme elles avaient ete donnees apres I’epoque ou s’arrete la saison des cours pu¬ blics, on Ies avait considerees comme un acte de generosite de ma part. Quel peuple ! quel monde ! Je n’avais pas de traite ecrit. J’avais traite verbalement pour 100 fr. par conference. J’ai eu envie de faire don des 100 fr. aux pauvres. Quel horrible monde ^ ! (1) H y en avait eu cinq en effet, quoi qu’on en ait dit : la premiere sur Delacroix, d’abord fixee au 30 avril, puis remise au 2 mai ; la seconde sur Tb. Gautier, le 1 1 mai ; et trois sur les Excitants t entre Ies 12 et 23 mai. Aucun doute a ce sujet ne peut subsister, bien cjue I annonce de la premiere de ces trois-la n ait pas ete retrouvee, car on lit dans I ’ Inde'pendance beige du 20 mai : «Samedi, 21 mai, a 8 h. 1/2 du soir, aura lieu la aeuxieme conference de M. Ch. Baudelaire sur Ies Excitants (opium et haschisch))), — et deuxieme ne saurait s’entendre que par rapport aux Excitants, puisqu’autrement c’est troisieme qu’il aurait tallu dire, comme l’a fait par erreur M. Maurice Kunel dans son Bau¬ delaire en Belgique, p. 35. Et on lit encore dans la meme Indepen- dance du 22 : «Lundi 23 mai, a 8 h. i|2 du soir, aura lieu la troisieme conference...)) etc. Baudelaire etait done absolument veridique en ecrivant qu’il avait fait cinq conferences au Cercle artistique (voyez aussi bien Ia-dessus M. Gustave Cbarlier dans Passages En revanebe il s’illusionnait singulierement s’il pensait avoir remporte un grand succes aupres du public bruxellois. En realite seule sa conference sur Delacroix avait reussi, Ies autres avaient fait four : le temoi- gnage de Cb. Tardieu qui avait assiste a I’une des lectures sur fes Excitants , Concorde avec celui de Camille Lemonnier rendant compte de I’audition du Gautier. L’inanite de ce grief que Baudelaire fera valoir contre la nation beige tout entiere, est certaine, puisque le Cercle avait execute les conditions convenues, et il suffit de rapproeber la presente Iettre de cede du 6 mai, comme I’a fait M. Gustave Cbarlier, pour s’en convaincre. En somme, Baudelaire se plaint DE CHARLES BAUDELAIRE. Z^ Je devais envoyer ces 500 fr. au maftre de mon hotel, rue d’Amsterdam, M. Jousset, qui vous remettra cette Iettre. Dans Ie courant de juin, je Iui ferai remettre 100 ou 150 fr. par chacune des personnes a qui j’ai Ie droit de demander de I’ar- gent a Paris. Ayez fobligeance d’y cooperer pour votre part pour Ies 100 restants, imputables sur juin, dont je joins ici le re^u. Je n’ose pas ecrire toute cette mesaventure a ma mere, de peur de la desoIer(1f II est arrive pire encore. Jene saisqui (quelqu’un de la bande d’Hugo) a fait courir ici un bruit infame sur moi(2), et vous ne sauriez imaginer la credulite des Bruxellois. Dans quelques jours, je traiterai, si je peux, ma grosse affaire, mai je suis exaspere et decourage. Tout a vous, ecrivez-moi, vous me ferez plaisir. Je retournerai sans doute a Paris Ie 15, et j’y passerai 8 jours (3). ^ R 827. A EDOUARD MANET. 27 mai i86q. Mon cher Manet, Je vous remercie de votre affectueuse Iettre. Presentez mes amities a votre mere et a votre femme, et, si vous avez a m’apprendre des choses ici d’avoir ete pris au mot comme il le fera 1’annee suivante , quand il sera question d’une nouvelle traduction de Melmoth (voyez le numero 88q). (0 II Ie fera pourtant Ie 1 1 juin. (*) Baudelaire y reviendra dans les Iettres 827, 832, 833. (3) Ce projet ne devait pas avoir de suites. 250 CORRESPOND ANCE GENERALE agreables sur la destinee de vos tableaux, ecrivez- moRff Je reponds a vos felicitations. Les Beiges sont betes, menteurs et voleurs. J’ai ete victime de la plus effrontee supercherie. Ici la tromperie est une regie et ne deshonore pas. Je n’ai pas encore aborde la grande affaire pour Iaquelle je suis venu ; mais tout ce qui m’arrive est de bien mauvais augure ; — sans compter que je passe ici pour un affilie de la police fran^aise. — Ne crojez jamais ce qu’on vous dira sur la bonhomie beige. Ruse, defiance, fausse affabihte, grossierete, four- berie, oui. Tout a vous. C. B. 828. A NOEL PARFAIT®. 31 mai 64. Mon cher Parfait, Je m’adresse a vous (avec prieres) puisque Michel ne veut pas me repondre®. A-t-on re?u de moi la iir‘feuille corrigee d’Histoires grotesques et se'rieuses ? (1) Voyez la note 3 sous la Iettre a Fantin-Latour, du 22 mars precedent. — On ne possede pas la reponse de Manet. (2) (1814-1896) Iiomme de Iettres et homme politique, condamne en 1833 pour avoir chante les Journees de Juin, depute en 1849, expulse Iors du coup d’Etat, rentre en France apres I’amnistie de 18^9. Baudelaire avait du Ie connaitre soit dans l’entourage de Theophile Gautier que Parfait passe pour avoir aide parfois pour son feuilleton dramatique, soit chez Levy oil, en attendant de poursuivre sa carriere politique, Par¬ fait remplissait les modestes fonctions de lecteur. {3> On a vu que Baudelaire avait deja par deux fois ecrit a Levy(numeros 820 et 824). DE CHARLES BAUDELAIRE. 251 Pourquoi n ai-je pas refu la 2™ epreuve corrigee de cette premiere feuilie ? (Peut-etre a-t-on juge qu’une seconde lecture par moi n’etait pas necessaire?) Or, il m est impossible de bien corriger Ie milieu ou la fin d’un ouvrage aussi complique que Mane Roget sans avoir Ie commencement sous les yeux. Vous avez sans doute Iu quelquefois de I’Edgar Poe, et vous savez quels sont les procedes de 1’auteur. Je n’ai ici que Ie texte anglais. Marie Roget est une instruction criminelle. Or il y a des paragraphes des depositions des temoins , et des cita¬ tions de joumaux (plusieurs fois repetes), relatifs a une ombrelle, a une echarpe , a un mouchoir, a une robe, a unjupon, etc.. . il faut que ces paragraphes soient repetes strictement dans les memes termes, a la fin. Or, je n’ai ici que Ie texte anglais. De plus, j’ai traduit Marie Roget a Paris sur une edition alle- mande composee en caracteres tres Jins, et je viens de m’apercevoir que dans la iir‘ partie j’ai Iu, en plusieurs endroits Shirt au lieu de Skirt ( Jupon au lieu de Chemise ), ce qui demolit toute la valeur de I’lnstruction judiciaire W. Vous comprenez bien, n’est-ce pas, que j’aurai besoin d’avoir TOUT Marie Roget sous les yeux, a la fois. Si la iere feuilie de Marie Roget a ete tiree sans qu’on ait juge a propos de me Iaisser la relire, j’aurai a faire un erratum a propos de ce SKIRT. M Le mot de jupon se rencontre souvent dans Le Mystere de Marie Roget ( HlSTOIRES GROTESQUES ET SERIEUSES, pages 18, 19, 39, 49, 34, 39, 60) et Ie mot chemise une seule fois, Page 39- 2J2 CORRESPONDANCE GENERALE Tout cela ne m’empechera pas de vous mettre ce soir ou demain matin a la poste la 2e feuille de Marie Roget; mais quand tout Marie Roget sera corrige, renvoyez-moi TOUT Marie Roget , d’un seul coup. J’arrive de Namur, ou je croyais avoir le droit d’alier me promener. Je suis parti Ie 23. Le 24, la 2e feuille est venue. Je vous supplie de me repondre un mot, que je recevrai apres demain 2 juin. Si vous ne me repon- dez pas, je croirai que vous etes absent, ainsi que Michel, et j’enverrai a Caiman [sic] une depeche telegraphique (avec reponse payee) et a la demiere extremite, j’irai a Paris, expres pour relire I’ensemble de Marie Roget. Je depenserai deux voyages pour faire, avant le tirage , une lecture de quelques heures. J’ai vu deux fois ou trois M. Fredericx [szc]W, a qui vous aviez parle de moi. Je vous en remercie bien cordialement. Ch. Baudelaire. Hotel du Grand Miroir Rue de la Montagne. Bruxelles. a) La Constance avec Iaquelle Baudelaire, si chatouilleux sur I’orthographe de son nom, estropiait ceux d’autrui, est vraiment surprenante. II ecrit Ancel pour Ancelle, Pigale pour Pigalle, Des- cbanels pour Descbanel , Fredericx pour Fre'de'rix, etc. Parfois meme , sous sa plume, a quelques jours, voire a quelques Iignes d’inter- valle, Ie meme nom prend une forme nouvelle : Joubannaud (lettre 613) devient Jonbanneau (lettre, 61 5), ou Bodoz s’altere en Baudoz (801). — Apres le coup d’Etat du 2 decembre, Noel Parfait s’etait refugie a Bruxelles, et sans doute y avait-il eu des relations avec Ie critique de Y Inde'pendance beige. DE CHARLES BAUDELAIRE. 2H 829. A MICHEL LEVY. i*r juin 1864, Bruxelles. Mon cher Michel, je fais une derniere tentative aupres de vous. Ii parait que je suis bien peu de chose, bien moins encore que je ne I’imaginais , pour que je ne puisse pas obtenir que vous consacriez une demi-minute de votre temps a m’ecrire trois Iignes. Vous m’avez fait signer un papier vous donnant Ie droit de faire corriger mes epreuves par n’im- porte qui. Cela est fait pour me causer une angoisse perpetuelle, ma miserable nature etant donnee (1). — Vous m’avez envoye Ie 17 une feuille que je vous ai renvoyee Ie 18, en vous demandant une 2m0 epreuve, et en vous suppliant d’attendre mon retour en France pour fimpression du Iivre. Pendant que j’etais alle voir M. Rops(2) a Namur, une epreuve (2me feuille) est venue ( pas de 2me epreuve de la ire). Je ne sais meme pas si vous avez re$u mon epreuve corrigee. Maintenant voici Ie cas : — Un travail comme Marie Roget , etant une instruction judiciaire, — comme iassassinat de la rue Morgue, — demande une exactitude minutieuse dans les plus petits details , et, en cas de citations tire'es du commencement , une similitude absolue dans la repetition de ces citations a la fin. (1) On a deja vu Baudelaire, dans sa lettre a Lecrivain en date du 28 decembre 1863, deplorer ce cruel engagement. Voyez page 334, note 1. 2j4 correspond ance generale II ne faut pas etre absolument litterateur pour comprendre I’importance de tout ce que je vous dis, et je sais que vous avez Iu assez d ’Edgar Poe pour me comprendre. Deplus, j’ai, grace a mon presbytisme, m’appli- quant sur des caracteres trop fins, com mis un joli contre-sens qui court maintenant d’un bout a I’autre de Vouvrage W. Si la ire feuille est tiree , rien que pour quelques mots a repeter en deux ou trois endroits , je demande qu on recommence tout. Je n’ai pas d’argent aujour- d’hui. Je reviendrai a Paris avec de I’argent, et quand meme je n’en aurais pas, je sais que j’en trouverai a Paris, a mon arrivee, suffisamment pour payer la composition , Ie papier et Ie tirage de cette premiere feuille. Vous ne pouvez pas me refu¬ ser cela. Vous savez, mon cher, que je ne tire vanite que d une seule vertu, c’est de I’amour du metier. Ne me deshonorez pas(2), et ne me suppri- mez pas mes secondes epreuves. J ai ecrit hier un mot a M. Noel Parfait a ce sujet; si je ne re$ois pas un mot de vous relative- ment a ces deux points : — r feuille de Marie Roget. Est-elle tiree, et puis-je la relire ? - — Puis-je relire tout Marie Roget a la fois, Ie meme jour et d’un seul coup? — je ne sais ce que je ferai. Desormais, je n’irai a Namur, a Anvers, ou a Bruges, meme pour mes interets, qu’apres vous avoir averti. Voyez la Iettre precedente. ® Cf; la Iettre 482 (tome II). DE CHARLES BAUDELAIRE. 255 — Pour Ies reclames de Y Entr’acte W, je vous remercie. Si vous voyez, dans quelques jours, dans Ie Figaro, Ie commencement d’une serie : Lettres beiges, signees Charles de Feyis12', faites-y attention. (On ne sait jamais ce qu’on devient chez M. de Villemessant.) — Tout a vous, mais 7'epondez-moi , je vous en prie. C. B. 830. A NOEL PARFAIT. [2 juin 1864?] Mille remerciements ! vous me tirez d’angoisse. Toutes Ies fois que je croirai pouvoir me dispenser de lire une 2e epreuve, j’ecrirai sur I’epreuve: M. Parfait relira et donnera le bon a tirer. J’ai re$u d’Honfleur ma grosse edition (3). J’ai un bon texte sous Ies jeux. Quand Mane Roget sera tiree, n’oubliez pas de transmettre Ies bonnes feuilles a Pauchet, secre¬ taire de Y Opinion nationale, qui m’a paye Ie manu- B) Nous ne les avons pas retrouvees dans la collection de ce journal. W Variante d’une des signatures dont Baudelaire, empruntant le nom de sa mere nee Caroline Archimbaut-Dw/ays, avait use en sa jeunesse : les vers A une Indienne (plus tard : A une Mala- baraise ) avaient paru en 1846 suivis du nom de Pierre de Fa.yis. — Apres avoir longtemps balance, Baudelaire renoncera a fiublier ses Lettres beiges pendant son sejour a Bruxelles, dans a crainte de s’y voir traiter comme I’avait ete Proudhon (page 280, note 1). (’) L’edition procuree par Griswold. 256 CORRESPOND ANCE GENERALE scrit et a qui je I’ai repris(1). — Priere a Iui de pu- blier au plus vite. Ce sera une excellente annonce pour Ie Iivre. Hier soir, pour me soulager du tintoinjyic] (2) Marie Roget, je me suis Iivre a I’ale et au porto, etdans cet etat, j’ai ecrit a Michel une Iettre un peu vive. S’il est offense, demandez-Iui pardon pour moi. — Encore un merci ! Ch. Baudelaire. 83I. AU MEME. [Env. 10 juin?] Je n’ai pas encore regu cette premiere feuille, oil il y a deux contre-sens, I’un relatifa un jupon , I’autre a une maniere de noeud {3). Bien que je vous aie dit que je serais bien aise d’avoir tout Marie Roget a la fois sous Ies yeux, j’obeirai a votre Iettre, et je vous renverrai la premiere feuille apres avoir transcrit a part toutes Ies phrases qui devront etre citees dans d’autres parties de I’ouvrage. Bien a vous. Ch. Baudelaire. W Voyez a ce sujet Histoires grotesques et serieuses, page 249. Cette demande de transmission a 1’ Opinion nationale reviendra plusieurs fois dans la suite de cette correspondance. 0) Le texte autographe donne tintouin remplace par tintoin. (3) Pour Ie contresens relatif a Jupon, voyez la Iettre 828; quant a celui qui avait rapport «a une maniere de noeud », nous ne pouvons dire en quoi il consistait, Ie manuscrit de Marie Roget ne nous etant pas parvenu. Nous nous contenterons done de constater que Ie mot noeud se rencontre par deux fois a la page 11 de notre edition des HlSTOIRES GROTESQUES ET SERIEUSES. DE CHARLES BAUDELAIRE. 2 57 832. A ANCELLE. [Juin 1 864..] Mon cher Ancelle, Je n’ai pas Ie temps de repondre a toute votre longue Iettre, excellente Iettre d’ailleurs, mais im- puissante a calmer mes nombreuses coleres. Relativement au maitre d’hotel, il m’est impos¬ sible de comprendre pourquoi Ie 5 il n’avait pas re^u Ies 100 fr. que je lui ai permis de vous deman- der a la fin du moist1). Vous me dites que vous allez lui donner satisfaction. Cela peut vouloir dire bien des choses : lui donner les 100 fr., lui donner des paroles, et enfin permettez-moi cette farce, repondre a une provocation en duel venant de lui. Je viens de recevoir une Iettre de lui, que je n’ai pas decachetee, car il y a des jours ou je suis inca¬ pable de decacheter une Iettre qui ne peut conte- nir que des choses desagreables, une maladie ner- veuse qui va toujours empirant m’enlevant toute espece de force. Mais Ie fait de cette Iettre prouve qu’il y a encore quelque anicroche. Mon Dieu! que c’est done difficile de s’entendre par Iettres! Je passe ici ma vie a ecrire des Iettres auxquelles personne ne repond. Vous me dites que si vous lui donnez satisfaction , vous ne pourrez lui donner d’argent (a lui, ou a moi) qu’au mois d’aout. Que m’importe? Je prends mes precautions pour vivre par une serie de Lettres beiges W adressees au Figaro. Le bruit repandu contre moi par la bande de t1'*) Voyez respectivement Ies lettres 826 et 829. 17 IV. 258 CORRESPONDANCE GENERALE V[ictor] H[ugo] estune infamie dont je me venge- rai. Il parait que j’appartiens a la police fran$aise. Et il y a des gens ici pour le croire(1)! Lisez la brochure de Montalembert, Le Pape et la Pologne; c’est fait pour vous, et c’est beau(2). Je reponds au maitre d’hotel, sans lire sa lettre , d’envoyer de nouveau chez vous. Autant que j’ai pu comprendre votre intention, il m’a semble que je pouvais Iui ecrire cela. Tout a vous. q g Ce n’est que du 15 au 20 que je saurai a quoi m’en tenir sur la maison Lacroix. 833. A MADAME AUPICK. Samedi n juin 1864,. Ma chere mere, tu n’es pas du tout delaissee, mais tu es femme, tu es nerveuse. Et moi j’ai hor- reur de t’ecrire quand je n’ai que des choses deplo- rables a te dire. De plus, je suis horriblement occupe; je suis bourre d’inquietudes relativement a favenir, relativement a Paris, relativement a un livre qui s’imprime en mon absence , et dont je ne regois les epreuves cjuirregulierement ; enfin, sans compter toutes mes tribulations, j’ai, depuis les six semaines ecoulees, ete constamment malade, pbysiquement comme moralement. (1) Voyez la note 1, page 262. (2> Cette brochure venait de paraitre chez Dentu. DE CHARLES BAUDELAIRE. 259 Pour repondre tout de suite a I’objet de ta Iettre , je dis oui , parce que je devine que cela te faitplaisir. Mais c’est completement bete. Que personne ne touche aux cartons, c’est tout ce que je veux. Je ne sais meme plus ou sont places tous Ies papiers, papiers litteraires, papiers d’affaires, etc., et je ne sais pas ce que j’ai fait de mes clefs. Je reviendrai un peu plus tard a Honfleur, voila tout. Ce n’est pas pour eviter ma belle-soeur, mais franchement j’ai bien droit a un peu de repos, et je serais trop mal. Dis-moi a quelle epoque ma belle-soeur arrive, et combien de temps elle restera(1). Enfin, je crois que mes affaires prennent une tournure a me faire rester un peu plus longtemps que je ne croyais. Je desirais m’en alter le 20 ; mais comme me voila oblige de gagner ma vie, et que je ne peux pas traverser Paris sans distribuer de I’argent, j’ai imagine de faire un livre avec mon voyage, divise en une serie de Iettres qui parai- tront sans doute au Figaro (2). Puis je revendrai le livre. Voila du courage; mais il faut courir a An¬ vers, a Gand, a Liege, a Namur, a Audenarde, a Bruges; il faut voir et questionner; et si tu savais a quelles brutes j’ai affaire! (Peux-tu, une fois encore, sans mettre ton pauvre budget sens dessus dessous, m’envoyer une petite somme, 200 ou 100 ou meme 50?) Une fois que nous serons reunis, je veux faire tout, tout le possible pour ameliorer ma destinee, 0) On devine que Mme Aupick avait demande a son fils de disposer de sa chambre a la Maison-Joujou , en faveur d’Anne- Felicite Ducessois, veuve de Claude-Alphonse Baudelaire. — On trouvera, a YAppendice, une liste d’objets divers f tableaux, gra¬ vures, livres, etc.) ou figurent les clefs perdues W Voyez la note 2, page 255. J7 • 2<5o correspondance generale et pour me sauver; car je ne veux plus de conseil judi- ciaire; je veux passer ma vie a travailler, et a te distraire, et je ne veux pas mourir dans la misere. Maintenant voici Ie recit de ma triste epopee (triste jusqu’a present) et tu pourras juger s’il j a de ma faute. Je suis venu pour un libraire , pour Iui offrir 3 voI.(1) pour 3 ans, et pour Iui en demander 20.000 fr. ou Ie plus gros prix possible par edi¬ tion, supposant une serie d’editions. Les cinq conferences n’ont ete donnees que pour Iui. II a regu cinq invitations, il n’est pas venu. Les conferences (la derniere a eu lieu Ie 23) quoique horriblement longues, Ie double de ce qui [se] fait generalement, deux heures au lieu d’une, ont eu un si grand succes, qu’on ne se sou- vient pas d’en avoir vu de pareil (2). — Au commen¬ cement, j’avais fait Ie magnanime ; quand on m’avait parle des conditions : aArrangez cela comme vous voudrez; je ne sais pas discuter de pareilles questions. » Voila ce que j’ai dit. On me repondit vaguement (1) Reflexions sur mes contemporains , 2 vol., et les Paradis arti- flciels. (i) Lors de sa premiere conference, Baudelaire avait ajoute a son etude sur L’auvre et la vie d' Eugene Delacroix Ie court exorde que nous avons reproduit dans L’Art ROM ANTIQUE , pages 440-442; au cours de la deuxieme, il s’etait contente de lire sa monographic : TheOPHILE Gautier, telle que recueillie pareil- Iement dans L’Art ROM ANT I QUE ; quant aux Paradis artiflciels, objet de ses trois dernieres, il les avait seulement grossis d’un exorde et d’une conclusion formant au total une soixantaine de lignes (dans notre collection, pages 319-320). II est des lors aise de presumer d’apres 1’etendue du texte cjui venait en cause la duree de chaque lecture. Quant au succes que notre poete se flattait d avoir remporte, nous avons deja dit notre sentiment (page 248, note 1). DE CHARLES BAUDELAIRE. 261 que ce serait ioo fr. On me dit qu’on ecrirait aux cercles de Liege, de Gand, d’Anvers et de Bruges. Or, on a tant tarde que la bonne saison est passee. Le 24, un huissier du cercle est venu chez moi avec 100 fr. (au lieu de 500), plus une Iettre , qui , prenant trop bien au mot mon apparent mepris de I’argent, me disait qu’a la fin de la saison Ies ressources de la caisse etaient epuisees, mais qu’on garderait bon souvenir de moi, et qu’on m’indemniserait I’annee prochaine. Ainsi voila des gens du monde, des avocats, des artistes, des ma- gistrats, des gens en apparence bien eleves, qui commettent un vol positifW sur un etranger qui s’est livre a eux. Que faire! pas de traite ecrit! Ici I’improbite ne deshonore personne, c’est de I’habilete. Envoyer 1’argent aux pauvres, c’eut ete insulter le cercle, et me mettre tout le monde a dos®. Enfin, j’avais un affreux besoin d’argent; done, le 24 j’ai paye mon hotel, et il m’a manque 3 sols. Tu crois peut-etre que mes malheurs finissent la. Pas du tout. Tout d’un coup, le bruit s’est repandu que j’ap- partenais a la police fran$aise l l III! Ce bruit infame <15) II est impossible de ne pas rapporter a son etat maladif le manque complet de mesure dont notre auteur temoigne ici. Encore une fois les conditions dont il se plaint sont celles qu’d avait Iui-meme proposees au Cercle, comme le prouve sa propre Iettre du 6 mai. En quoi des lors le Cercle avait-il merite les injures qu’il lui prodigue ? On serait d’ailleurs en droit de s’etonner que Baudelaire ait continue de s’y montrer assidu comme il le fut , s’il etait convaincu de la legitimite de son res- sentiment. Voyez a ce sujet Passages, l’ouvrage deja cite de M. Gustave Charlier qui a su traiter de cette question delicate dans un esprit de parfaite objectivite. 262 CORRESPONDANCE GENERALE vient de Paris, il a ete lance par quelqu’un de la bande de V. Hugo, connaissant tres bien la betise et la credulite beiges. C’est une vengeance a pro- pos d’une Iettre que j’ai publiee a Paris, et ou je me moquais du fameux banquet shakespearien. — - Peut-etre que tu ne comprends pas. — Or, le Iibraire en question est le libraire de V. Hugo, et je serais porte a croire que, s’il n’est pas venu aux conferences, c’est qu’il a ete prevenu contre moi(1). Cependant, il faut en finir, et je veux jouer mon va-tout Iundi, dans une lecture organisee par moi- (*) II faut se rappeler ici : i° que Baudelaire, le 17 decembre 1863, avait demande a Hugo, comrae (;un gros, un enormc ser¬ vice)), de le recommander a Lacroix; 20 que neanmoins, quatre mois apres, le 24. avril 1864, dans une Iettre ouverte au Figaro (voyez Anniversaire de Shakespeare , JUVEN ILIA , CEuvres POST- HUMES, Reliquiae, tome I), il avait, en justicier impla¬ cable, denonce 1’art avec lequel un comite habilement constitue s’appretait a utiliser le tricentenaire du grand Anglais pour ((pre¬ parer et chauffer le succes du livre de V Hugo sur Shakespeare , livre qui, comme tous ses livres, plein de beautes et de betises , [allaitj peut-etre encore desoler ses plus siriceres admirateurso. Qu’une telle audace, malgre le courage dont elle temoignait, cut scandalise tout le clan Hugo; cjue parmi les seides du ((grand Alligator)) il s’en fut bientot trouve un pour identifier I’auteur de la Iettre ouverte dont le Figaro avait supprime la signature, et pour reveler son nom a 1’interesse; que Victor Hugo enfin, rap- prochant 1’irreverencieux Anniversaire des hommages qui lui avaient ete prodigues dans la requete de decembre 1863, ne goutat point le regime de douche ecossaise auquel Baudelaire pretendait le soumettre, tout cela on peut le presumer sans grand risque. Mais y a-t-il vraisemblance qu’Hugo ou sa bande se soient abaisses a faire courir le « bruit infame » que leur impute Baudelaire? Ne convient-il pas de remarquer plutot que quelques mois plus tard , s’epanchant aupres de Mme Meurice, notre auteur, aigri par ses tribulations, se vantera spontanement de s’etre fait passer pour un agent de la police fran?aise, et se plaindra qu’on fait cru? Il faut oser le constater, quelque tristesse qu’on y ait : Baudelaire, a dater de son arrivee en Belgique, perd le controle de ses nerfs et glisse a une exasperation morbide qui toujours ira s’aggravant. DE CHARLES BAUDELAIRE. 263 meme, chez un agent de change qui me prete son salon W. Je viens d’ecrire une sixieme invitation au Iibraire Lacroix. Je viens aussi d’adresser une invitation au ministre de la maison du roi, chez qui, d’ail- Ieurs, j’ai ete convenablement re?u®. Je veux du beau monde. Je veux une reparation visible de cette stupide diffamation. II me coutait de t’ecrire tout cela. Je t’aime et je t’embrasse. Ta derniere Iettre n’etait pas convenablement affranchie. Ne me fais pas faire de dettes chez la concierge. Tu auras cette Iettre demain, dimanche soir; si tu me reponds Iundi, avant cinq heures, j’aurai ta Iettre mardi soir. Charles. Et Ie Fracasse (3) t’amuse-t-il ? II y a des beautes etonnantes. J’ai vu Anvers. C’est superbe. Mais la population est encore plus grossiere qu’ici. Tout n’est peut-etre pas perdu. Qui sait? (i) La relation de cette soiree-la est donnee dans la Iettre 842. ffl M. Van Praet, que I’on retrouve dans Ies Ammitates belgica. . .... p) le Capitaine Fracasse que Gautier annon?ait depuis si long- temps, avait enfin paru en 1863. 264 CORRESPONDANCE GENERALE 834. A POULET-MALASSIS. 1 1 juin 1864. Mon cher Malassis, N’oubliez pas Ie Iundi soir, 8 h. 1/2 a 11 h., Hotel du Grand-Miroir. Nous irons ensemble chez M. Crabbe(1), a qui je vous presenterai. Tout a vous. C. B. Mon cher ami, Apres cinq heures de jaseries sur Arthur (2), je prends conge de ces dames(3), et je vous avertis que notre rendez-vous de demain est avance dune demi-heure, pour une raison que je vous dirai. 833. A ALBERT COLLIGNON (4). [Monsieur — rue de Fleurus, n° 3 ( Revue nouvelle ) Paris France En cas d’absence, faire suivre.] Samedi 1 1 juin 1864.. Pour repondre a votre Iettre du mois dernier, j’ai mis, comme vous voyez, Ie temps de la reflexion. ^ ' ^>rosPe[ Crabbe, agent de change bruxellois qui possedait une belle galene de tableaux dont Baudelaire, en une note, a decrit les pnncipaux (voyez JUVENILIA, CEuVRES POST- humes , Reliquiae , tome II). w Arthur Stevens dont Ie portrait-charge a la plume, par Baudelaire, illustrait Ie feuillet portant I’adresse de ce billet W Les dames Stevens, belle-soeur et niece d’ Arthur proba- blement. r (t) V°yez en 8o7 et 8 ‘2. On n’a pas les reponses de CoIIi- gnon. 1 DE CHARLES BAUDELAIRE. 265 Serieusement, je ne voulais vous rien demander, j etais seulement un peu choque de votre silence.’ Aujouid hui, je suis dans une gene extreme, et il faut que j aille etudier de certaines choses a Namur. J attends votre reponse pour partir. Je vous envoie done de nouveau un re$u de 50 fr. et vous ne trouverez pas mauvais que je vous prenne au mot dans les circonstances actuelles. Autrefois, quand je faisais des vers, la Revue contemporaine ou toute autre m’aurait paye 57 fr. ; mais outre qu’on ne met pas 57 fr. dans une Iettre, mais qu on ne peut pas mettre moms, je me sou- viens de ce que vous me dites relativement aux ressources de votre Revue , et je vous prie d’agreer, en maniere de compensation, 4 ou 5 petits poemes en prose, que je crois agreables. Si vous les imprimez, comme je ne verrai pas I’epreuve, je vous prie d’y apporter le plus grand soin. Si vous n’en voulez pas, je les mettrai dans le lot de M. de Calonne, ou de M. CharpentieCR II est bien tard pour que je vous les envoie au- jourd hui. D ailleurs je ne connais pas la Ioi beige sur les manuscrits jetes a la poste. Ce sera recopie ce soir. VeuiIIez agreer, Monsieur, I’assurance de ma parfaite consideration. C. B. <*) Baudelaire refut-il les 50 francs qu’il demandait et envoya- t-il la contre-partie of'erte ? Ce qui est certain c’est qu’aucun des Petits poemes en prose ne parut a la Revue nouvelle, non plus qu’a la Revue contemporaine , chez Calonne. Quant a Charpentier, sa Revue nationale et etrangere ne devait se decider a publier ceux qui dormaient dans ses tiroirs, que ie 3] aout 1867 — soit le jour de la mort de 1’auteur! i66 CORRESPONDANCE GENERALE [Piece jointe,] Re<;u de M. Albert Collignon, directeur de la Revue Nouvelle, la somme de cinquante francs. Ch. Baudelaire. ii juin 1864. Hotel du Grand Miroir, Rue de la Montagne. Bruxelles. 836. A NOEL PARFAIT. Samedi 11 juin 1864.. Mon cher Parfait, J’ai fait votre commission aupres de M. Frede- ricx. Je vous ai renvoye la ire feuille (avec bon a tirer, sauf corrections ) dans Iaquelle feuille j’ai efface au moins trois gros contre-sens. Mais je crois que ces trois erreurs se repercutent dans Ies feuilles sui- vantes, c’est-a-dire dans I’analyse que Ie Chevalier Dupin fait des depositions des temoins. Or, voila bien des journees ecoulees, et je ne re?ois rien. Et l’inquietude commence a me galo- per de nouveau. Ne vous donnez pas la peine de me repondre s’il n’y a rien de change dans nos conventions relativement aux epreuves(1). Mais pressez un peu I’imprimeur. Voila tant de journees ecoulees! Et je crois toujours qu’il est arrive quelque malheur, que P) Voyez les Icttres 830 et 831. DE CHARLES BAUDELAIRE. 267 Iepreuve renvoyee ne vous est pas arrivee, etc... Je voulais m'installer successivement a Namur, a Liege, a Gand, a Anvers, etc... mais a cause de ce Iivre, je ne Ie ferai pas. Je ne resterai jamais plus de deux jours dans chaque ville et je revien- drai sans cesse a Bruxelles voir sil y a des epreuves. J amasse des notes pour faire un petit Iivre sur mon voyage. Dans la nouvelle suivante (L’ Automate de Mael- zel) il y a une petite vignette que j’ai bien envie de decalquer de nouveau sur du papier transparent. Celle , imprimee dans ia copie Iaissee chez Michel, est exacte, mais bien grossiere, autant que je peux me souvenir Bien a vous. Mes compliments a Michel et a Caiman. C. B. Grand Miroir. Montagne. 837. A GUSTAVE FREDERIX. Samedi soir, 11 juin i86.p. Monsieur, Je vous serais tres oblige de vouloir bien assis- ter a une petite soiree litteraire, d’un caractere tout a fait prive, pour laquelle M. Prosper Crabbe veut bien me preter son salon, Iundi soir, 9 hd2h (*) Nous avons reproduit cette vignette dans Ies HlSTOIRES GROTESQUES ET SERIEUSES , voyez pages 77 et 263. (J) Voyez Ia Iettre 84.2. 26 8 CORRESPONDANCE GENERALE Veuillez agreer, Monsieur, I’assurance de mes sentiments Ies plus distingues. Charles Baudelaire. M. Crabbe, rue Neuve, 32 bis. 838. A MONSIEUR ROSEzW. Monsieur, [Juin 1864.] Je retpois de M. Malassis une Iettre d’une per¬ sonnel qui exprime Ie desir de se procurer mes Salons (1843 et 1846) et Ies articles suivants : Delacroix, Ingres , Metbode. Les Salons sont introu- vables. Les articles ont paru dans un journal dis- paru, Le Portefeuille je crois. Mais toute cette recherche me parait futile, puisque j’espere rassem- bler cette annee tous mes articles critiques en deux volumes. Veuillez agreer, Monsieur, I’assurance de mes sentiments bien distingues. Ch; Baudelaire. PI Libraire beige. (s) Le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul. <3) Baudelaire se rappelait mal. De ces trois articles qu’on trouve reunis dans les CURIOSITES ESTHETIQUES sous le titre de : Exposition universelle de 1855, seul Ingres avait paru au Portefeuille (12 aout); Ies deux autres dans Ie Pays (26 mai et 3 Pin). DE CHARLES BAUDELAIRE. 839. A NOEL PARFA1T. [M onsieur — chez MM. Levy freres 2 bis rue Vivienne Paris France .] Jeudi 16 [juin 1864], midi. Mon cher Parfait, J’ai cru faire merveille, dans mon impatience, en vous envoyant hier, a midi, une missive tele- graphiee, et en payant d’avance une reponse que je n’ai pas re^ue. Votre silence pourrait me rassurer. Car je me souviens de vous avoir ecrit : Ne me repondez pas , s’il n’y a rien de change dans nos conventions. Mais d’un autre cote, je puis supposer que des epreuves se perdent quelquefois, et en tout cas, j’ai ie droit de trouver cet imprimeur bien lambin. 13 jours sans rien renvoyer! J’ai maintenant beaucoup de Ioisir, et je m’ennuie. D’autre part, je n’ose pas faire des excursions dans Ie pays avant d’avoir cor- rige tout Marie Roget, qui est Ie morceau Ie plus complique du volume. Dites a Michel que j’ai commence un petit volume sur la Belgique, qui ne ressemblera pas a tout ce qui a pu etre fait sur Ie meme sujet. J’ai I’intention de Ie Iui offrir a mon retour. Je presume qu’il Iui est indifferent que j’en publie quelques fragments dans Ie Figaro. Cependant, si je savais qu’il Iui fut plus agreable d’avoir un manuscrit tout a fait inedit, je supprimerais les communica¬ tions. — J’ai deja enormement de notes. 270 CORRESPONDANCE GENERALE Tourmentez 1’imprimeur. Et si vous pouvez m’envoyer tout ce qui reste de Marie Roget d’un seul coup, vous me ferez plaisir. Je n’ai relu en seconde que la premiere feuille. Tout a vous. C. B. 840. A MADAME AUPICK. Jeudi 16 [juin 1864]. Ma bonne chere mere, mon excellente maman, je te remercie de ta Iettre chargee, que je n’ai eue qu’hier matin mercredi, bien qu’elle soit arrivee mardi soir. Ici, pour Ies lettres chargees, Ie direc- teur des postes vous transmet un avis, et puis vous allez vous-meme chercher votre Iettre au bureau central. J’ai retarde d’un jour pour te repondre, parce que j’esperais te donner du neuf. Je sors de la maison Lacroix, Verboekoven [sic] et C“. Rien. Je n’aurai de reponse que jeudi prochain. Je ne crois a rien de bon. Je vais me coucher tous Ies jours a neuf heures, me lever a cinq, et fabriquer un petit Iivre de reflexions sur mon voyage. Je n ai pas voulu voir Lacroix, un homme qui a resiste a six invitations W, et qui ne m’a pas en¬ voy e d’excuses. Je suis passe tout a I’heure devant Iui, dans son bureau, sans Ie saluer, et je n’ai cause qu’avec son associe Verboekoven, Ie fils du fameux peintre beige. (1) Aux cinq conferences et a la soiree cfiez Crabbe. DE CHARLES BAUDELAIRE. 271 Et la fameuse soiree!!! Ah! cela a ete drole, d un drole a crever de rire. Je me fie a ma bonne etoile, et je travaille... Je veux avant demain soir t’ecrire une lettre de quatre pages, Ientement et a tete reposee. - — Je suis convaincu, je ne peux pas m’oter de la tete que ce Lacroix a requ le mot d’ordre de Paris; ainsi j’ai des ennemis. Qjuel honneur! mais, bon Dieu ! par quoi les ai-je merites(1)? Tu ne peux pas t’nnaginer jusqu’a quel point tu as eu de 1’esprit en cedant a un mouvement de prodigalite. Je tembrasse. Charles. J’ai tou jours le ventre et le sommeil deranges. Et toi? 841. A POULET-MALASSIS. 5 Iieures, a 1’Hermitage. Mon cher, je suis venu cbez vous Pour entendre une langue bumaine; Comme un, qui, par mi les Papous , Cbercberait son ancienne Athene. Puisque cbez les Topinambous Dieu me fait fair e quarantaine , Aux sots je prefere les fous — Dont je suis, chose, belas ! certaine. O/frez a Mam’selle Fanny ^ ( Qui ne repondra pas : Nenny, Le salut n’etant pas d’un anej, 0) Cette inconscience est vraiment surprenante de la part du «bon haisseur» que Baudelaire se flattait d’etre. W Franfoise Dauni , compagne de Poulet-Malassis qui l’epou- sera !e 16 mai 1870. 272 CORRESPONDANCE GENERALE L’bommage d’un bon ecrivain, — Ainsi qu’a I’ami Lecrivain ^ Et qu’a Mam'selle Jeanne 842. A MADAME AUPICK. Vendredi 17 juin 1864. Ma chere mere, il est six heures, j’ai eu tort de ne pas t’ecrire ce matin. J’ai pris un grand parti. Je ne vois plus personne. Le Francis, un de mes amis, avec cjui je pouvais me divertir de ces vilains Beiges, est parti®. Je suis seul; je me Ieve de bon matin; je travaille. Jeudi, je saurai mon sort®. Voici maintenant Ie recit de la fameuse soiree® : 15 personnes invitees par moi, dont 5 sont venues, les meilleures, mais sans influence, _ et dont deux seulement, Ie ministre® et Ie directeur de I Independance beige ®, se sont excusees par ecrit, _ 15 personnes invitees par Ie maitre du Iogis, dont 5 sont venues. Te figures-tu trois enormes salons , W De la maison Lecrivain et Toubon , voyez lettre 7^0 , note 1 W Am.e de Lecrivain. - Nous p!a?ons ici ce sonnet bumo- ristique a cause de la teneur du premier paragrapbe de la lettre qui suit. Mais d peut etre sensiblement posterieur. Voyez les notes des Juvenilia, CEuvres post humes, Reliquiae tome 1, page 398, oil nous I’avons deja donne, sous Ie titre de Vers laisses cbez un ami absent, ( > Poulet-Malassis qui s etait absente pour un mois. Voyez le numero precedent. J (4) La reponse de Lacroix. W La soiree cbez M. Prosper Crabbe. (;> M. Van Praet, ministre de la Maison du Roi. Berardi. DE CHARLES BAUDELAIRE. 273 illumines de lustres, de candelahres , decores de superbes tableaux, une profusion absurde de ga¬ teaux et de vins; tout cela pour 10 ou 12 personnes tres tristes ? Un journaliste penche a cote de moi me dit : «//y a dans vos oeuvres quelque chose de chretien qu’on n’a pas assez remarque.» A I’autre bout du salon, sur le canape des agents de change, j’entends un murmure. Ces messieurs disaient : « II dit que nous sommes des cretins ! » Voila fintelhgence et Ies mceurs beiges. Voyant que j’ennuyais tout Ie monde, j’ai inter- rompu ma lecture, et je me suis mis a boire et a manger, mes cinq amis etaient honteux et con- sternes , moi seul je riais. Tu as eu bien de I’esprit, comme je te Ie disais : 100 fr. a mon hotel , 50 a un cordonnier qui m’en- nuyait (ici pas de dettes possibles) — et 50 fr. reserves pour Ies menues depenses de chaque jour. Je suis dans un etat nerveux insupportable ; mais je pense a I’horrible avenir, et je veux mettre Dieu et la chance de mon cote. Jefembrasse. Charles. ' II y avait, il est vrai, un des actionnaires de la maison Lacroix qui etait venu aux conferences, et c’est Iui qui m’a menage une entrevue avec Ver- boekoven, qui a eu lieu hier jeudi. Mais Lacroix est preponderant, je Ie crams. Si je mene bien mon etude sur la Belgique, tu verras des choses fort droles, que personne n’a ose dire. IV. 18 274 CORRESPONDANCE GENERALE 843. A SlMON-RAqON (1f 18 juin 1864. Monsieur, J’ai renvoye, sur la demande de M. Noel Parfait, la 20 epreuve de la ire feuille de Marie Roget avec bon a tirer, quoiqu’il efit ete beaucoup plus profi¬ table pour moi d’avoir tout Marie Roget a lafois sous les yeux. II y a deux ou trots erreurs qui se repre¬ sented tout Ie long de I’ouvrage, et il y a des cas ou pour corriger une feuille, il est bon d’avoir la precedente. Mais il y a pire encore, j’ai beau en- voyer Iettres sur Iettres, et meme depeches tele- graphiques, je ne peux pas savoir si vous avez re$u (avec la ire feuille [epreuve] de la 2e feuille corrigee) un manuscrit representant une Iacune dans Marie Roget et commen^ant vers la fin de la 2e feuille. La meilleure maniere de repondre serait de m’envoyer enfin tout Marie Roget a la fois. Si ce manuscrit est perdu, il faudra que je Ie recom¬ mence ; car c’etait Ie double de Marie Roget depose a f Opinion Nationale que j’ai repris pour vous. Veuillez agreer, Monsieur, I’assurance de mes sentiments tres distingues. Charles Baudelaire. Hotel du Grand Miroir. Rue de la Montagne. Bruxelles. (1> Baudelaire Ie connaissait de longue date, car c’est Iui qui avait imprime la deuxieme edition des Fleurs du Mai ainsi cpi’Eureha. DE CHARLES BAUDELAIRE. 275 Tout Ie reste du manuscrit est bon. C’est au commencement du mois de juin que je vous ai fait renvoyer la fe epreuve de la 2e feuille avec Ie manuscrit intercalate. 844. A THEOPHILE THORE. [Aux tons soins de M. Berardi pour transmettre a M. W. Burger.] Bruxelles, Taverne du Globe. [Env. 20 juin 1864.] Cher Monsieur, J’ignore si vous vous souvenez de moi et de nos anciennes discussions. Tant d’annees s’ecoulent si vite(1)! Je Iis tres assidument ce que vous faites et je veux vous remercier pour Ie plaisir que vous m’avez fait en prenant la defense de mon ami Edouard Manet et en Iui rendant un peu justice. Seulement, il y a quelques petites choses a rectifier dans Ies opinions que vous avez emises®. W Theophile Thore (1807-1869), en litterature William Bur¬ ger, publiciste et critique d’art, auteur de nombreux Salons et d’un Dictionnaire de pbrenologie et de physio gnomonie a l’usage des artistes. Baudelaire avait pu Ie connaitre aux environs de l’annee 1845 a I’ Artiste ou a I’ Alliance des Arts, et le rencontrer chez Esquiros ou chez 1’abbe Constant, et, plus tard, chez Champ- fleury, Burty ou Alfred Stevens. Voyez a son sujet un ouvrage de Paul Cottin : Theophile Thore' peint par lui-meme. Lettres et notes intimes. (2) Le 15 juin, rendant compte du Salon de Paris, dans \Tnde- pendance beige, There avait ecrit notamment : «M. Manet ne se gene pas plus pour « prendre son bien ou il Ie trouvea cjue pour jeter sur la toile son coloris qdendide et bizarre, qui irrite les «bourgeois» jusqu’a Pin jure. Sa peinture est une espece de defi, 18. CORRESPONDANCE GENERALE 276 M. Manet, que Ton croit fou et enrage, est sim- plement un homme tres loyal, tres simple, faisant tout ce qu’il peut pour etre raisonnable, mais malheureusement marque de romantisme depuis sa naissance. Le mot pastiche n’est pas juste. M. Manet n’a jamais vu de Goya, M. Manet n’a jamais vu de Greco , M. Manet n’a jamais vu lagalerie Pourtales (1). Cela vous parait incroyable, mais cela est vrai. Moi-meme j’ai admire avec stupefaction ces mysterieuses coincidences. M. Manet, a I’epoque oil nous jouissions de ce merveilleux musee espagnol (2) que la stupide repu- blique frangaise , dans son respect abusif de la pro- et il semble vouloir agacer Ie public, comme Ies picadores de son cirque espagnol, piquant des fleches pavoisees de rubans multicolores dans la nuque d’un adversaire sauvage. — II n’a pas encore saisi Ie taureau par Ies cornes. «Ce toreador eventre pour le plaisir de quelques milliers de spectateurs affoles, est une figure de grandeur naturelle, auda- cieusement copiee d’apres un chef-d’oeuvre de la galerie Pourtales (numero 163 du catalogue), peint par Velasquez tout simplement. M. Manet a les qualites d’un magicien, des effets Iumineux, des tons flamboyants, qui pastichcnt Velasquez et Goya, ses maftres de predilection. C’est a eux deux quil a songe en composant et en executant son Cirque [ Combat de taureaux]. Dans son second tableau, Les Anges au tombeau du Christ, c’est un autre maftre espagnol, le Greco, qu’il a pastiche avec une egale furie, sans doute en mamere de sarcasme contre les amoureux transis de la peinture discrete et proprette.)) L’article de Thore n’etait d’ailleurs nullement hostile, pre- nant fin avec I’assurance que «les excentricites de M. Manet cachaient un vrai peintrew dont quelque jour Ies oeuvres seraient peut-etre applaudies, et avec une reference aux debuts tapageurs d’Eugene Delacroix. (1> La collection de James-AIexandre de Pourtales, qui allait etre dispersee I’annee suivante du fait de la mort de son posses- seur, renfermait notamment des oeuvres de Velasquez, Murillo, Ribera, Navarrete, Ribalta et Zurbaran. I2) Voir tome I, page 360, note 3. DE CHARLES BAUDELAIRE. 277 priete, a rendu aux princes d’Orleans, M. Manet etait un enfant et servait a bord d’un navire. On Iui a tant parle de ses pastiches de Goya que maintenant il cherche a voir des Goya. II est vrai qu’il a vu des Velasquez, je ne sais ou. Vous doutez de tout ce que je vous dis? Vous doutez que de si etonnants parallelismes geo- metriques puissent se presenter dans la nature. Eh bien ! on m’accuse, moi, d’imiter Edgar Poe! Savez-vous pourquoi j’ai si patiemment traduit Poe? Parce qu’il me ressemblait. La premiere fois que j’ai ouvert un livre de lui, j’ai vu, avec epou- vante et ravissement, non seulement des sujets reves par moi, mais des PPIRASES pensees par moi, et ecrites par Iui vingt ans auparavant(1) * 3. Et nunc erudimini , vos qui judicatis^\ . . . Ne vous fachez pas; mais conservez pour moi dans un coin de votre cerveau un bon souvenir. Toutes les fois que vous chercherez a rendre service a Manet, je vous remercierai. Charles Baudelaire. Je porte ce griffonnage a M. Berardi, pour qu il vous soit transmis. J’aurai Ie courage ou plutot Ie cynisme absolu de mon desir. Citez ma lettre, ou du moins quelques lignes (3). Je vous ai dit la pure verite. (1) Cf. !a lettre a Fraisse, tome III, page 41. (2) Psaumes de David, II, 10. (3) Burger defera au desir de Baudelaire. Dans son feuilleton du 26 juin, encore consacre au Salon de 1864, d ecrivait : « La critique doit se defier de ces rapprochements d ou elle infere presque toujours une imitation; la similitude apparente de 278 CORRESPONDANCE GENERALE 845. A ANCELLE. Jeadi, 14, juillet. Mon cher Ancelle, Tout a echoue. Un mouchard (1) ne peut pas reus- sir dans une vifle aussi defiante. J’ai ete malade (diarrhee continue, palpitations de coeur, angois- ses d’estomac) pendant deux mois et demi ! Le joli deux artistes peut n’etre que [e resultat de « mysterieuses coin- «cidences». C’est ce que vient de m’ecrire Charles Baudelaire, assurant que son ami, M. Edouard Manet, ne pastiche point Goya ni Ie Greco, puisqu’il n’a jamais vu de Goya ni de Greco, et que ces etonnants parallehsmes peuvent se presenter dans la nature ». Et, apres avoir cite les lignes oil Baudelaire celehrait ses ren¬ contres avec Edgar Poe, il concluait : ((Baudelaire a raison : ces phenomenes de I’esprit sont com- muns a tous et ds peuvent se produire, sous des formes pareiiles, chez plusieurs individus qui ne se connaissent point mutuellement, mais qui ont entre eux des affinites mystiques, ou, pour mieux dire, inexpliquees jusqu’ici, mais non pas inexplicables. , «Je tiens done qu’Edouard Manet n’a jamais vu de Goya et qu’il est tout naturellement coloriste a la fa?on de ce peintre exquis et fantasque. Mais, pour l’homme etendu mort dans le cirque des taureaux, il est impossible que M. Manet n’en ait pas eu quelque «seconde vue», par des intermediaires quel- conques, s’il n’a pas visite la galerie Pourtales oil est Ie chef- d’oeuvre de Velasquez. Est-ce qu’il n’y en aurait pas une photo¬ graphic dans la collection publiee par MM. Goupil? II nous semble qu’il y en avait une eau-forte a I’une des expositions precedentes. Nous consignons toujours, en passant, que la pein- ture de Manet n’est pas un pastiche de Goya, et nous avons plaisir a repeter que ce jeune peintre est un vrai peintre, plus peintre a lui tout seul que la bande entiere des grands prix de Rome». — Les mots tout (6° paragraphe) et du moins (derniere Iigne) avaient ete omis dans Ie texte des Lettres. (l) Allusion au a bruit infame » mentionne dans les lettres 826 827, 832 et 833. DE CHARLES BAUDELAIRE. 279 v°yage! Cependant je veux qu’il me serve a quel- que chose , et je fais un Iivre sur la Belgique , dont Ies fragments paraitront au Figaro. La question des moeurs (moeurs, politique, clerge, Iibres-pen- seurs) est deja redigee® ! Maintenant, il faut voir Anvers, Bruges, Namur®, Liege, Gand, etc. . . En somme, je saurai faire un Iivre amusant, tout en m’ennuyant beaucoup. Ici tout a ete contre moi. Tout m’a nui, surtout ma svmpathie visible pour Ies Jesuites. Vous savez probablement dans quelle situation extraordinaire se trouvent la Chambre et le Ministere (3). J’esperais des coups de fusil et des barricades. Mais ce peuple est trop bete pour se battre pour des idees. S’il s’agissait du rencheris- sement de la biere, ce serait different®. Envoyez-moi toutde suite Ies 150 francs du mois d’aout. Je partagerai cela entre moi et mon hotel, je garderai juste de quoi voir cinq villes. Par grand bonheur, Ies distances sont tres courtes, et la vie (execrable d’ailleurs) a bon marche. Je compte que je recevrai vos 150 fr. samedi matin. Je partirai dimanche matin. Observez que je ne vous ai rien pris depuis six semaines. Le souvenir de I’aventure Proudhon est encore vivant ici, et j’en parlerai. J’ai rencontre dans le monde (!) le depute qui a le plus contribue a cette (i) A Iaverite elle ne I’etait point. Baudelaire avait seulement pris un grand nombre de notes dont beaucoup se repetent , comme le prouvera notre publication de Pauvre Belgique (. Juvenilia . (Euvres posthumes , Reliquia:, tome II). V (*) Malines et non Namur qu’on avait imprime anterieurement. (J) Le 11 juin, a la Chambre des Representants , un ordre du jour de mefiance n’avait ete repousse qua une voix de majori te. (*) Voyez page 289, note 3. 200 CORRESPONDANCE GENERALE degoutante emeute (1f Je serai encore ici quand paraitront a Pans mes premiers fragments. Or le Figaro est tres lu ici au Cercle. Je ne vois plus personne, et je Jaisse voir mon mepris pour tout Ie monde (2). Cependant, je tacherai de voir I’archeveque de Malines (3f J ai entendu la cloche des Iibres-pen- seurs; je veux entendre fautre cloche. Je possede maintenant sur Ie bout du doigt la question de la charite, la question des dotations, la question de I education, la question du cens electoral, la question d’Anvers, la question des cimetierres [sic], etc. H Qj-iel peuple inepte et Iourd ! Ici, les Jesuites ont tout fait, et tout Ie monde est ingrat pour eux. Maintenant, pour tout dire, il faut avouer que Ie clerge est tres Iourd et tres grossier. Helas! il est flamand. Pourvu que vous ne soyez pas en voyage! Tout a vous. C. B. Je men vais Iaisser toutes ces saletes-Ia de cote, ' Dans un article de Proudhon sur Garibaldi et I’unite italienne paru dans le Journal de I’Office de Publicite Ie 7 septembre 1862 la presse beige avait cru trouver, a 1’adresse de Napoleon III’ une invitation k annexer la Belgicjue. D’ou, contre !'6cono- miste tran9ais, une ammosite qui s’etait finalement traduite par une emeute sous ses tenures. — Le representant L.-J. Defre semble-t-il. P> DjaP[e> ^ertains temoignages contemporalns (vovez I’ou- vrage de M. Gustave Charlier : Passages, pages 162 162 il yirait cependant, a cette epoque-la, continue de frequenter Ie Lercle artistique et litteraire. (3) II ne semble pas qu’H I’ait vu. (») Pour toutes ces questions, voyez Pauvre Bell ique. DE CHARLES BAUDELAIRE. 28 I et m occuperun peu de peinture et d’architecture. Si vous etes absent, faites-moi, tout de meme, envojer I’argent. Je serai en France Ie 15 aout(1). Vous recevrez ceci, vendredi matin. Pensez a moi avant cinq heures. 846. A SIMON-RAqON. [Monsieur — , imprimeur Derriere Saint-Germain-des-Pres Paris France.] Lundi 18 juillet 1864. Cher Monsieur, Quand vos compositeurs et vos correcteurs m oublient pendant 15 jours ou trois semaines, je crois toujours qu’il y a quelque chose d egare ou que vous n’avez pas re?u le paquet envoye par moi. - — II y a bien longtemps que je vous ai ren- voye la 2e epreuve de la 3° feuille corrigee, avec bon a tirer. — Je serais heureux de savoir si deux ou trois corrections faites par moi dans la ire feuille , apres le bon a tirer , ont pu etre executees. — N’ou- bliez pas que depuis longtemps M. Pauchet, secre¬ taire de I' Opinion Nationale, attend le Mystere de Mane Roget. Les bonnes feuilles rCmplaceront tres heureusement Ie manuscrit que je lui ai repris. Si Marie Roget est tiree, envoyez-les lui, et souve- nez-vous qu’il y a trois ou quatre pages, les der- (1> II n’en devait rien etre. 282 CORRESPOND ANCE GENERALE nieres, corrigees en placards, qui sont rejetees a la quatrieme feuille. Que vous expednez directement la chose a M. Pauchet ou a M. Noel Parfait, pour la trans- mettre a M. Pauchet, ajez I’obligeance d’ajouter une note, disantque c’est de la part de M. Baude¬ laire, toujours absent, et que la publication dans I’ Opinion Nationale est chose urgente; — enfin une petite reclame (en tete) annongant que c’est un fragment d’un livre qui paraitra bientot, tf volume de ma traduction d’Edgar Poe, sous le titre : His- TOIRES GROTESQUES ET SERIEUSES. Veuillez agreer, cher Monsieur, mes affectueux compliments. Charles Baudelaire. Hotel du Grand Miroir. Rue de la Montagne. Bruxelles. Vous pouvez transmettre ma Iettre a M. Noel Parfait. 847. A MONSIEUR ? (1). Jeudi 21 juillet 64. Cher Monsieur, Je suis venuici, ily atrois mois, avec la croyance que je trouverais beaucoup d’argent sur I’afFaire la mieux raisonnee. Je n’ai trouve que des deboires. C’est a ce point que j’ai toutes les peines du monde M Probablement Meryon ou Legros dont Baudelaire posse- dait de nombreuses estampes. DE CHARLES BAUDELAIRE. 283 a me tirer d’affaire. Cependant j’ai des affaires pendantes a Paris; je retourne en France au plus tard a la fin d aout, et je crois qu’alors j’aurai pas- sablement d’argent entre Ies mains. Ne faites jamais d’affaires avec Ies Beiges — excepte au comptant. Je trouverai sans doute rue d’Amster- dam vos cahiers d’eaux-fortes. Si j’avais eu Ie temps de vous avertir, j aurais mieux aime que vous me Ies gardiez. Veuillez agreer mes bien sinceres excuses. Ch. Baudelaire. 848. A MADAME AUPICK. 31 juillet 1864. Ma chere mere, je reclame encore un mois de sejour en Belgique, avantde m’installer a Honfleur. J’ai commence ce maudit livre, il faut Ie finir. Toutes mes notes sur Bruxelles sont prises; cinq chapitres sont rediges ; mais il faudra courir dans Ies provinces. 15 jours me suffiront. Liege, Gand, Namur, Anvers, Malines, Bruges surtout , me seront un delassement. J’ai calcule que je ferai ce voyage a bon marche; 150 fr. me suffiront. Les chemins de fer sont chers, mais Ies distances sont si rapprochees ! Je suis oblige d’invoquer encore ton obligeance , si toutefois c’est possible (car je suis toujours vis- a-vis de toi a I’etat d’enfant honteux). Je ferai ce que je pourrai pour te rapporter en septembre une 284 CORRESPOND ANCE GENERALE partie du prix des lettres (1). Si tu ne peux pas me venir en aide, j’aviserai, je ne sais pas encore com¬ ment, pour persister dans mes projets et pour subvenir a mes depenses, si petites qu’elles soient. Mes trois grands besoms actuels sont : donner un peu d’argent a I’hotel , — aller a Paris pour conclure differentes choses urgentes — et apaiser avec un a-compte un creancier qui me fait souffrir Ie mar- tyre (2) (aller a Paris, cela me donne Ie frisson). Dans ces derniers temps j’ai ete oblige, pour sub¬ venir a certains besoins, de faire connaissance avec Ie Mont-de^Piete de Bruxelles, et maintenant j’ai besoin des objets; — enfin faire ma tournee de province; mais ceci est le moins presse ; car j’ai bien encore pour dix jours de travail sur mes notes de Bruxelles. Mes lettres ne peuvent pas me donner d’argent maintenant, parce que, tout bien considere et delibere avec moi-meme et avec un Fran^ais que j’ai consulte (3), quand meme falfaire seraitconclue, dies ne paraitront pas tant queje serai ici. Ces let¬ tres seront fort humiliantes pour la Belgique, et un homme bien autrement celebre que moi, M. Proudhon, a ete chasse d’ici a coups de pierres^, pour s’etre permis quelques plaisanteries tres inno- centes dans un journal. Je crois qu’il est bon que j’aille passer 24_heures a Paris, que j’aille me jeter, pour ainsi dire dans la gueule du Ioup, conclure I’affaire des lettres avec Ie Figaro, cher- Voyez la note 2, page 2^. Matigny sans doute. Peut-etre Hetzel dont on lira dans la Iettre suivante qu’il a passe par Bruxelles; peut-etre Nadar qui dut y aller aussi a cette epoque-Ia, ou Jules Claretie qui y alia. <4> Voyez page 280 , note 1. DE CHARLES BAUDELAIRE. 285 cher un Iibraire pour la reimpression en volume, chercher un Iibraire pour I’impression des trois volumes que j’etais venu vendre en Belgique, voila des choses importantes. Se pourrait-il que nron nom n eut plus aucune valeur, et que ces trois vo¬ lumes d’articles curieux fussent invendables ? Non , ce n est pas possible. Cependant je suis si decourage que quelque fois [ sic ] je suis porte a Ie croire. Ah ! si je peux me relever en esprit et en sante, je me vengerai de ce grossier peuple, en attendant que j aie assez d’autorite pour dire ce que je pense de la France elle-meme. (C’est Ie 23 juin que j’ai appris de la bouche de I’associe de M. Lacroix que mon affaire n’etait pas possible. Cela a ete dit pohment, avec force rai¬ sons que plus tard j’ai verifie etre des mensonges. Et puis il m’a demande un roman. Quelle hypo- crisie ! II sait que je n’en ai pas.) Aller a Paris, cela me fait peur et cependant c’est Ie plus brave, et peut-etre Ie plus sur. J’ecris tant de Iettres auxquelles on ne me repond pas. Si tu savais quelle colere on eprouve quand on est completement isole, enferme dans un milieu hos¬ tile, sans conversations, sans aucun plaisir pos¬ sible, et quand personne de ceux de qui vous avez besom ne vous repond ! Je suis etonne d’avoir pu faire Ie peu que j’ai fait (prendre toutes mes notes et rediger les pre¬ miers chapitres, et puis corriger les feuilles d’un Iivre qui s’imprime a Paris) dans I’etat d’esprit et de sante ou je suis depuis plus de deux mois ; jamais je n’ai senti tant d’ennui et tant de faiblesse. Trois mois de diarrhee continue , coupee de loin en loin par des constipations insupportables, cela n’est 28 6 CORRESPONDANCE GENERALE pas fait pour affermir I’esprit. Quant aux palpita¬ tions etaux angoisses d’estomac, elles ont disparu, je ne sais pas comment. Du reste, il nj a aucune originalite dans mon fait. Plusieurs Franfais que j’ai vus ont tous ete pris de cette diarrhee, que j’attribue au climat et a I’usage du faro. Tous reviennent bien vite a la biere anglaise ou au vin de France. La caraffe [«c] de faro coAte 2 sols, la biere anglaise 30 sols, et Ie bordeaux 3 francs la bouteille. Quant amoi, mon malheur a persiste, etje n’en ai tire d’autre benefice qu’une extreme sobriete. Quand meme je me porterais bien , je ne me met- trais a table qu’avec degout, tant cette cuisine est fade et monotone. Je pane que tu vas m’envoyer un tas de recettes pharmaceutiques, — dont je ne veux pas. Je me guerirai en septembre. J e crois que je ferai bien d’avoir Ie courage d’aller a Paris. J’ai envoye des articles a la Vie Parisienne. Pas de reponse ! a YOpinion Nationale, pas de re- ponse ! au Monde Ulustre, pas de reponse (L ! En d) Ces envois avaient ete les suivants : a la Vie parisienne, les Habitations imaginaires , titre sous Iequel etaient reunis Le Domaine d’Arnbeim, Le Cottage Landor et Philo¬ sophic de I’Ameublement. Ce manuscrit-!a, Marceiin le trouvera trop long (numero 857), et finalement n’en publiera qu’un frag¬ ment, et encore a titre de reclame, c est-a-dire sans bourse delier (24 juin 1865) ; a V Opinion nationale, le Mystere de Marie Roget que Pauchet, le secretaire de redaction de ce journal , avait accepte et payi des avant le depart pour la Belgique, mais que Malespine, son successeur, refusera d’inserer; au Monde Ulustre enfin, le Systeme du Docteur Goudron et du Professeur Plume, qu’Yriarte ne se decidera a «faire passer » qu’en janvier x 865. n Les lettres que Ie pauvre Baudelaire devra ecrire pour obtenir de Michel Levy, de Noel Parfait ou de Simon-Ra?on qu’ils DE CHARLES BAUDELAIRE. 287 verite, Ies gens ne se doutent pas du supplice qu’eprouve celui qui est enferme seul chez un peuple ennuyeux et qui est prive des informations dont il a besoin. Je renvoie la fin de cette Iettre a un autre mo¬ ment. D’ailleurs je suis peu presse de te I’envoyer. J’aimerais a te dire des choses agreables! J’espere ne pas etre oblige d’aller a Paris. Cela m’ennuie tant! Un de mes amis(1), qui passait par ici, se charge, dit-il, de presenter la question au Figaro , et meme d’obtenir de I’argent, en impo- sant la condition que Ies Iettres ne paraitront qu’a mon retour, C. B. 849. A LA MEME. 8 aout 1864. Aucune reponse de Paris, aucune, aucune! Le 3 au soir, j’ai regu assez tard, un avis de la poste me disant de venir chercher une Iettre char¬ gee. Ici Ies choses se passent ainsi, relativement fassent parvenir a ces divers organes Ies bonnes feuilles de son Iivre, en remplacement des manuscrits qu’il Ieur avait repris pour Ies retoucher une derniere fois; Ies demarches multiphees Su’il va demander a Edouard Manet, a Hippolyte Le Josne, k [enry de la Madelene, a Julien Lemer, etc., a 1’effet de secouer I’inertie de celui-ci ou de celui-Ia, ses efforts desesperes pour ne pas perdre Ies quelques miserables centaines de francs que repre- sentait la publication de ces fragments encore inedits, vont tenir une place considerable dans cette cruelle correspondance, jusqu’a la mise en vente des Histoires grotesques et serieuses. Tout cela d’ailleurs nous 1’avons deja raconte dans notre edition de cet ouvrage a laquelle le lecteur voudra bien se reporter. <*) Voyez la note 3, page 284.. 288 CORRESPONDANCE GENERA LE aux lettres chargees. Je n’avais ecrit a personne pour demander de I’argent. Le 4 au matin , comme je n’ai pas su dire d’ou venait la Iettre, on me i’a re fusee. Tu vois que ta Iettre, meme si j’avais ete absent, ne courait aucun danger. Alors j’ai refle- chi qu’il n’j avait que toi au monde capable de m’envoyer de fargent avant que je Iui en demande. J’ai pris d’anciennes lettres de toi, et quand on a vu que c’etait la meme ecriture, on m’a remis ta Iettre. Ces 50 fr. avaient une grace infinie, et j’en ai ete tout attendri. Mais tu comprends bien maintenant mon hesitation a te repondre. Fallait-il detruire la Iettre commencee? Ces 50 fr. etaient peut-etre une privation , un signe de gene ? Cependant, j’ai refle- chi qu’apres tout, tu me pardonnerais de te mon- trer tous mes ennuis, et que, puisque tu avais I’in- tention de diminuer progressivement ma dette chez Ancelle, peut-etre trouverais-tu plus important de t’occuper de ma situation actuelle, puisque M. Ancelle, apres tout, se remboursera facilement Iui-meme quand je serai revenu aupres de toi. Quelle envie j’ai d’etre dans ma chambre ! et de revoir toutes mes paperasses et toutes mes Gra¬ vures! Mais quelquefois je deviens si triste, que je me figure que je ne reverrai jamais Honfleur. Ne va pas prendre cela pour un presage. Ce sont des idees qui ne me viennent que dans les mauvaises heures. Je continue ma Iettre. Elle sera longue. Si je t’ai tant negligee, c’est que d’abord il m’est insup¬ portable de rendre compte de sentiments tristes, et puis parce que je savais que ma belle-sceur etait pres de toi. Un grand soulagement pour toi sans DE CHARLES BAUDELAIRE. 289 doute. Elle a de 1’esprit, et assez souple, je crois, pour se prefer a celui des autres, chose qui me manque completement. Croirais-tu que j’ai eu la patience, moi qui ne sais pas un mot d histoire, et qui, d’ailleurs en ai horreur, de lire 2.400 pages d’un livre indigested pour me mettre un peu au courant de I’histoire de ce vilain peuple? une triste histoire d’ailleurs. Depuis le n juillet, il y a ici une grande agita¬ tion. La Chambre est dissoute, et I’on prepare les elections. C’est un spectacle hideux. Les ouvriers de Paris sont des princes a cote des princes de ce pays. Malgre mon degout, j’ai assiste a plusieurs reunions electorales. J’ai eu la joie de voir crouler la canditature de M. Lacroix d, dans un club oil il a ete insulte, a la flamande, c’est tout dire, pendant trois heures. J’ai eu la bassesse de meler mes huees a celles de ses adversaires. C’est done enviable d’etre depute, c’est done bien glorieux, puisque Ton consent a avaler de telles couleuvres ! J’esperais quelques coups de fusil dans la rue. Mais e’etait la une idee de Fran^ais. Ce peuple ne se battrait, je crois, que si Ie prix du faro ou des pommes de terre augmentaiL3). Je t’ai dit, je crois, que j’etais reconcilie avec M. Malassis. C’est une grosse epine hors du pied <4). I1) Probablement V Histoire generate de M. Dewez ou V Histoire nationale de Mgr Nomeche. (*> L’editeur qui avait refuse ses Iivres, voyez Pauvre Belgique. (3> Cf. Ia lettre a Ancelle, page 279. (*) Voyez la lettre 819 et les notes qui I’accompagnent. — Aucun delai n’avait ete prevu dans le contrat avec Hetzel (en date du 13 janvier 1863) pour la livraison des manuscrits. Mais Hetzel ayant regie d’avance les droits d’auteur que comporterait le premier tirage des deux volumes, etait evidemment en droit »9 iv. CORRESPONDANCE GENERALE 2.90 Je me suis egalement rapatrie a M. Hetzel qui passait par ici, et qui m’a donne jusqu’a la fin de septembre pour Iui Iivrer Ies Fleurs du mal aug- mentees et Ie Spleen de Paris , — que je finirai a Honfleur®. Ah ! quelle joie quand ce sera fini ! Je suis siaffaibli, si degoute de tout et de moi-meme, que quelquefois je me figure que je ne saurai jamais achever ce livre interrompu depuis si long- temps, et dont j’ai cependant tant caresse I’idee. Quant aux Histoires grotesques et serieuses , elles marchent, elles paraitrorit en septembre®. J’ai corrige six feuilles sur dix. Je veux terminer ma lettre ce matin 10. Tu ne comprends sans doute rien a ce long silence. de ne point s’accommoder des retards de Baudelaire. Donnant quelques exemples du peu de succes que rencontraient Ies finesses dont Baudelaire usait habituellement dans ses conversa¬ tions d’affaires, Charles Asselineau a ecrit : «De meme encore avec Hetzel de qui il voulait obtenir par des flatteries adroites une modification a un traite et qu’il finit par offenser gravement, au point qu’ils en resterent brouilles.i) (Baudelairiana , E.-J. Cre- PET, page 296). Cette brouille que rapporte Asselineau, est-ce celle dont notre auteur annongait ici a sa mere 1’heureux denoue¬ ment? ou bien se produisit-elle plus tard, soit apres septembre i86q, quand eut expire Ie delai de livraison des manuscrits, soit I’annee suivante, en juillet, quand Hetzel, sur Ies instances du poete, eut consenti a ne pas exiger [’execution du traite (voyez (a lettre 923)? Nous ne savons rien qui permette d’en decider. Mais une chose est certaine, c’est que la brouille ne fut pas aussi definitive que Fa dit Asselineau, car on possede une lettre oil M“e Aupick, a peine son malheureux fils etait-ii installe rue du Dome, mandait a Hetzel : «En Iui proposant dernierement de Iui envover quelques amis, il a accueilli votre nom avec une grande joie, parce qu’il a pour vous, Monsieur, beaucoup d’ami- tie», et dans un angle de cette lettre on lit : ((Prendre l’adresse et me rappeler que j’ai a voir B. — - J. H. » Voir la note precedente. Elles ne seront mises en vente qu’en mars 1863. DE CHARLES BAUDELAIRE. 2.9 I Je vais aujourd’hui meme ecrire encore a Paris, i° a un agent d’affaires litteraires^ pour Ie charger de vendre mes trois volumes, Paradis , Contempo- rains; 2° a un de mes amis pour Ie prier de re- mettre au creancier dont j’ai si peur® Ie prix des articles deposes a la Vie Parisienne. Je doute qu’il Ie puisse. Quant aux lettres, je crois que je serai oblige de faire la chose moi-meme®. N’oublie pas de presenter mes amities a ma belle-soeur. Elle croit sans doute (je suis oblige de penser qu’on croit tout de moi) que je n’ai aucune affection pour elle. Mais je devrais au moins Iui savoir beaucoup de gre du soin qu’elle met a dimi- nuer tes ennuis. Dans une de tes lettres, celle qui a suivi mes remerciements relativement aux 200 fr. , tu te montrais inquiete de mes depenses. Voila ma situa¬ tion exacte : J’ai regu du Cercle Artistique 1 00 de toi 50 200 5° Ancelle 200 600 0) Ce mysterieux agent dont Baudelaire va reparler mainte fois, avant de s’adresser a Julien Lemer, ne serait-ce pas tout simplement celui-ci auquel il aurait difiere d’ecrire. (2) Sans doute Arondel ou Matigny, voyez la lettre 852. (3) II faut entendre : «Je crois qu’au lieu de m’en rapporter a I’ami dont je t’ai parle a la fin de ma derniere lettre (31 juii- let), je serai oblige d’aller offrir moi-meme mes Lettres beiges au Figaro )>. 19. 2p2 CORRESPONDANCE GENERALE Je devrais depenser par jour : Chambre 2 Dejeuner 2 Diner 2 50 sans vin 6.50 avec vin 3 9-5° Mais je ne depense au plus que 7 fr. , parce que , si dun cote, je bois du vin, — de I’autre, je ne mange pas, et pour cause. Done, a ce compte, j’aurais depense 7 fois 115 (il y a deja 115 jours!) c’est-a-dire 803 fr. Cependant le 7 juillet dernier, je ne devais que 135 fr. Et depuis Iors , je n’ai rien remis a mon hotel. II y a ici de belles choses en faience et en por- celaine , et plus d’une fois cela m’a fait penser a toi. Tu me reconnais bien la, n’est-ce pas? Penser a acheter au milieu de tels embarras! Mais Ies mar- chands beiges sont plus voleurs que tous Ies autres. Si mon agent de Paris pouvait me faire faire un marche tel quel pour mes trois volumes, quel sou- lagement pour Ie reste de I’annee ! Les Lettres beiges suffiraient a me tirer d’affaire pour Ie present, et meme je pourrais rapporter quelque chose. Je t’embrasse non seulement comme ma mere, mais comme I’etre unique qui m’aime. Charles. Tu n’affranchis pas tes lettres, suffisamment du morns. DE CHARLES BAUDELAIRE. 25>3 8^0. A LA MEME. Dimanche matin 14, [aout 1 864.] U). Mais, ma chere mere, c’est plus cjue je n’attendais. Done il y aura suffisamment pour Ies trois objets Iff Milie fois merci. Tu paries de regime bien a ton aise. Tout est mauvais, excepte le vin. Le pain est mauvais. La viande n’est pas mauvaise par elle-meme. Elle de- vient mauvaise par la maniere dont elle est cuite. Les gens qui vivent chez eux vivent moins mal. Mais I’hotel, le restaurant, la taverne a I’anglaise, tout cela est mauvais. Je dois dire du reste que I’etat de degout ou je suis me fait trouver toute chose encore plus mauvaise. Malassis a appris a sa cuisiniere a faire un peu de cuisine. Si je ne demeurais pas si loin de lud2), je crois vraiment que je Iui paierais une pension pour manger chez lui. Je vais me mettre aux lavements froids avec laudanum. Ce qu’il y a d’insupportable dans ces affections d’intestins et d’estomac, c’est la faiblesse physique et la tristesse d’esprit qui en resultent. Decidement, je crois que j’irai a Paris jeudi<3), je t’ecrirai, soit de Paris, soit d’ici, a mon retour. M C’est par erreur que cette lettre avait ete placee anterieu- rement en septembre. Le 14 septembre 1864 tombait un mer- credi, tandis que le iq. aout de la meme annee tombait bien un dimanche. W Poulet-Malassis habitait alors rue de Mercelis, 35 bis, fau¬ bourg d’lxelles. <3) Ce voyage a Paris, nous allons voir Baudelaire I’annoncer pendant pres d’un an, sans se decider a le faire. 2p4 CORRESPONDANCE GENERALE Dois-je reellement croire que tous ces articles que j’ai si douloureusement ecrits sur la peinture et la poesie n’aient aucune valeurvenale? Quand je pense a toutes Ies ordures et a toutes les niaiseries qui se vendent si facilement! Je veux savoir pourquoi mes articles ne parais- sent pas a I 'Opinion, a la Vie Parisienne , au Monde Illustre'W, et pourquoi la Vie Parisienne n’a pas en- voye 400 fr. a un homme que j’avais designe. La personne que j’attendais si impatiemment de Paris est enfin revenue (2). Elle me ditque mes Iettres sont acceptees avec joie. — Je n’en ai jamais doute, — • mais me voila bien avance. — Combien chaque Iettre sera-t-elle payee? Le journal se reser- vera-t-il de n’en prendre que quelques-unes ? Con¬ sent-on a me payer d’avance, et a ne publier que quand je serai revenu en France ? — aucune de ces questions n’a ete traitee. Je t’embrasse bien fort. Mes amities a ma belle-soeur. Charles. 851. A LA MEME. Lundi 22 sept. [aout?<3>] 1864. Ma bonne chere mere, j’ai eu Ie plus grand tort de te parler de ma sante beige, puisque cela t’a tel- Iement emue. A-t-on jamais vu une mere de ton O Voyez page 286, note 1. m Hetzel. <3> Le 22 septembre tombait un jeudi, tandis que le 22 aout tombait bien un lundi. Mais 1 autograpbe donne sept, avec une parfaite nettete. DE CHARLES BAUDELAIRE. 295 age vouloir se mettre en route parce que son fils a Ie ventre gate par un mauvais climat ! D’une ma- niere generate, j’ai une excellente sante, puisque je n’ai jamais eu aucune maladie. Que je soufire de quelques petites infirmites, rhumatismes, ne- vralgies, etc., qu’importe? C’est Ie lot commun. II faut se resigner. Quant a ce derangement* je te repete que j’ai vu d’autres Frangais pris comme moi, et ne pouvant pas s’accoutumer a ce vilain climat. Croirais-tu que Ie froid est deja revenu ici, et qu’apres quelques jours de chaleur molle et etouffante, I’ete est reparti? — D’ailleurs, j’ai peu de temps a rester. Je retarde mon voyage a Paris jusqu’a la fin du mois. Plus j’apporterai de manuscrit [sic] avec moi, plus j’aurai de chances pour remporter de I’argent. Quant aux cinq ou six villes que j’aurai a voir, je suis sur qu’une semaine me suffira pour cela. Je pourrai rediger cette partie du Iivre a Paris ou a Honfleur. Je n’ai pas besoin de te dire que si je me decide a faire publier Ie commencement avant mon depart, je t’avertirai. J’ai visite Malines. C’est une singuliere petite ville , tres devote , tres pittoresque , pleine d’eglises , de silence , de gazon , avec une musique perpetuelle de carillons^11. Je serais bien heureux, si je pouvais te trans- mettre a la fin du mois quelques bonnes nouvelles. Je t’embrasse de tout mon cceur. Charles. Tant que je n’aurai pas traite pour mes 4 vo- (1) Vovez la description de Malines dans Pauvre Belgique. C’est une des pages les mieux venues de cet ouvrage. 2 $6 CORRESPONDANCE GENERALE Iumes : Belgique, Paradis artijici els , et Contemporains , je serai inquiet et de mauvaise humeur. Dis-moi comment tu te portes. Tu mas rendu un fameux service, je t’en remercie encore. 8^2. A ARONDEL. 26 aout 1864. Je ne comprends rien, rien du tout a votre Iettre, je veux dire a I’importance de votre recom- mandation W. Je me souviens d’avoir dit a M. Matignj que je reviendrais de Belgique avec assez d’argent pour lui remettre 4 ou 5.000 fr. Mais j’ai ete ici completement dupe. Je ne con- naissais pas MM. Ies Beiges. Je voulais aliener pour plusieurs annees d’un seul coup trois ou quatre volumes qui m’appartiennent. Je songeais a la maison Lacroix. Mais j’ai trouve celui-ci pre- venu contre moi par la coterie Hugo; vieilles ran- cunes. Quant aux lemons publiques, qui ont eu d’ail- Ieurs un grand succes, j ai ete dupe a un degre que je nose pas dire. Je n’avais pas de traite ecrit. Bref, il a fallu que je fisse un Iivre sur la Bel¬ gique, pour que mon voyage ne me fut pas abso- Iument inutile et pour payer une partie de mes de- \ N°us.n av?ns Pas cette Iettre. Mais il est presumable qu’A- rondel, qui avait partie bee avec Matigny, avait recommande a Baudelaire de prendre en seneuse consideration Ies esperances de reglement qu il avait donnees a Matigny DE CHARLES BAUDELAIRE. >97 penses. Mais il faut que je visite soigneusement tout Ie pays, ce qui rejette mon retour a un mois. Je pars demain ou apres-demain pour faire cette tournee de ville en ville. — J’ai ecrit a Paris a un agent d affaires ^ de traiter avec un Iibraire de Paris cette affaire de mes volumes et je lui ai donne carte blanche. Seulement je crois qu’au lieu d ahener dun seul coup les benefices pro¬ bables de plusieurs annees, il sera oblige de trai¬ ter pour moi a tant par lirage , ce qui donne de petits resultats successifs. Je me retrouverai done, relativement a votre creance, dans la meme position qu’auparavant, c est-a-dire oblige d’etre assez econome pour faire des versements successifs, trimestriels peut-etre. II est evident que 1’affaire conclue, la part de M. Matigny sera faite. Mais je vous previens que s il montre I’mtention de faire un eclat et de me poursuivre, je me deciderai a ne pas retourner en France (quelque desagreable qu’il me soit de vivre ici), ne fut-ce que pour echapper a ses longues Iettres et a ses longs discours. M. Mati¬ gny me rendait a Paris la vie insupportable. C’est pour vous que je suis venu ici, avec force illusions. C’est une campagne manquee. II faut songer a un autre moyen. Quand je retournerai a Paris, mon premier soin sera de m’informer du resultat de mon affaire, et de I’offre que je pourrai faire a M. Ma- tjgny- Bien a vous. Ch. Baudelaire. Voyez page 291, note 1. 298 correspondance generale J’ai I’adresse de M. Matigny. Je suppose que Namur, Anvers et Malines que je connais deja un peu, Liege [sic], Gand, Bru¬ ges, Tournai, Audenarde, etc. ne me tiendront pas plus d’un mois. — Je vous previens, si cela peut vous interesser, que malgre la volerie beige, il y a encore ici de bonnes affaires a faire dans Ies bois sculptes et dans Ies belles faiences. Pas a Bruxelles, evidemment. — Et aussi dans Ies ta¬ bleaux, mais dans Ies primitifs (1). 853. A MADAME AUPICK. Vendredi 26 aout [ 1 864 J Ma chere mere, je m’ennuie a un degre que tu ne peux pas deviner dans cette chambre glacee (et toute blanche), et quoique generalement j’aie peur de tes Iettres, parce que je crains toujours d’y trouver des sermons et des reproches (que je me fais si bien a moi-meme), j’attends toujours im- patiemment ces memes Iettres. Tu me dirais Ies choses Ies plus desagreables que j’y prendrais encore plaisir. — Comment vas-tu? Ton jardin t’amuse-t-il toujours? Ton ecriture meme me fait du bien. Tu sais que je vais a Paris Ie ier ou Ie 2 septembre. J’ai charge un agent d’affaires de la (1) On se rappelle au’Arondel etait marchand d’antiquites. W Le mdlesime a disparu avec un coin de la piece autogra- phe. Mais il n’y a aucune raison de placer ce billet en 1865, comme on I’avait fait anterieurement, car Ie 26 aout de cette annee-Ia tombait un samedi tandis que celui de 1864 tombait bien un vendredi. DE CHARLES BAUDELAIRE. 299 vente de mes volumes. Rentrer dans Paris, pour moi, c’est rentrer dans 1’enfer, mais j’irai. Je t’embrasse, et jamais une journee ne se passe sans que je reve a toi. Charles. 854. A NADAR. [Monsieur Tournachon.] 30 aout 1864. Mon cher Nadar, Je ne serai probablement plus a Bruxelles a I’epoque des fetes, car tout mon temps, du 8 au 20 septembre, sera consacre a des excursions en province (1b Puisque tu avais la gracieuse intention de m’of- frir une place dans ta nacelle (2), veux-tu me per- mettre de reporter cette faveur sur M. O’Con¬ nell (3), le meilleur compagnon , je crois, que tu puisses trouver? Tu connais ma defiance relativement a MM. Ies Beiges. Done, je ne te serai pas suspect en te vantant M. O’Connell (qui d’ailleurs n’est pas Beige, comme son nom Ie prouve). Si tu de¬ sires un homme gai, adroit a toutes Ies gymnas- tiques, assez connaisseur en toutes mecaniques et amoureux de toutes Ies aventures possibles, tu trouveras toutes ces qualites en Iui. Tres naive- O) Le motif dont on voit Baudelaire exciper ici ne Iaisse pas d’etonner, car c’est du 23 au 26 septembre qu’allaient se derou- Ier Ies fetes par Iesquelles la Belgique celebra Ie 34“ anniversaire des Journees Iiberatrices de 1830. (2) Voyez page 305, note 2. P) Nous ne savons rien de Iui, sauf que son nom figure dans VAlmanach du Commerce de Bruxelles pour 1865. 3oo CORRESPONDANCE GENERALE ment, il s’etait avise de se faire presenter a toi par Arthur W, qui, comme tu sais, passe en France pour Ie Roi des Beiges et en Belgique pour I’Em- pereur des Francis, et naturellement se vante de faire executer sa volonte dans ces deux pays. J’ai dit a M. O’Connell que tout cela etait fort niais, et que je croyais qu’un mot de moi adresse a M. Nadar, ferait beaucoup mieux. Je vais Iui ecnre que je tai ecrit, et que si je suis absent Iors de ton arrivee, il ait tout simplement a te faire une visite. Chacun dit ici : ((Je monterai avec Nadar » (ces gens-Ia suppriment Ie « Monsieur », la familiarite etant Ie fait des brutes et des provinciaux). Mais mon opinion et celle des gens senses est que tous les amateurs de voyages dans Ie ciel s eclipseront au dernier moment. Ce M. O’Connell m’a bien fait rire, il y a quelques jours ; ne s’avise-t-il pas de dire tres cor- dialement a Arthur, devant plusieurs personnes : «Mon pauvre Arthur, vous et moi qui sommes du sang de cocus...» A propos d’Arthur, ne repete pas me s farces. Ce bougre-Ia a failh deja me procu¬ rer plusieurs querelles; il me surveille, jusqu’a ce point d’examiner tous mes papiers. (II est maintenant, grace a ses recherches, bien convaincu de ta prudence et de la solidite de ton ballon; aussi, je le crois a peu pres decide^1.) .0) Publiant cette Iettre dans son Charles Baudelaire intime, Le poete vierge (A. Bla.zot 191 1, pages 1 13-, ,6), Nadar avail modifie ies passages relatifs a Arthur Stevens. On Iisait ici : «de se faire presenter par qun..» et, dans Ie paragraphe 5 : «A...» au lieu d « Arthur,), et «Ce type- la » au lieu de «Ce bougre- 1A». . f n.note, dans fe texte de Nadar : ((Illusion de pronostic : le « lavori » de Baudelaire se derobe a la corde [...]» DE CHARLES BAUDELAIRE. 3DI Mon ami, tu avais bien raison. Je m’accroche toujours. Croirais-tu que moi , j’aie pu battre un Beige? C’est incroyable, n’est-ce pas? Que je puisse battre quelqu’un, c’est absurde. Et ce qu’il y avait de plus monstrueux encore, c’est que j’etais completement dans mon tort. Aussi , I’esprit de jus¬ tice reprenant Ie dessus, j’ai couru apres I’homme pour lui faire des excuses. Mais je ne 1’ai pas retrouve. L’adresse de M. O’Connell est Chausse'e de Haecbt, iiy Je m’attendris un peu, comme Hetzel, tres inutilement et je t’embrasse. Presente mes respects a Madame Nadar. C. B. J’irai peut-etre te dire bonjour a Paris dans trois ou quatre jours. 855. A MICHEL LEVY. 31 aout 1864. Mon cher Michel, j’attends toujours ma sixieme feuille, avec les corrections executees. — Je vous ai ren- voye deux feuilles (4” et jc) que j’ai revues ici avec un grand etonnement, ces deux feuilles portant deux fois le bon a tirer, I’un de vous, I'autre de moi (c’etait sans doute pour M. Ra^on) (1). J’ajoute ceci : qu’est-ce que c’est que ce « Double (») II s’agit des Histoires grotesques et serieuses que Simon-Ragon imprimait pour Levy. 302 CORRESPONDANCE GENERALE assassmat dans la rue Morgue » paru, il y a deux ou trois mois, dans le Petit Journal, sans nom de traducteur, avec la signature d ’Edgar Poe, et sous la rubrique : «Chronique judiciaire» ? — Si c’est vous qui avez permis cela a M. Miilaud W, je n’ai rien a dire; puisque vous etes Ie proprietaire de mes traductions. — Mais je puis soupfonner que vous lignorez, et d’ailieurs, je suis passablement exaspere par tous ces plagiats et ces reproductions non autorisees. J ai trouve ici dans des journaux et des livres aliemands (comme j’en avais deja trouve dans des journaux anglais), de longs fragments de mes hires ou de mes articles, tires cependant de jour¬ naux franfais peu connus. Tout a vous. C. B. Pensez a M. Pauchet ( Marie Roget), et a Yriarte ( Docteur Goudron et professeur Plume ) W. ; La Chronique judiciaire est en Varietes, pas d’annonce ni de reclame pour le livre, — me dit¬ on. Je ne puis pas me persuader que cela ait eu lieu sans permission donnee par vous. — Cepen¬ dant, en supposant votre autonsation, pourquoi supprime-t-on mon nom ? Si cela a eu lieu sans votre autorisation, I’identite des deux textes suffit pour prouver le plagiat; je suis deja frappe par / identite des deux tilres. LJne publication avait ete faite autrefois par M. Forgues sous ce titre : L’as- sassinat de la rue Morgue (1) Le directeur du Petit Journal. <1 2) 3 Voyez page 286, note 1. (3) Nous l’avions signalee dans Ies HlSTOIRES ExTRAORDl- N AIRES , p. ^23.. DE CHARLES BAUDELAIRE. 3°3 856. A ANCELLE. Vendredi 2 septembre 1864. Mon cher ami , J’esperais pouvoir partir avant-hier matin, 31 aout, et diner chez vous, le soir; mais je ne m’en sens pas Ie courage ; je voudrais que tous mes livres fussent vendus par l’agent d’affaires que j’ai charge de cette commission a Paris (1); je veux trainer encore ici une existence de vegetal; pen¬ dant une quinzaine; — et enfin, pour tout dire, je suis singuherement affaibli par 4 mois de coliques. Je suis content de mon Iivre; tout ce qui est moeurs, culte, art et politique, est fait. II manque la redaction de mes excursions en province'2). Je ferai cela a Honfleur. J’ecris a M. de Viliemessant de ne rien publier avant mon retour en France (3). Vous devinez pourquoi. Je suis tres mal vu ici. D’ailleurs, je ne me suis pas gene pour crier tout haut ce que je pensais. Et puis on sait que je prends des notes partout. Le Congres de Malines a commence. Cela nous regarde. M. Dupanloup y a produit un grand effet avec son discours sur 1’ instruction publique. 0) Voyez page 291, note 1. (*) Baudelaire une fois de plus prenait ses desirs pour la rea- Iite. II y a, dans Pauvre Belgique, des pages achevees; mais elles sont rares, et Ie manuscrit se compose surtout de notes dont beaucoup se repetent. (3) Finalement Baudelaire apres bien des tergiversations renon- cera a ecrire au directeur du Figaro, voyez page 329. 304 correspond ance generale M. Dupanloup n’a aucune peine a passer pour un aigle dans un pays tel que celui-ci W. Je connais Malines, et, si Malines n’etait pas en Belgique, et peuplee de flamands, j’aimerais y vivre et surtout y mourir. Combien de carillons, combien de clochers, combien d’herbes dans Ies rues, et combien de beguines! J y ai trouve une egiise de Jesuites merveil- leuse (2), que personne ne visite. Enfin jetais si content que j ai pu oublier ie present, et j’y ai acliete de vieilles faiences de Delft. — - Beaucoup trop cher, cela va sans dire. Tout ce peuple est abruti ; Ie passe seul est interessant. Jetez un coup d’oeil, je vous prie, sur cette etrange lettre de M. Arondel qui, depuis 20 ans (et plus) qu il m assassine, ne sait pas encore 1’or- thographe de mon nom. Vous connaissez par coeur I’affaire Arondel. Je crois serieusement que j’ai reyu de lui 4.000 fr. Je lui ai souscrit dans ma jeunesse des efifets pour 15.000 fr. II a vendu la creance, ou bien emprunte 2.400 fr. sur la cieance a un nomme Raymond Matigny. Repondez-moi autre chose que vos horribles phiases habituelles qui equivalent a rien. Daignez me donner un avis seneux sur ce qu'on pourrait ) Congres catholique international, reuni pour deliberer des interets de ia Foi et de I’Eglise. La deuxieme session sen 4tait ouverte Ie 29 aout et, Ie 31 , Ie celebre £v6que d’Orleans, dans un discours acclame par toute I’assistance, avait preeonise la dif¬ fusion de I instruction tout en s’opposant a la secularisation de l enseignement. w Voyez page 295, note 1. DE CHARLES BAUDELAIRE. 305 faire pour me debarrasser de ce fleau de ma vie. — Je Iui ai repondu que toutes mes affaires en Belgique avaient manque, et que si son Raymond Matigny avait I’intention de me persecuter, je ne rentrerais pas en France (1). Serieusement, j’ai Ie plus grand desir d’y ren- trer; mais if faut voir et travailler encore un peu. Et puis ma mere ! et puis mon jardin ! et mes Iivres ! et mes collections ! J’ai charge un agent d’affaires litteraires de me vendre (a condition de lui faire une petite part dans la rente') les trois ouvrages suivants : Paradis artifi- ciels , Pauvre Belgique! et Ref exions sur mes contem- porains. J’attends avec inquietude une reponse; mais toutes ces manoeuvres du metier ne vous interessent gueres. Si par hazard, j’etais encore ici le 25, ce qui est bien douteux, je partirais avec Nadar qui m’a gentiment offert une place dans sa nacelle. Fuir ce sale peuple en ballon, aller tomber en Au- triche, en Turquie peut-etre, toutes les folies me plaisent, pourvu qu’elles me desennuient (2)N — (0 Cette reponse figure ici sous notre nuraero 852. (2) Nadar venait d’arriver a Bruxelles pour s’entendre avec les autorites au sujet de la troisieme ascension de son fameux ballon spherique Ie Geant, qui devait constituer «le clouw des fetes par Iesquelles la Belgique allait celebrer Ie trente-quatrieme anniversaire de ses quatre « glorieuses ». Cette ascension eut lieu Ie 26 septembre, — sans autre accident qu’une descente imprevue a Ypres — et il s’en fallut de bien peu que notre poete n’eut I’occasion, ce jour-la, de verifier personnellement les emotions et les calculs qu’Edgar Poe, et lui-meme en tant que son traducteur, avaient pretes au heros du Canard au ballon et a Hans Pfaall. Void d’ail- Ieurs, en substance, et degages du cruel «romancement » qui les empate, quelques renseignements substantiels qu’a apportes a ce sujet Georges Barral, I’assistant de Nadar, dans son memorandum , «Quatre journees avec Baudelaire)) (publie par M. Maurice IV. 20 jO 6 CORRESPOND ANCE GENERALE J’ai vu ici Nadar et Hetzel; celui-Ia m’a donne deux mois pour achever Les Fleurs du Mai et Le Spleen de Paris. • Voici 50 fr. auxquels vous ajouterez 150 fr. (dont voici Ie regu) et vous deposerez le tout entre les mains de mon ancien hotelier, M. Jous- set, rue d' Amsterdam. II ne sera pas mal de Iui prendre un regu de 200. Aujourd’hui meme, entendez-vous ? C’est-a- DIRE DEMAIN, PUISQUE JE VOUS ECRIS, LE 2. - Je vous en supplie, ne me faites pas la farce de deli- berer io jours la-dessus. J’aurais du porter ou en- voyer cet argent le ier. — II y a plus de six semaines que je ne vous ai rien demande. Si cet homme, a qui je dois encore, vous faisait quelques questions, dites simplement : ce que je Kunel dans les CEuvres libres, juin 1932) : Dans la matinee du 26, Barral, sur l’ordre de son patron, va chercher notre poete qui l’attendait, plein d’impatience, a 1’Hdtel du Grand Miroir, et, apres qu’ds ont fait connaissance et dejeune de compagnie, I’emmene sur une hauteur voisine de I’ancienne porte de Scliaer- beck, oil le Geant est amarre. La, a pied d’ceuvre, il 1’initie aux rudiments de la science aeronautique et Iui explique l’utilite et Ie fonctionnement de tout un arsenal de boussoles, sonneries, ther¬ mometres, hydrometres, pluviometres , barometres, etc. qui gisent aupres du ballon, dans une caisse. Baudelaire, plein de zele, voire d’enthousiasme, 1’aide a les en tirer et a les fixer dans la partie superieure de la nacelle qui n’est pas encore arrimee au cercle du filet. La-dessus, Nadar arrive pour donner Ie regard du capitaine au gonfiement du ballon que des soldats retiennent au sol. Puis c’est Ie Roi, a qui 1’aeronaute veut presenter Ie poete, Iequel se derobe hativement, pretextant Ie neglige de sa toilette. (En realite elle aurait, paraft-il, parfaitement convenu en la cir- constance, n’eut ete une certaine La Valliere rouge a carreaux blancs qui tirait un peu trop foeil)... Maintenant le Geant se ba¬ lance. L’instant des adieux approche. Nadar fait I’appel de ses passagers qui grimpent dans la nacelle. Mais elle s’avere trop chargee, les derniers inscrits doivent descendre — dont Baude¬ laire, a sa vive deception. DE CHARLES BAUDELAIRE. 3 °7 crois , c est que M. de Villemessant , a ma priere , va lui donner de iargcnt. Et ne me nuisez pas. J ai besom de passer 3 ou 4 jours a Paris. II m est impossible de decider quel jour je partirai. J ai 1’estomac et le ventre en revolution. Tout de suite , les 200 fr. a Jousset. Et ecrivez-moi a propos d'Arondel. Histoires grotesques et serieuses vont paraitre. Enfin ! Si vous saviez quel supplice, de corri- ger un livre a I’etranger, avec une loi postale absurde, et sans ressources d information ! Bruxelles se fait passer, bien a tort, pour une capitale. La vraie capitale serait Anvers, si une capitale pouvait etre un simple centre de commerce. Je vous remercie bien vivement de toute I’affec- tion que vous m’avez toujours montree, et que j’ai quelquefois payee par un peu de brutalite (1). Presentez mes respects a Mad. Ancelle, j’allais dire, avec une etourderie impardonnable : — et a votre mere. Ah! mon cher ami, j’ai quelquefois le cerveau plein de noir; conserverai-je ma mere aussi Iongtemps que vous avez conserve la votre? C. B. Jousset , 22 rue d’ Amsterdam. Si vous n’allez pas a Paris demain samedi 3, envoyez un commissionnaire avec les 200 fr. (1> Ce mot dut alter au coeur d’Ancelle : il I’avait attendu pendant vingt ans. CORRESPONDANCE GENERALE 308 857. A LOUIS MARCELIN (1) 9 octobre 1864. ... Ma derniere Iettre a croise votre paquet(2). — M. Levy ou M. Parfait, vous remettra dans quelques jours Ies epreuves corrigees d’HABiTA- tions ima gin aires , et vous pourrez plus commode- ment juger sur un texte imprime de la quantite de coupures necessaires. La partie pittoresque etant appuyee sur Ies considerations morales, il me parait bon de supprimer le morns possible de ces der- nieres. Mais, c’est la, direz-vous, une opinion d ’auteur, Je vous assure que tous les directeurs (de theatres, de revues et de journaux) ont une malheureuse propension de supposer le public plus obtus qu’il n’est. Je ne peux pas comprendre I’affaire du Son- net (3); je ne vous ai jamais envoye de vers. J igno- rais que des vers pussent vous faire plaisir. Si je I’avais su, il y a longtemps que je vous en aurais envoye. Je serai a Paris avant la fin du mois et je vous rapporterai sans doute deux paquets... Peut-etre, quand vous aurez Ies epreuves de Levy , ferez-vous bien de parcourir le tout de nou- Directeur de la Vie parisienne. (a) Cette ((derniere Iettre » ne nous est pas parvenue. Quant au paquet, on croit deviner — qu’il contenait, en retour les manu- scrits de trois morceaux traduits de Poe : Le Domaine d’Arnbeim, Le Cottage Landor et Philosophic d’Ameublement que le traducteur avait reunis sous le titre de HABITATIONS 1MAG1NAIRES , titre qui semble avoir ete de son invention. Voyez page 286, note 1. (a) Voyez la note 1, page suivante. DE CHARLES BAUDELAIRE. 309 veau, et, saisissant plus facilement tout ce qu’il y a d ingemeux dans la theorie, diminuerez-vous l etendue des coupures. — En tout cas faites ce que vous voulez; — seulement des lignes de points, et une petite note explicative. J’ai cherche dans ma tete ce que pouvait etre ce sonnet (que j’ai detruit), a propos de la Boschetti — et que je n’ai montre qu’a deux personnes. Peut-etre en aura-t-on pris copie... Ch. Baudelaire. 858. A ANCELLE. Jeudi, 13 octobre 1864. Mon cher Ancelle, Ie tres long temps que j’ai pris pour vous repondre vient de plusieurs causes differentes. La premiere est que j’ai ete malade de nouveau (mais il ne faut pas ecrire cela a ma mere, si toutefois vous Iui ecrivez). Cette fois, a) II s’agissait du sonnet : Sur les debuts ,d’ Amina Boscbetti qui prendra place dans les Bouffonneries des Epaves. Nous I’avons reproduit dans Les FLEURS DU Mal, p. 288-289. On en trou_ vera aussi Ie canevas dans Pauvre Belgique [JUVENILIA, CEuvres POSTHUMES, Reliquiae , t. II). De I’aimable Amina, Ylnde- pendance beige, par la plume de Gustave Frederix, avait fait les 10 et 12 septembre un assez vif eloge. Mais a la vente cette dan- seuse, desservie par une taille et des jambes epaisses, n’avait guere mieux reussi au Theatre de la Monnaie de Bruxelles qu’a l’Opera de Paris, I’hiver precedent. — Nous ignorons pourquoi Baude¬ laire pretendait avoir detruit son sonnet, et pourquoi la Vie parisienne continuait a s’interesser a cette artiste envers Iaquelle ses redacteurs ou illustrateurs ne s’etaient pas toujours montres indulgents (voyez notamment annee 1864, tome II, page 154). 3 I O CORRESPOND ANCE GENERALE ce n’est plus Ie ventre, c’est une fievre qui me reveille a une heure ou deux heures du matin et qui ne me permet de me rendormir que vers 7 heures. Cet accident journalier me fait voir dans Ies tenebres une foule de belles choses que je voudrais bien decrire; mais malheureusement il en resulte une tres grande fatigue qui se pro- Ionge a travers la journee. La seconde raison est que malgre Ie ton char- mant et cordial de votre Iettre et la bienveillance de votre offre, je m’obstinais a me passer de vous. Aujourd’hui, il m’est demontre que cela n’est pas possible. — Comprenez bien : — Les fragments que j’ai faits represented bien 1.000 fr. Mais je ne Ies Iaisserai pas publier, tant que je serai en Bel¬ gique. — Done, il faut que je rentre en France pour avoir de I’argent, et il me faut de I’argent pour m’en aller, — et aussi pour recommencer une excursion a Namur (1), Bruges et Anvers 7 ' O (questions de peinture et d’architecture ; six jours au plus). — II y a done la un cercle vicieux. M. de Villemessant ( Figaro ) attend impatiemment mes articles. Lui demander de I’argent, et Iui dire en meme temps : Ne publiez pas encore, — franche- ment ce serait abuser de sa complaisance. — Et puis ces mille fr. que j’attends de mes fragments ne seront peut-etre payes qu’au fur et a mesure de la publication. J’aurai en plus a toucher Ie prix du Iivre chez un libraire. Mon Iivre n’est pas fini ; je Ie finirai a Honfleur, ou j’emporterai toutes mes notes. Sans doute ces faiences de Delft dont il avait parle dans la lettre 856, page 304. DE CHARLES BAUDELAIRE. 3 I 7 dans votre Iettre une somme quelconque, comme 500 fr. — Je tremble d’etre indiscret. Personne n’a jamais 1.000 fr. dispombles immediatement. Peut-etre serez-vous oblige de vous cotiser avec ma mere pour faire Ie total ; — mais envoyez-moi ce que vous pourrez tout de suite, c’est-a-dire le 15 au matin. On a eu beaucoup de complaisances pour moi tant que j’ai paye ; mais , depuis deux mois 1/2 , on me fait la mine ; j’ai promis pour samedi matin, 15 , et je suis ici un etr anger. Mon cher, cette Iettre m’a extenue. Quand j’ai ecrit seulement une cinquantaine de Iignes, j’ai la tete embarrassee. Je voulais ecrire a ma mere ce soir pour Iui rendre compte de tout ce que je vous dis. Je ne Iui ecrirai que demain matin, vendre- di 14; elle aura done ma Iettre samedi 15, Ie matin ou le soir. — C’est moi qui vous ai envoye quelques Iivraisons du compte rendu du congres de Ma- Iines. Vous avez vu que Ie discours de Dupan- Ioup manquait. II a paru dans une Iivraison qui m’a echappe. II a ete edite depuis Iors a Paris, rue de Tournon, chez Douniol. Votre fameux pere Felix ® ne m a pas interesse. C’est un Ciceron. Le discours du pere Hermann® m’a paru tres remarquable et tres curieux. Je savais que I’operation que vous avez du subir n’etait ni dangereuse, ni tres douloureuse. Le celebre predicateur de Notre-Dame de Paris avait pris pour theme la devise de saint Augustin : In necessariis unitas , in dubiis libertas, in omni re caritas. , , . W Figure tres curieuse : Israelite converti ; a vingt ans pia- niste et compositeur et remphssant aupres de Liszt des fonctions de secretaire, assistant, copiste, etc.; devenu Supeneur du cou- vent des Carmes, a Londres. 3 I 8 CORRESPONDANCE GENERALE Seulement, il faut bien faire attention a une cer- taine chose : — autant que je peux me souvenir, ces kystes ou ces arnas graisseux reviennent a la meme place ou a une autre, quand on ne suit pas, pen¬ dant un certain temps, un certain regime (que je ne connais pas), apres I’operation. Ne m’oubhez pas demain. Presentez mes respects a Madame Ancelle. C. B. Je vous rapporterai un curieux hvre sur I’em- pire, un Iivre digne d etre lu, et non pas une sot- tise d’exile 859. AU MEME. Dimanche 23 octobre 1864.. Cher ami, Je commence par vous remercier tres cordia- Iement de tout ce que vous voulez bien faire pour moi. r Seulement, je suis tres perplexe. D’abord je ne montrerai votre engagement qua la derniere extre- mne, — par exemple, si on me tourmente ici dans la semaine qui commence demain. Je ne vois pas d’autre mojen de me tirer d’affaires [51c] que de tourmenter mon homme d’affaires pour qu il conclue au plus vite, et cependant il eut ete avantageux de ne pas me presser; — ensuite, ecrire a Villemessant que, malgre ma repugnance a laisser (I) Voir page 332, note 2. (J) Voir page 291, note 1. DE CHARLES BAUDELAIRE. 3 1 9 paraitre mes articles pendant mon sejoar ici, je l’y au¬ torise immediatement. — Enfin, j’irai a Paris et je tomberai sans doute chez vous le 31 ou le ier. Si je trouve de I’argentchez Villemessantou chez mon Iibraire, je I’appliquerai aux dettes de Bruxelles, mais cela ne vous dispensera pas de tenir votre parole (600 fr.) puisque je destinais a d’autres creanciers 1’argent que je compte trouver a Paris. Alois je retournerai a Bruxelles, oil je me fiche parfaitement des mines sombres que je rencon- trerai ; j’irai prendre de nouvelles notes a Anvers, Bruges et Namur (1) (6 jours) et je retournerai a Honfleur immediatement, peut-etre par mer(2). Comprenez bien mon embarras; — ou aller chercher de 1’argent a Pans, ou rester ici jusqu’au 20 novembre(3f Franchement, c’est trop long! Je veux vous rendre compte de 1’emploi de votre argent. Sur Ies 200 fr. du 17, j’ai donne 180 fr. a I’hotel. II parait que bien que je dusse encore 134 fr. Ie ier aout, je ne devais que 468 fr. , le 23 septembre. — 468 donnes... 180 Restent done 288 fr. que je devais encore, le 23 sept. Depuis Iors, en comptant 7 fr. par jour, jusqu’a la fin d’oct. (37 jours x 7 francs), nous trouvons 239 auxquels j’ajoute Ies 288 frs restants Total... 547 fr. (*) Une fois encore, dans Ie recueil du Mercure, I’editeur avait remplace — pourcjuoi, on I’ignore — Namur par Malines. ) Quatre mois et demi devaient encore s’ecouler avant la mise en vente. (’) Voyez la note 1, a la page precedente. 328 CORRESPONDANCE GENERALE 864. A ANCELLeW. Dimanche soir, 13 novembrc [1864]. Mon cher ami, N’oubliez pas la date, tres importante, de di¬ manche prochain, 20 novembre <2) . Pour que je puisse avoir vos 600 fr. dimanche a 8 h. du matin, il faut que vous Ies mettiez a la poste samedi plus tot que vous ne feriez dans Paris, puisque vous habitez la banlieue. II y a une difference dans Ies levees de poste dont il faut tenir compte. Si j’ai vos 600 fr. dimanche matin, je serai a Paris a 9 h. du soir. Cette fois, je vous en supplie, ne brouillez pas mes plans. — Croyez bien qu’il n’y a la aucune espece de reproche pour vous. Je vous suis tres reconnaissant de votre offre gra- cieuse, mais la difficulte, pour vous, de repondre, immediatement et completement, a ma demande du 13 octobre, a completement bouleverse mes projets. Apres avoir donne vos premiers 200 fr. a f Hotel, je n’avais plus que 400 fr. a remettre; a present c’est a peu pres 600, par suite de ce se- jour prolonge d’un mois. Je sais que Ie ier de ce mois, c’etait 517. — Voila trois fois de suite que je dis a la maitresse de cet Hotel que je vais la payer immediatement, et trois fois que je Iui manque de a (l) Dans le texte autographe, nombre de mots biffes et aussi- tot repetes. — En marge, ,de la main d’Ancelle, comme sur beaucoup d’autres lettres : Ecrit a Mme Aupick. (i) On se rappelle I’engagement pris par Ancelle (voyez pages 318-319). DE CHARLES BAUDELAIRE. 329 parole. — Ne m’oubliez pas, je vous en prie (sa- medi , pour dimancbe matin) , car malgre ce que je vous ai ecrit, l’horreur que j’eprouve a laisser publier mes fragments, pendant que je suis ici (et a n avoir pas d’epreuves /) m’a empeche d’ecrire a ViIIemessant(1). Simon Ra9on me cause Ies plus grandes coleres par son service d’epreuves sans cesse inter- rompu (2). De meme L Opinion nationale <3). De meme tout le monde. C’est un parti pris, je crois, chez tous Ies hom¬ ines, de ne jamais faire, juste a I’heure dite, ce qu’ils ont a faire. Ce reproche contre tout Ie monde est bizarre dans ma bouche, puisque je suis moi-meme, a cet egard, un des plus grands coupables. — Mais je m’applique tous les jours a me corriger. Je suis convaincu que la fortune d un imbecile vient de cette qualite, et que la pauvrete d un homme de genie tient a l’absence de cette qualite. J’ai tache d’utiliser ce dernier mois en entrant plus avant dans certaines questions (par exemple, I’instruction publique), et j’ai fait les decouvertes Ies plus droles. Napoleon Ier, Louis-Philippe, et surtout Ie sieur Duruy (qui veut faire de la France une Belgique w) regnent encore ici. — Si je peux 0) Des fragments de Pauvre Belgique. <5-3) Simon Rafon, a cause de ses retards dans I’envoi des epreuves des Histoires grotesques et serieuses. — L’ Opinion nationale, parce qu’on n’y prenait pas la peine de repondre a ses lettres. <4> En substance orientees vers I’instruction gratuite et obliga- toire comme vers un enseignement special negligeant les langues mortes et etendu aux filles, reformes qui figuraient pareillement au programme des liberaux beiges, les innovations nombreuses 3 3° CORRESPONDANCE GENERALE trouver k Paris un editeur courageux (car le Figaro n’osera pas imprimer tout Ie livre), je dirai des choses plaisantes. — Les ministres, ies depu¬ tes, Ies hommes charges des affaires Ies plus graves, ne savent ni Ie sens des mots, ni I’ortho- graphe, ni la construction logique d’une phrase fran^aise ou Iatine. — II est vrai qu’en France on n’en sait gueres davantage. Je suis, en somme, incompletement content de moi. La secousse que vous m’avez causee par votre retard m’oblige a renvoyer au printemps I’analyse de certains aspects de province. Mais pendant 40U 5 mois, j’aurai Ie plaisir de faire im¬ primer Ies deux tiers du livre (1). J’ai a faire une vingtaine de visites a Paris. Je crois que je pourrai faire cela, en une semaine. — Ce livre sur la Belgique est, comme je vous I’ai dit(2), un essayage de mes griffes. Je m’en servirai plus tard contre la France. J’exprimerai patiem- ment toutes Ies raisons de mon degout du genre humain. Quand je serai absolument seul, je cher- cherai une religion (Thibetaine ou Japonaise), car je meprise trop Ie Koran, et au moment de la mort, j’abjurerai cette derniere religion pour bien montrer mon degout de la sottise universelle. — Vous voyez que je n’ai pas change, et que la Bel¬ gique elle-meme n’a pas reussi a m’abrutir. Si je pars dimanche a 3 h. , ce qui depend de et hardies de Victor Duruy, notre ministre de I’lnstruction pu- blique depuis I’annee precedente, etaient alors l’objet de discus¬ sions passionnees, surtout chez Ies catholiques. — Nlais on verra par la fin de cette lettre comme par la suivante que ce n’est pas sur Ie terrain de ceux-ci aue Baudelaire se plafait. (1> Projet qui fut abanaonne. Voyez page 313. DE CHARLES BAUDELAIRE. 331 vos 600 fr., je serai a Paris vers 9 h. du soir. Je n’aurai done Ie plaisir de vous voir que lundi matin (1). Tout a vous. VeuiIIez presenter mes respects a Madame Ancelle. C. B. Ma mere m’ecrit de temps en temps des Iettres courtes, et ou je trouve un ton de tristesse (je n’ose pas dire d’affaiblissement) qui m’inquiete. Que savez-vous de sa sante? Car il se pourrait que par crainte de me tourmenter, elie me cachat quel- que chose. J’oubhais de vous dire que si j’avais votre ar¬ gent plus tot, je partirais plus tot. Quant au rem- boursement, je n’en parle pas aujourd’hui, parce que je suis certain que vous n’y croyez pas. 865. AU MEME. 18 novembre 1864. Mon cher ami, Je vous remercie. Je suis honteux vis-a-vis de ma mere. Comme je serais heureux de Iui rap- porter quelque argent! Dans quelques jours, je saurai si cela est possible. — - lei la poste ne depose pas Ies Iettres char¬ gees dans les hotels garnis. Elle laisse un avis qui vous invite a alier chercher la Iettre au bureau (!) II ne devait pas etre exact au rendez vous. 3 3 2 CORRESPOND ANCE GENERALE central. J’ai ete absent hier toute la journee. Je n’ai eu votre Iettre que ce matin. Dans deux jours, je ne devrai plus rien a Bruxelles. Je partirai mercredi, — (soit a 9 h. 1/2, si ma fievre me permet de me lever de grand matin; — - soit a 2 h. 1/2), et ainsi je serai chez vous, soit mercredi a 6 b. du soir, soit jeudi matin , a 10 h. , vous pouvez etre sur de cela(1). Je me souviens de vous avoir parle d’un livre qui m’a paru curieux, c’est sans doute une etude de la societe parisienne sous 1’empire actuel, par un Allemand®. Je connais la brochure (3) a laquelle vous faites allusion. C’est tres juvenile , enfantin meme, mais c’est d’un homme qui sent juste. Vous me parlez de 1’ instruction publique beige. J’ai fait des efforts pour comprendre cette organisa¬ tion, et je n’ai pas pu y reussir. Tout ce que j’ai clairement compris, c’est que les etudes Iitteraires etaient detestables, et que les jeunes gens rece- vaient en general une meilleure instruction scien- tifique. Pas de latin. Pas de philosophic. Beaucoup de sciences physiques. C’est ce que j’appelle la sottise moderne, Yecole Duruy. A bientot. Tout a vous. C. B. Je vous remercie de toutes vos bonnes paroles. Je vous apporterai votre livre. Mais ce n’est une merveille que relativement. !* ^°'S *?e, P^us Baudda*re allait remettre son depart. ( * Deja vante a Ancelle dans la Iettre 858, cet ouvrage sera designe dans cede du 18 decembre (n° 867), in fine. (3) Nous ignorons de quelle brochure d s’agissait. DE CHARLES BAUDELAIRE. 333 866. A MICHEL LEVY W. 2 decembre 1 864. Mon cher Michel, je sais que vous etes plein d’affaires, et j’ai quelque honte a vous tourmenter. Mais vraiment ce qui se passe a mon egard est-il concevable? Je croyais que la fabrication des alma- nachs empechait M. Ra?on de s’occuper de moi. Mais les almanachs sont termines depuis long- temps. D’ailleurs on ne faisait pas d’almanachs en mai, juin, juillet et aout. — Ensuite j’ai cru que 1’annonce de mon retour vous empechait de m’envoyer la fin du Iivre; bref, j’esperais m’y remettre ce matin et achever la correction cette semaine. Dois-je enfin supposer quelque chose de mons- trueux et d’absurde, comme par exemple le parti pris de M. Rafon de fimr le hvre sans moi? Je repete de nouveau ce que je vous ai dit sur le grave inconvenient de mettre un trop long temps entre une epreuve et fautre, et je vous supphe d’abreger mon inquietude. Tout a vous. ^ n D. La 9e feuilfe contenait le commencement de Philosophic d’ Ameublement. Dermere phrase : Tout article de ce genre doit etre orne d’une, . . Ce qui reste a faire represente 4 pages (de (*) II s’agit toujours d’ Histoires grotesques et se'rieuses. Dans notre edition, page 206. CORRESPONDANCE GENERALE 334 raon texte) de Philosophic d’Ameublement , et 17 pa¬ ges de Genese d’un poeme , c’est-a-dire pour Simon Ragon une feuille et quelques pages. 867. A ANCELLE. Dimanche 18 decembre 1864.. Mon cher Ancelle, En revenant de Namur, ou j’etais alle de- meurer quelque temps chez M. Rops^, j’ai trouve votre derniere Iettre, et je reponds tout d’abord au post-criptum, que j’ai trouve un peu singulier, permettez-moi de vous I’avouer. Comment avez- vous pu me croire capable d’user deux fois de la meme valeur, — • de I’argent d’abord, et puis d’un ecrit representant la meme somme (2)? Une pareille (1) Bien que Felicien Rops eut sejourne a Paris au cours des annees precedentes, et meme s’y fut lie avec bien des familiers de Baudelaire, Louis Martinet, Braquemond, Delvau, Glati- gny, etc., c’est seulement en Belgique que le poete et I’artiste prirent contact, une Iettre de Rops a Poulet-Malassis en temoigne : ((Baudelaire est [...] 1’homme dont je desire le plus vivement laire la connaissance, ecrivait-il, nous nous sommes rencontres dans un amour etrange, 1’amour de la forme cristallographique premiere, la passion du squelette...» (fin mai 1 864) , et il de- mandait a Poulet-Malassis qui allait faire chez lui un petit sejour, de lui amener le poete a Namur. On sait quelle amitie s’ensuivit. Baudelaire et Rops, tous deux «conversationnistes» etincelants, tous deux epris de modernite et avides de nouveau, tous deux curieux du vice, des bouges, des filles; tous deux humanistes et ironisant a I’envi, ils devaient s’enchanter mutuellement. Nous verrons bientot Baudelaire ecrire : « Rops est le seul veritable artiste que j’aie trouve en Belgique », et Rops s’appliquer a realiser le fi ontispice que Baudelaire voulait pour ses Fleurs du Mai. (2> L’argent, celui dont notre auteur remerciait Ancelle le 18 novembre ; l’ecrit : l’engagement, celui dont il avait accuse reception le 23 octobre. DE CHARLES BAUDELAIRE. 33 5 action est definie par un mot fort vilain. Si je ne vous ai pas renvoye ce papier, c’est qu’il etait de- truit depuis ties longtemps. Vous desirez i’explication du mystere, c’est-a- dire pourquoi j’ai manque au rendez-vous. J’avais donne rendez-vous a bien d’autres qua vous, — a Michel Levy, par exemple. Au dernier moment, au moment de partrr, — malgre tout le desir que j eprouve de revoir ma mere, malgre le profond ennui ou je vis, ennui plus grand que celui que me causait la betise francaise et dont je soujfrais tant depuis plusieurs annees, — une terreur m’a Pns> — une peur de chien, I’horreur de revoir mon enfer, — de traverser Paris sans etre certain d’y faire une large distribution d’argent, qui m’assu- rat un veritable repos a HonfIeur(1f Alors j’ai ecrit des lettres a des journaux et a des amis de Paris, et a la personhe que j’y ai chargee de mes affaires presentes, c’est-a-dire de la vente de qua- tre volumes, ceux merne [sic] que j’etais venu, si credulously , offrir a cet infame Lacroix. ( II m’est tombe entre Ies mams un document qui me permettraitde me vengercruellementde cetim- becile. J’aurai peut-etre la ferocite ® de m en servir.) (1> Quelques mois auparavant (9 juin i86q), Poulet-Malassis avait motive comme suit, aupres a’Asselineau, la prolongation du sejour de leur ami en Belgique : « II persiste a rester a Bruxelles , non pas a cause de I’editeur Lacroix, editeur litterairement chi- merique, mais a ce que je crois par I’etonnement oil le jette une population oil il ne rencontre jamais, si ce n’est moi, un visage de creancier [•••]• II veut [...J passer un dimanche eternel sans Messieurs Dimanche ». I2) Dans le texte autographe, le mot ferocite remplace bassesse rature. — II s’agissait d’un echo de petit journal, qu’on retrou- vera dans Pauvre Belgique, oil Lacroix etait accuse d’avoir profite de 1’absence d’un auteur pour tirer de son ouvrage 1.500 exem- plaires de plus. 336 CORRESPOND ANCE GENERALE Ainsi, j’attends maintenant de Paris Ies nou- velles Ies plus importantes pour moi. II est possible qu’elles me contraignent de courir a Paris Ie 25 ou Ie 26, malgre tout I’inconvenient qu’il ja a tom- ber la dans Ie tumulte du Jour de l’An. Relativement au Iivre que vous etes curieux de lire ( Napoleon III , etc. . . , par un non-diplomatew, — plein de sottise allemandes, mais cependant ecrit par un homme qui pense), j’ai quelques details a ajouter. Je ne vous I’apporterai pas moi-meme. Tout Fran^ais est suspect a la douane, tres suspect, et je me servirai de la contrebande (1 fr. 50 par vo¬ lume) pour vous I’envoyer. C’est beaucoup plus sur. Je m’en servirai egalement pour m’envoyer a moi-meme des choses suspectes. — A cet ouvrage il faut en ajouter deux autres tres curieux qui ont paru depuis quelque temps. Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu , 1 vol., (par un avocat de Paris, dont j’ai oublie Ie nom). — Ouvrage ecrit par un homme qui sait beaucoup, mais non sufFisamment artiste®. Histoire de la Guerre de Crime e , precedee d’un aper^u tres long sur la fondation du nouvel em¬ pire, par M. Kinglake (je crois que M. Kinglake est depute aux Communes), 3 vol.®. — Ouvrage (*) Nous n’avons pas retrouve cet ouvrage-Ia. (2) II s’appclait Maurice Joly. Son Iivre, extrememcnt curieux, et que la maison Calmann-Levy vient d’ avoir l’heureuse idee de reediter, allait lui valoir, en France, le 28 avnl suivant, quinze mois de prison et 300 francs d’aniende. (*) Titre exact : L’Invasion de la Crime'e, origine et histoire de la guerre jusqu’d la mort de lord Raglan, traduction sur la 3' edition anglaise. . . parTIieodore Karcher (Lacroix- Verboeckhcven , in- 1 6 ), DE CHARLES BAUDELAIRE. 337 ou il y a de la sottise anglaise (chaque nation a sa sottise), mais en somme ecrit par un homme se- rieux et de tres bonne foi. Quant aux autres ouvrages defendus, ils pul- Iulent, mais ce sont de pures ordures. Tout a vous. J’ecris a ma mere. C. B. Je n’ai pas besoin de vous dire que je paierai tout d’avance. D’ailleurs, il Ie faut, — bien que la contrebande, naturellement, ne reponde pas des objets. 868. AU MEME. Jeudi 29 decembre 1863. Mon cher Ancelle, je vous presente mes sou- haits de bonne annee, ainsi qu’a Madame An¬ celle. Je vous demande pardon de vous donner trois commissions, dont une est peu digne de la gra- vite d un magistrat, et de vous prendre ainsi une heure ou deux de votre temps. Mais je connais votre complaisance, et d’ailleurs ces commissions sont tres importantes pour moi. i° L’echeance pour degager ce bijou ou pour renouveler I’engagement est arrivee depuis trois jours. Il est done plus que temps. C’est un cadeau et un souvenir. J’y tiens enormement. J’ai une autre montre a Bruxelles, je n’ai done pas besoin de celle-ci. Contentez-vous de renouveler 1’enga- gement. Cela se fait en 5 minutes. II y aura 3 ou IV. 22 338 CORRESPOND ANCE GENERALE 4 fr. d’interets que je vous rembourserai. La rue Joubert est a deux pas du chemin de fer. 20 Voir M. Jacquinet, presque a cote, rue Saint- Lazare, dans un enfoncement, presque en face la rue Pigale ou la rue Larochefoucault, a cote d’un sellier. M. Jacquinet est marchand de tableaux, enca- dreur, nettoyeur de gravures (1). J’ai laisse chez Iui plusieurs objets precieux pour moi, il y a deja fort longtemps (dont je vous transmets la liste, pour la lui communiquer) et je crains, comme il n’a pas de nouvelles de moi depuis pres d’un an, qu’il ne Ies egare ou qu’il ne se croie autorise a les vendre. D’ailleurs, je crois qu’il y a beaucoup de desordre chez Iui. (C’est ainsi que par ma negligence j’ai deja perdu ailleurs des bronzes, un dessin de Rubens, un eventail de 500 fr. , etc...) Vous pourrez lui dire que je reviendrai prochai- nement a Paris. 30 Voir M. ou Mad. Desoye, boutique de bronzes et de' porcelaines japonnais [sic] , 220 , rue de RivoILV P) Jacquinet figure aussi pour Ies memes articles sur une autre liste que nous donnerons clans YAppendice. P) Les Goncourt out consacre une page de leur Journal a la grasse Mm0 Desoye et a sa boutique : «Une figure presque histo- rique de ce temps, car ce magasin a ete l’endroit, I’ecole, pour ainsi dire, ou s’est elabore ce grand mouvement japonais qui s’etend aujourd'hui a la peinture a la mode. (J’a ete tout d’abord quelques originaux comme mon frere et moi, puis Baudelaire, puis Burty, puis V i Hot , presque aussi amoureux de la marchande que de ses bibelots, puis, a notre suite, la bancle des peintres impressionnistes, enfin Ies hommes et Ies femmes du monde ayant la pretention d’etre des natures artistes. «Dans cette boutique aux etrangetes si joliment fa?onnees et toujours caressees de soleil, Ies heures passent, rapides, a regar- DE CHARLES BAUDELAIRE. 339 Lui dire qu’elle ait I’obligeance de me garder encore quelque temps le pupitre en laque que je jui a i donne a reparerW. Lui demander ce que je lui dois, et lui affirmer que je vais revenir pro- chainement. Enfin , mon cher ami , j’ai besoin de 60 ou 70 fr. pour des etrennes a faire aux domestiques, et dans deux ou trois families chez Iesqueiles je frequente habituellement(2). Ayez fobligeance de me mettre tout de suite 100 fr. dans une Iettre, de maniere que j’aie cela, le 31 au matin. Vous vous souvenez que je vous ai promis de ne vous prendre desormais que 50 fr. par mois, pendant un temps fort long®. Cela comptera pour janvier et fevrier. Cela sera comme je vous le promets. Mes commissions vous paraitront peut-etre pue- riles. Je vous assure que c’est important pour moi. Je vous envoie d’avance, avec ce re£u, mille remerciements. C’est dans ce nouveau mois que je vous enver- rai par un moyen detourne Ies objets que je vous ai promis (4). La surveillance est maintenant tres grande. II y a eu des perquisitions a Paris. der, a manier, a retourner ces choses d’un art agreable au tou¬ cher, et cela au milieu du babil, des rires, des pouffements fous de la joviale creature. «Bonne fille et adroite marchande, que cette blanche juive, ayant fait une revolution au Japon, par la transparence ae son teint, et que Ies fievreux du pays, auxquels elle donnait de la (juinine, croyaient tres sincerement la Vierge Marie, visitant 1 Extreme Orient. » (*) Ce pupitre en laque, M'”° Aupick devait le donner au Dr Piogey, en souvenir de son fils. W Ces families : Ies Collart, Ies Stevens, Ies Hugo. (3-4) V0yez ]es Jettres 8^8, 86j et 867. CORRESPONDANCE GENERALE 34° J’attends pour retourner en France des lettres d’un ou de plusieurs Iibraires. Cela va venir. Je vais passer 4 ou 5 jours a Bruges; mais je ne partirai qu’apres avoir regu votre Iettre. — Le Spleen de Paris a recommence dans la Revue de Paris {l). Tout a vous. Charles. [note jointe.] LISTE DES OBJETS DEPOSES CHEZ JACQUINET. Une marine ( gravure a nettoyer, avec cadre noir, le cadre foumi par moi ). Une photographic , a monter sur bristol ( modele de femme nue ). Une sepia de Guys , vieux grognard a la colonne Vendome (a monter sur bristol et a mettre sous verre). Un portrait d’bomme au crayon noir ^ (a fixer [je crois qu’il n'etait pas fixej, et a monter sur gros papier bleu). W Le 25 decembre, la Revue de Paris avait pub'ie trois petits poeraes en prose nouveaux : Les Yeux des pauvres, Le Port, Le Miroir, et en avait reproduit trois anciens : Les Projets, La Soli¬ tude, La Fausse Monnaie. W C’etait le portrait de Poulet-Malassis par Alph. Legros. DE CHARLES BAUDELAIRE. 3 4 1 Une sepia , dans le genre Girodet ( femme nue dans une grotte. Etait salement montee. La monter a nouveau). Deux petits dessins , crayon et lavis , de Guys ( sans doute des scenes de prostitution aux barrieres , ou des voitures elegantes dans le Bois de Boulogne. A monter sur bristol). 6 articles. TABLE ALPHABETIQUE DES DESTINATAIRES. ( Les numeros qui accompagnent les noms sont ceux des lettres dans ce recueil .) Ancelle, 793, 818, 821, 826, 832, 84.5, 836, 858, 839, 864, 863, 867, 868. Arondel, 832. Asselineau (Ch.), 686, 736, 754- Aubourg, 743. Aupick 680, 688, 696, 709, 71 1, 712, 718, 719, 720, 721, 724, 733, 744, 766, 767, 776, 781, 782, 783, 794, 798, 800, 804, 808, 817, 833, 840, 842, 848, 849, 830, 831, 833. Babinet, 786. Baudelaire (M"e Cl.-AIph.), 716. Bourdin (Gustave), 796. Calonne (Alph. de), 8076b. Carjat, 787. Champfleury, 736, 7^7. CHARPENTIER (Gervais), 769. Chatillon (Aug. de), 738. Chenavard (Paul), 799. COLLART (M"' Leop.), 823. COLLIGNON (Albert), 807, 812, 833. Crepet (Eug.), 715, 729. Delatre, 746. Delord (Taxile), 706. Dentu (Ed.), 682. DlRECTEUR du Pays, 793, 801. DoucET (Camille)?], 722. 2SCUDIER (Marie), 741. 'antin-Latour, 809. 'iORENTINO, 764. ■■LAUBERT (Gustave), 699, 702, 703. Frederix (Gustave), 813, 816, 837. Gautier (Judith), 810. Gautier (Theophile), 723, 738, 772, 778. Gautier (Theophile) fils, 768. Hetzel, 740, 739, 789, 819. HoUSSAYE (Arsene), 689, 692, 723, 733. Hugo (Victor), 802. Lacaussade (AugT 68 1. La MADELENE (Henry DE), 862. Laprade (Victor de), 687. Leconte de Lisle, 81 i. Lecrivain, 803. Legros (Alph.), 742. 344 TABLE ALPHABETIQUE. Le JOSNE (Command* Hip- T Q Levy (Michel), 727, 720, 771, 788, 797, 820, 824, 829, 853, 866. Manet (Ed.), 827. Manet (M“e), 761. Marcelin (Louis), 837. Masson (Michel), 691. MATIGNY (Raymond), 732, 734. 737- 7 52> 77°> 806, 814. MoNSELET (Charles), 763. Nadar, 790, 834. Parfait (Noel), 828, 830, 831 , 836, 839, 860. PAYS. (V Directeur.) PlCQUE (Cam.), 823. Poulet-Malassis, 693,713, 714, 726, 730, 731, 739, Rosez, 838. Rouviere (Philibert), 679. Rozier (Jules), 690, 717. 743 . 75° » „ 7°4> 7°5> Roqueplan Saint-Victor, 763. Sainte-Beuve, 698, 704. Saux (Jules de), 693, 697, 707, 710. Secretaire perpetuel (M. le) de 1’Academie fran- faise, 683, 703. Simon-Rai^on, 843, 846. Stevens (Arthur), 813. Swinburne (Ch. Alg.), 791. Texier (Edm ), 694. Thore (Theophile), 844. UcHARD (Mario), 747, 749, w75‘. 753/ 755- Vaielant (M"), 773, 774, 779- VerbcECKHOVEN (Eugene), 822. Vigny (Alfred de) , 684 , 683 , 700, 701, 708. Villemain, (V Secretaire W perpetuel). histeer (James Me Neill), r 792- X..., 678, 777, 803, 847. TABLE DES M ATI ERE S. TABLE CHRONOLOGIQUE. ( L’asterisque designe les lettres dont le texte n’a pu ctrt e'tabli sur 1’ autographed) i 86 1 (StEte) Pages. 678. A Monsieur? 3 novembre . 1 679. A Philibert Rouviere. 6 novembre . 680. A Mm' Aupick. 13 novembre . 681 A Auguste Lacaussade. [Novembre 1861?] .... 682. A Edouard Dentu. 2 decembre . 683* A M. le Secretaire perpetuel de 1’Academic fran- 9aise. 11 decembre . 684. A Alfred de Vigny. [Env. 12 decembre.] 686. A Charles Asselineau. [Decembre 1861?] . 1 687. A Victor de Laprade. 23 decembre . 1 688. A Mme Aupick. 25 decembre . 1 689. A Arsene Houssaye. Noel . 2 690* A Jules Rozier. [Decembre.] . 3 691. A Michel Masson. 27 decembre . 3 692. A Arsene Houssaye. [Fin decembre.] . 3 693. A M. de Saux. 30 decembre . 35 694. A Edmond Texier. 30 decembre . 38 693. A Poulet-Malassis. [Decembre.] . 4° 0 N C\ - r| l-'X - rl rr, 346 TABLE DES MATIERES. I 862 69 6. A Mme Aupick. [Env. 15 janvier.] . 697. A M. de Saux. 19 janvier . 698. A Sainte-Beuve. [Env. 25 janvier.] . 699. A Gustave Flaubert. [Env. 25 janvier.] . 700. A Alfred de Vigny. 26 janvier . 701. Au meme. [Fin janvier?] . 702. A Gustave Flaubert. 31 janvier . 703. Au meme. 3 fevrier . 704. A Sainte-Beuve. [3 fevrier.] . 703* A M. le Secretaire perpetuel de I’Academie fran- 9aise. to fevrier . 706' A Taxde Delord. [Env. 10 fevrier.] . 707. A M. de Saux. 12 fevrier . 708. A Alfred de Vigny. [Fevrier?] . 709. A Mm' Aupick. 17 mars . 710. A M. de Saux. 19 mars . 71 1. A Mm* Aupick. 29 mars . 712. A la meme. 31 mars . 713* A Poulet^Malas-sis. [S. d.] . 7 1 4- Au meme. [Avril.] . 715. A Eugene Cr6pet. [S. d.] . 716. A M”’ Claude-AIpbonse Baudelaire. [S. d.]. . . 717. A Jules Rozier. [20 mat.] . 718. A M“” Aupick. 24 mai . 719. A la meme. 31 mai . 720. A la meme. 6 juin . j . 721. A la meme. 17 juin . 722. A [Camille Doucet?] 19 juillet . 723. A Theophile Gautier. 4 aout . 724. A Mm° Aupick. 11 [10] aout . 723. A Arsene Houssaye. 18 aofit . 1 726. A Poulet-Malassis. [ Aout-septembre?] . 1 727. A Michel Levy. [Ao6t-septembre?] . 1 728. Au meme. [Aoftt-septembre?] . 1 729. A Eugene Crepet. 9 septembre . 1 730. A Poulet-Malassis. [13 septembre.] . 1 731. Au meme. [Septembre.] . 1 732. A M. Raymond Matigny. 21 septembre . 1 4l 43 45 5° 5 1 55 57 59 60 64 65 65 66 67 73 75 80 81 82 85 86 88 88 90 93 95 96 97 98 01 °3 °5 °5 06 08 10 1 1 TABLE DES MATIERES. 347 733- A- Mme Aupick. 22 septembre . 734- A M. Raymond Matigny. 3 octobre. . 735. A Arsene Houssaye. 8 octobre . 736. A Charles Asselineau. [Octobre?].. . 737. AM. Raymond Matigny. 22 octobre. 738. A Th^ophile Gautier. [S. d.] . 739- A Poulet-MaIas6is. 18 novembre . 740. A Hetzel. 23 novembre . 74 1 • A Marie Escudier. decembre . 74-2- A Alphonse Legros. 6 decembre. . . . 743- A Poulet-Malassis. 13 decembre . 744- A Mm* Aupick. 13 decembre . 74j- A M. Aubourg. [S. d.] . 746* A Delatre. [S. d.] . 747. A Mario Uchard. [S. d.] . l4 '4 •7 18 20 20 23 M 26 28 3 1 33 33 36 1863 748. Au Commandant Hippolyte Le Josne. 1" janvier. 138 749- A Mario Uchard. 2 janvier . . 140 750. A Poulet-Malassis. 6 janvier . 142 751. A Mario Uchard. 7 janvier . 143 752. A M. Raymond Matigny. 22 janvier . 1 44 733. A Mario Uchard. [16 fevrier.] . 1 4 3 754* A Charles Asselineau. 18 fevrier . 146 755. A Mario Uchard. 19 fevrier . 146 756. A Champfleury. [Env. 4, mars.] . 1 47 737. Au meme. 6 mars . 1 49 758. A Auguste de Chatillon. 14 mars . 152 739. A Hetzel. 20 mars . 152 760. A Poulet-Malassis. 26 mars . 1 5 4 761. A M“e Manet. 28 mars . 135 762. A Nestor Roqueplan. 11 mai . 136 763. A Paul de Saint-Victor, n mai . 158 764* A Fiorentino. 11 mai . 158 765* A Charles Monselet. 11 mai . 159 766. A Mm< Aupick. 3 juin . 139 767. A la meme. 3 juin . 167 768. A Theophile Gautier. [Env. 18 juin.] . 169 769. A Gervais Charpentier. 20 juin . 171 770. A M. Raymond Matigny. [6 juillet.] . 172 TABLE DES MAT1ERES. 348 771* A Michel Levy. 7 juillet . 772* ATheophile Gautier. [Juillet?] . 773. Au marechal Vaillant. 3 aout . 774- Au meme. 7 aout . 775. A Poulet-Malassis. 8 aout . 776. A Mme Aupick. 10 aout . .... 777* A Monsieur? 16 ao&t . 778. A Theophile Gautier. 21 aout . 779. Au marechal Vaillant. 26 aout . 780. A Poulet-Malassis. [Fin aout.] . 781. A Mm° Aupick. 31 aout . 782. A la meme. 6 septembre . 783. A la meme. [11 septembre?] . . 784* A Poulet-Malassis. [Env. 10-13 septembre.]. . . . 785. Au meme. [13 septembre.] . 786. A Babinet. 6 octobre . 787. A Etienne Carjat. 6 octobre . 788. A Michel Levy. [6 octobre.] . 789. A Hetzel. 8 octobre . 790. A Nadar. 10 octobre . 791. A Charles A. Swinburne. 10 octobre . 792. A James Me Neill Whistler. 10 octobre . 793. A Ancelle. [Env. 13 octobre.] . 794* A Mm” Aupick. [28 octobre.] . 793* Au Directeur du Pays. 3 novembre . 796. A Gustave Bourdin. 12 novembre . 797. A Michel L6vy. [Novembre.] . 798. A Mm“ Aupick. 23 novembre . 799. A Paul Chenavard. 23 novembre . 800. A M'no Aupick. [Fin novembre.] . 801. AM. le Directeur du journal le aPaysn. 2 de- ccmbre . 802. A Victor Hugo. 17 decembre . 803* A M. Lecrivain. 28 decembre . 804. A Mme Aupick. 31 decembre . 1 73 1 74 •75 177 179 1 80 1 81 181 1 82 183 1 84 186 187 188 190 1 92 1 93 •94 •95 196 •97 •99 201 202 203 203 205 206 209 210 21 1 214 216 21 7 i864 803* A ? [S. d.] . 221 806. A M. Raymond Matigny. 12 fevrier . 221 807. A Albert Coihgnon. 22 levner . 223 TABLE DES MATIERES. 349 Soy bis. A Alphonse de Calonne. 23 fevrier . 808. A Mm' Aupick. 3 mars . 809. A Fantin-Latour. 22 mars . 810. A Judith Gautier. 9 avril . . . 81 I. A Leconte de Lisle. [Avril] . . . 812. A Albert Collignon. 13 avril . 813. A Arthur Stevens. 21 avril . 8 1 4- AM. Raymond Matigny. 23 avril . 815. A Gustave Frederix. 30 avril . 816. Au meme. 4 mai. . 817. A M"‘ Aupick. 6 mai . 818. A Ancelle. 7 mai . 819. A Hetzel. [Env. 8 mai.] . 820* A Michel Levy. [Env. 10 mai.] . 821. A Ancelle. [Env. 10 mai.] . 8 22. A Eugene Verbceckhoven [11 mai.] . 823. A Mme Leopold Collart. [11 mai.] . 824. A Michel Levy. 18 mai . 825. A Camille Picque. [Env. 20 mai.] . 826. A Ancelle. 27 mai . 827. A Edouard Manet. 27 mai.. . 828. A Noel Parfait. 31 mai . . 829. A Michel Levy. 1" juin . 830. A Noel Parfait. [2 juin?] . . 831. Au meme. [Env. 10 juin ? ] . . 832. A Ancelle. [Juin.] . 833. A Mrae Aupick. 11 juin . 834. A Poulet-Malassis. 11 juin . 835. A Albert Collignon. n juin . 836. A Noel Parfait. 11 juin . 837. A Gustave Frederix. 11 juin . 838. A M. Rosez. [Juin.]. . 839. A Noel Parfait. 16 [juin^ . 840. A M“* Aupick. 16 [juin] . 841. A Poulet-Malassis. [S. d.] (Vers laisses cbez un ami absent .) . . 842. A M“e Aupick. 17 juin . 843. A Simon-Rafon. 18 juin . . 844. A Theophile Thore. [Env. 20 juin.] . 845. A Ancelle. 14 juillet . 846. A Simon-Ra^on. 18 juillet . 847- A Monsieur? 21 juillet . 224 225 226 228 230 231 232 233 235 236 237 239 240 2 44 244 24$ 245 246 247 247 249 250 253 255 256 257 238 264 264 266 267 268 269 270 27 1 272 274 273 278 281 282 3JO TABLE DES MAT1ERES. 848. A Mme Aupick. 31 juillet . 283 849. A la m£me. 8 aout . 287 850. A la meme. [14 aout.] . 293 851. A la meme. 22- sept, [aout?] . 294 852. A Arondel. 26 aout . 296 853. A M1"' Aupick. 26 aout . 298 854. A Nadar. 30 aoht . 299 855. A Michel L6vy. 31 aout . 301 856. A Anceile. 2 septembre . 303 857. A Louis Marcelin. 9 octobre . 308 858. A Anceile. 13 octobre . 309 859. Au m£me. 23 octobre . 318 860. A Noel Parfait. 27 octobre . 321 861. A Poulet-Malassis. 31 octobre . . 322 862. A Henry de la Madelene. 3 novembre . 324 863. A M“” Aupick. [3 novembre.] . 326 864. A Anceile. 13 novembre . 328 865. Au meme. 18 novembre . 331 866. A Michel Levy. 2 decembre . 333 867. A Anceile. 18 decembre . 334 868. Au meme. 29 decembre . 337 Table alphabetique des destinataires . 343 Date Due ^ * ' 4 FQ2191 .A1 1922 - Baudelaire, Charles Pierre Oeuvres coinplsies de Charles Baudelaire.. . □ ATE ISSUED TO 35629 trentuniv : 0 11 64 0299259 2 A LA MEME LIBRAIR1E CEuvres completes de GUY DE MAUPASSANT 29 vol. petit in-8° imprimes sur papier verge. CEuvres completes de GUSTAVE FLAUBERT 17 vol. petit in-8° et un index. CEuvres completes de ALFRED DE VIGNY Notes et eclaircissements de Fernand Baldensperger 11 vol. petit in-8° imprimes sur papier verge. CEuvres completes de HONORE DE BALZAC 1.200 illustrations de Charles Huard, gravees sur bois par Pierre Gusman. Texte revise et annote par Marcel Bouteron et Henri Longnon. 40 vol. petit in-8°. CEuvres completes de ALFRED DE MUSSET Etude de Fern. 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